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« Love story » au travail : contradiction de style entre l’employeur et Cupidon ! Par Yacine Zerrouk, Juriste.
Parution : mercredi 26 août 2015
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Avec l’enquête « Amour et sexualité au Travail » puis l’explication donnée par le sociologue Ronan Chastellier , le travail apparaît bien de nos jours comme l’un des premiers endroits cadres privilégiés des rencontres.

Ce qui, naturellement, implique l’employeur et son pouvoir de direction face aux histoires sentimentales de ses salariés sur le lieu de travail.

Mais quelle position doit-il vraiment avoir face à ce cas de figure ? Peut-il mettre en place des restrictions tout en portant atteinte à la vie affective de ses salariés ?

Selon une enquête intitulée « Amour et sexualité au Travail » réalisée par les Editions Tissots en 2011 :

-  31 % des salariés français avouent avoir vécu une relation consentie, amoureuse ou sexuelle, dans le cadre de leur activité professionnelle ;

-  50 % des salariés français considèrent l’environnement professionnel comme propice aux rapprochements ;

-  les salariés pour qui l’histoire continue au sein de l’entreprise, sont 17 % à la vivre au grand jour, tandis que 22 % préfère rester dans la discrétion ;

-  55 % des salariés considèrent en effet qu’être amoureux a un impact positif sur leur travail, tandis qu’à l’inverse, 14 % pense que l’amour a un aspect problématique ou même négatif sur leur efficacité.

A travers cette enquête, le sociologue Ronan Chastellier, Maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politique de Paris, a expliqué que « la durée du temps passé sur le lieu de travail, les aspects festifs du management (séminaires etc..) agissent comme facteur de renforcement pour la possibilité de rencontre directe (dans l’entreprise) ou indirecte (fournisseurs, clients…) » ;

et que « dans une société où le débat tourne beaucoup autour de l’âge de la retraite, de l’austérité économique, etc. Il y a probablement un envers fantasmatique du monde du travail et un besoin d’ensauvagement et de jeu frivole ».

Ainsi, avec l’enquête « Amour et sexualité au Travail » puis l’explication donnée par le sociologue Ronan Chastellier , le travail apparaît bien de nos jours comme l’un des premiers endroits cadres privilégiés des rencontres.

Ce qui, naturellement, implique l’employeur et son pouvoir de direction face aux histoires sentimentales de ses salariés sur le lieu de travail.

Mais quelle position doit-il vraiment avoir face à ce cas de figure ? Peut-il mettre en place des restrictions tout en portant atteinte à la vie affective de ses salariés ?

L’article 9 du Code civil dispose que « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».

Le Code du travail confirme cette protection à tous les salariés, par le biais de son article L. 1121-1, qui dispose que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Ainsi, a été jugé que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée (Soc. 02-10-2001, n° 99-42942) et que la relation amoureuse n’est pas en soi un motif de licenciement (Soc. 21-12-06, n° 05-41140).

De ce fait, tout employeur ne peut apporter de restrictions aux droits et aux libertés individuelles de ses salariés.
Par la même occasion, il ne peut pas s’immiscer dans la vie affective, conjugale ou familiale de ses mêmes salariés.

La jurisprudence constatera donc une violation à la vie privée du salarié :

-  lorsqu’une clause de célibat est insérée dans le contrat de travail (Soc. 07-02-1968, n° 65-40622) ;

-  lorsqu’il apparaît dans le règlement intérieur une clause stipulant que les conjoints ne peuvent pas être employés dans l’entreprise (Soc. 10-06-1982, n° 80-40929) ;

-  lorsqu’une salariée a été licenciée en raison de sa liaison avec l’un de ses supérieurs hiérarchiques sous le seul prétexte d’éviter un éventuel scandale (Soc. 30-03-1982, n° 79-42107).

En cas d’atteinte aux droits et/ou aux libertés individuelles dans l’entreprise, les salariés doivent rapidement en informer le délégué du personnel afin de saisir l’employeur pour procéder à une enquête ayant pour but de remédier à cette situation (cf : Procédure d’alerte : art. L 2312-2 Code du travail).

La responsabilité civile de l’employeur peut être engagée sur le fondement juridique d’un manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail (Soc. 04-06-2002, n° 00-42280), dont la preuve incombe au salarié (Soc. 23-02-2005, n° 03-42018).

Néanmoins dans certains cas, l’employeur peut apporter des restrictions aux droits et aux libertés individuelles de ses salariés que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnés au but recherché.

Ainsi, a été jugé qu’une restriction à ces libertés par l’employeur n’est valable qu’à la condition d’être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionnée au but recherché (Soc. 13-01-2009, n° 07-43282).

De ce fait, la jurisprudence a précisé que :

-  « le salarié ayant des fonctions de direction ne peut pas se rebeller de manière injustifiée, contre les décisions prises par l’employeur à l’égard de sa compagne, elle aussi salariée de l’entreprise ; que son attitude, alors qu’il aurait dû rester neutre, a pu justifier son licenciement » (Soc. 27-01-2010, n° 08-45203) ;

-  « la violence d’un salarié envers sa concubine, également salariée de l’entreprise, qui avait donné lieu à son arrestation, a entraîné un trouble objectif caractérisé, même si ce fait relevait de la vie personnelle ; l’employeur pouvait redouter de nouveaux incidents et que la réputation de l’entreprise ainsi que l’image de marque auprès des salariés, pouvaient en être affectés ; que le licenciement était donc recevable » (Soc. 09-07-2002, n° 00-45068).

Enfin, avec les contrats de travail dits « de couple », l’employeur peut se séparer du conjoint / de la conjointe du ou de la salarié(é) licencié(e).

En vertu de la Cour de cassation, « la pratique de tels contrats […] est avérée, et la discussion était à nouveau ouverte sur la licéité d’une clause dite d’indivisibilité ou d’interdépendance, insérée dans le contrat de travail, selon laquelle l’un des deux salariés s’engage à cesser ses fonctions en cas de départ de l’autre pour quelle que cause que ce soit ».

Ainsi, a été jugé que « le licenciement d’un des conjoints est, en principe, sans effet sur le contrat de travail de l’autre. Il en va différemment pour les contrats de travail des couples, qui ont souvent une clause d’indivisibilité des deux contrats ; lorsque la clause est valide et que la poursuite du second contrat est rendue impossible par la rupture du premier, l’employeur peut mettre fin au contrat du conjoint » (Soc. 12-07-2005, n° 03-45394).

Conclusion :

En résumé, les relations amoureuses sont omniprésentes dans notre société, alors pourquoi devraient-elles s’arrêter aux portes du travail ?
Du moment que les salariés respectent la séparation entre la vie personnelle et la vie professionnelle…

Verdict de l’opposition : Employeur 0 - Cupidon 1

Yacine Zerrouk Responsable Relations Sociales