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La réquisition de logements vacants : une idée simple, difficile à mettre en pratique. Par Marc Lecacheux, Avocat.
Parution : mardi 25 août 2015
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En cette période de récession économique où la crise du logement se fait durement ressentir par les différentes classes sociales et plus particulièrement celles les plus pauvres, la question lancinante des réquisitions de logements vacants devient de plus en plus présente.

En effet, la question n’est désormais plus taboue, et le rapport du Conseil d’Etat (2009) et de la fondation Abbé Pierre (FAP) nous démontre que l’accès et le maintien dans un logement pour les Français les plus démunis devient de plus en plus problématique et qu’il est un facteur aggravant des inégalités sociales et que ce droit de réquisition est un des leviers utilisables par la puissance publique pour assurer l’accès des plus démunis à un logement.

Cette solution est d’autant plus d’actualité que l’Etat est désormais créancier d’une obligation de résultat vis à vis des personnes reconnues comme prioritaires par les différentes commissions départementales de conciliation instituées par la Loi 2007 dit droit au logement opposable.

Il est vrai qu’auparavant cette mesure prenait essentiellement appui sur une décision du conseil constitutionnel qui avait reconnu, comme objectif à valeur constitutionnel, le droit de toute personne de disposer d’un logement décent (Cons. const., déc. n° 98-403 DC, 29 juill. 1998, Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions).

Néanmoins, dans la pratique, cet objectif était d’application fragile et la loi de 2007 devait concrétiser ce droit au logement pour les ménages les plus modestes.

La question est de savoir si ce fameux droit de réquisition est devenu pour autant caduc.

A titre liminaire, une définition s’impose : qu’appelle-t-on juridiquement le droit de réquisition ?

La réquisition proprement dite est l’acte par lequel l’autorité administrative impose, dans un but d’intérêt général à une personne privée.

Le nouveau régime des réquisitions adopté par la loi du 29 juillet 1998, validé avec réserves constitutionnelles DCn°98-403 du 29 juillet 1998 modifié par la loi du 13 juillet 2006 dite ENL, pose le principe que contrairement à l’expropriation et au droit de préemption, la réquisition n’emporte pas transfert du droit de propriété. Il s’agit simplement de l’usage temporaire du bien.

En effet, il ne faut pas oublier que ce droit de réquisition porte une atteinte temporaire au droit de propriété, considéré par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat comme une liberté fondamentale (CC 16 janvier 1982, cet ord référé 23 mars 2001 n°231559 Sté LIDL).

Ainsi, compte tenu de cette réserve, ce droit de réquisition est-il réellement et juridiquement applicable sur le terrain ?

C’est l’objet de cette étude, qui impose d’examiner en premier lieu, les différentes instances susceptibles d’utiliser ce droit de réquisition ainsi que son régime juridique (I) pour ensuite cerner les limites de son utilisation (II).

I) Le droit de réquisition : qui peut l’utiliser et qui en sont les bénéficiaires ?

Conformément au droit positif, deux régimes peuvent être distingués, l’un résultant de l’article L 2212-2 du code général des collectivités territoriales et l’autre des articles L 641-1 à L 641-14 du code de la construction et de l’Habitation (CCH).

Le premier pouvoir appartenant au Maire, l’autre relevant de prérogatives préfectorales.

A) Le pouvoir général du Maire :

En vertu de l’article L 2212-1° et 5° du Code Général des collectivités territoriales, le Maire est investit d’un pouvoir de police générale qui lui offre la possibilité de prononcer la réquisition de locaux vacants nécessaires au logement des personnes ou des familles sans abri et ceci sans qu’un texte le prévoit expressément (CE 15 février 1961 Werquin).

Il s’agit donc d’un pouvoir propre du Maire.

Néanmoins, la jurisprudence a restreint considérablement l’utilisation de ce pouvoir par le Maire, puisque sa mise en œuvre suppose une situation d’urgence (CE 29 décembre 1997 n°172556) et lorsque le défaut de relogement serait susceptible de créer une menace de trouble grave à l’ordre public.

Enfin, il convient de ne pas oublier que cette procédure ne doit être utilisée qu’en dernière intention dès lors qu’aucune solution de relogement classique n’a pu être trouvée et lorsque la saisine de l’autorité préfectorale prévue par l’article L 641-1 du CCH n’a pas été fructueuse (CE 11 décembre 1991 Soc HLM le logement familial du bassin parisien).

Dans le cas contraire, l’arrêté du Maire risque d’être inévitablement censuré par le juge administratif.

B) Les prérogatives du Préfet :

Aux termes de l’article L 641-1 à L 641-14 du Code de la construction et de l’habitation (tel que modifié par la loi 2006-872 du 13 juillet 2006 dite ENL), la décision de procéder à des réquisitions appartient au représentant de l’Etat dans le Département, sur proposition du service municipale du logement.

Ce régime n’est applicable que dans les communes où sévissent de graves crises du logement comme l’a utilement rappelé la loi (L 641-12 CCH) et la jurisprudence (CE ass 11 juillet 1980 AJDA 1981 P216).

Concrètement, se traduit par une prise de possession partielle ou totale des locaux concernés, mais cette réquisition ne vaut pour une durée maximale d’un an renouvelable, la durée totale de l’attribution d’office ne pouvant excéder cinq ans, sauf dérogation exceptionnelle limitée à deux ans.

C) Les bénéficiaires de ces réquisitions :

Au regard de l’article L 642-1 du code de la construction et de l’habitation, ces réquisitions sont réservées aux : « personnes dépourvues de logement ou logées dans des conditions manifestement insuffisantes et celles à l’encontre desquelles une décision judiciaire définitive a ordonné l’expulsion ».

Cette attribution d’office d’un logement revêt un caractère personnel et ne crée au profit du bénéficiaire qu’un titre « à occupation précaire et personnelle des lieux » (CE référé 12 novembre 2001 Commune de Montreuil Bellay).

II) Des applications concrètes rares :

Ainsi, dans un arrêt récent, la cour administrative de Versailles a rappelé les conditions pour que le Maire puisse faire usage de son droit de réquisition des logements vacants, refusé dans le cas d’espèce :

« Considérant, en second lieu, que les dispositions des articles L. 641-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation n’ont pas fait disparaître les pouvoirs généraux de police que le maire tient de L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales et qui lui permettent, en particulier, de prononcer la réquisition des locaux nécessaires au logement des familles sans abri ; que, toutefois, ce pouvoir de réquisition ne saurait être exercé par le maire qu’en cas d’urgence et à titre exceptionnel lorsque le défaut de logement de la famille dont s’agit est de nature à apporter un trouble grave à l’ordre public » (CAA de Versailles 3/03/2011 10VE00146).

On observe donc que les conditions requises pour que le Maire utilise légalement ce droit de réquisition sont strictement examinées par le juge de l’excès de pouvoir.

C’est le cas aussi lorsque le Maire fait usage de ce droit sans examiner soigneusement si la condition d’urgence est remplie (voir CE Section 29 décembre 1997 172556, CE 8 mai 1981 15164).

Mais ces conditions sont remplies lorsqu’une catastrophe naturelle impose un relogement rapide des habitants (CAA de bordeaux 20 novembre 2000 97BX 30885).

En conclusion : Cette procédure d’utilisation rare et hasardeuse juridiquement est peu utilisée par les pouvoirs publiques comme le démontre le rapport du conseil d’Etat 2009, néanmoins elle mérite d’être renforcée pour assurer aux plus pauvres de manière temporaire un besoin de première nécessité, celui de pouvoir se loger.

Maître Marc Lecacheux
avocat à la cour.
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