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CEDH : Les embryons humains ne sont pas des choses et leur destruction peut être interdite. Par Gregor Puppinck, Docteur en droit.
Parution : lundi 31 août 2015
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A propos de l’arrêt CEDH, Parrillo c. Italie (n° 46470/11).

Le 27 août 2015, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu public son arrêt dans l’affaire Parrillo c. Italie [1] concernant le statut d’embryons humains surnuméraires conçus in vitro et cryogénisés.

Était en cause l’existence alléguée par « la mère » des embryons d’un droit réel sur « ses » embryons ; celle-ci se plaignait de l’impossibilité de donner « ses » embryons à la recherche de sorte qu’ils soient détruits au service de la science. Elle alléguait une violation du droit au respect de sa vie privée et familiale ainsi que de son droit de propriété sur « ses » embryons.
En substance, la requérante mettait aussi en cause le statut juridique des embryons surnuméraires au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme et l’interdiction faite par la loi italienne (loi n°40/2004) de la destruction des embryons humains, y compris dans le cadre de la recherche scientifique.

- Sur la question du droit de propriété, la Grande Chambre, à l’unanimité, a rejeté ce grief au motif que « les embryons humains ne sauraient être réduits à des ‘’biens’’  » (§ 215). En effet, le droit de propriété ne peut s’exercer que sur les choses, ou les « biens ». Le droit ne connaissant que les deux catégories de « bien » et de « personnes », la logique veut que les embryons humains soient des personnes dès lors qu’ils ne sont pas des biens. La Cour s’abstient de le dire, ou de le démentir.

- Sur la question de l’atteinte à la vie privée de la « mère », la Grande Chambre, à la quasi-unanimité (16 contre 1), a jugé que l’Italie peut légitimement interdire la destruction des embryons humains afin de respecter « les droits et libertés d’autrui » - autrui étant ici les embryons humains - car la loi italienne reconnaît à chaque embryon humain la qualité de « sujet » à égalité avec ses géniteurs. Toutefois, la Cour précise qu’elle n’entend pas se prononcer « sur le point de savoir si le mot « autrui » englobe l’embryon humain » (§ 167) car cela limiterait la licence des États de porter atteinte à leur intégrité.

Cet arrêt contribue ainsi au respect de la vie humaine dès la conception. La Cour reconnaît qu’un embryon humain, même in vitro et ne faisant plus l’objet d’un projet parental n’est pas une chose, et que sa protection contre la destruction est légitime au nom des « droits et libertés d’autrui  ».
Cet arrêt est néanmoins marqué par des faiblesses et incohérences soulignées par les juges dans leurs nombreuses opinions séparées.

- Comme plusieurs juges de la Grande Chambre le regrettent, la Cour est enfermée dans une contradiction, reconnaissant que l’embryon humain n’est pas une chose, tout en étant autrui, sans être une personne… Cette contradiction est inévitable pour ne pas affaiblir la conventionnalité de l’avortement.

- Autre élément critiquable, la Cour soutient que le « commencement de la vie humaine » est une « notion » susceptible d’une « pluralité de vues (…) parmi les différents États membres » (§180). Or, le commencement de la vie humaine est évidemment un fait biologique connu et réalisé par la fusion des gamètes ; ce n’est pas une idée sur laquelle les esprits pourraient légitimement diverger. Cette affirmation vise aussi à laisser place à l’avortement.

Autre critique à apporter à l’arrêt : l’affirmation suivant laquelle les embryons représentent « une partie constitutive  » de la requérante « et de son identité biologique  » car ils « renferment [son] patrimoine génétique » (§158). Or, comme le disent clairement plusieurs juges dans leur opinion séparée : « S’il hérite du patrimoine génétique de ses « parents » biologiques, l’embryon humain n’en est pas moins une entité séparée et distincte dès les tout premiers stades de son développement. » C’est sur la base de cette affirmation que la majorité des juges de la Cour déduit que l’impossibilité pour la requérante de donner les embryons pour destruction constitue une ingérence dans sa vie privée.

Il y a enfin lieu de souligner la qualité des opinions séparées publiées en annexe de l’arrêt. La plupart sont remarquables de rigueur juridique et d’humanité à l’égard de la vie naissante.

Celle – très approfondie - du juge Pinto de Albuquerque se distingue en particulier. Il conclue en ces termes :
« « La vie humaine à naître n’est en rien différente par essence de la vie postnatale. Les embryons humains doivent en toute circonstance être traités avec tout le respect qui est dû à la dignité humaine. Les applications de la recherche scientifique concernant le génome humain, en particulier dans le domaine de la génétique, ne prévalent pas sur le respect de la dignité humaine. Les progrès de la science ne doivent pas reposer sur le non-respect de la nature humaine ontologique. Le but scientifique consistant à sauver des vies humaines ne justifie pas l’emploi de moyens intrinsèquement destructeurs pour cette vie.
Le commencement et la fin de la vie humaine ne sont pas des questions de politique à laisser à la discrétion des États membres du Conseil de l’Europe.
 » »

L’ECLJ est intervenu dans cette affaire et a soumis des observations à la Cour.

Grégor Puppinck, docteur en droit.

[1Requête n° 46470/11