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Les 14 propositions de réforme de la mission sur la copie privée. Par Nina Gosse, Consultante Juridique.
Parution : lundi 7 septembre 2015
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Le 15 juillet dernier, le député Marcel Rogemont (SRC) a remis son rapport en conclusion des travaux de la mission d’information sur le bilan et les perspectivesde 30 ans de copie privée, dans lequel plusieurs pistes de réforme sont proposées. Tout comme la feuille de route de la conseillère d’État Christine Maugüé, remise le 2 juillet à Fleur Pellerin, ce document fait état d’une situation insatisfaisante à laquelle il convient de remédier rapidement afin de permettre une meilleure efficacité du système de redevance pour copie privée.

Renforcer la légitimité et la transparence du mécanisme
Si l’existence de la redevance pour copie privée (RCP) est considérée comme vertueuse pour la rémunération des ayants droit et le financement de la création, et n’est ainsi par remise en cause, son fonctionnement connait, pour sa part, une crise. Celle-ci est principalement due à une gouvernance bloquée (la commission copie privée ne s’est pas réunie depuis 2012), des barèmes opaques et insuffisamment actualisés, ainsi qu’un manque de transparence dans l’affectation des sommes par les sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD).

Afin de renforcer la légitimité du dispositif, Marcel Rogemont rapporte en premier lieu qu’il convient de conforter sa nature indemnitaire. Bien que des propositions de fiscalisation aient été formulées (notamment par Pierre Lescure ), et que plusieurs pays ont suivi cette voie (Norvège, Espagne, Finlande), une telle réforme n’apparaitrait aujourd’hui par pertinente en France. En effet, malgré le développement de la consommation de contenus en ligne, les pratiques de stockage demeurent. D’autre part, la RCP vise à compenser un préjudice et non un transfert de valeur lié à une évolution des modes de consommation qui serait défavorable aux ayants droit. En outre, la création d’une telle taxe nécessiterait un compte d’affectation spéciale, or les taxes affectées font l’objet de critiques récurrentes. Si le rapporteur n’exclut pas totalement, à terme, une telle piste, il souhaite « prioritairement donner sa chance à un mécanisme indemnitaire qui seul peut conforter la légitimité du dispositif ». Il précise que cette nature indemnitaire rend logique l’établissement de barèmes par les parties intéressées, et évince la voie parlementaire ou réglementaire.

Doit aussi être renforcée la légitimité du prélèvement de 25% pour l’action artistique et culturelle. Si ce taux est jugé satisfaisant, les crédits destinés aux actions artistiques et culturelles font l’objet d’une sous-consommation importante. Il conviendrait d’inciter les SPRD à utiliser au moins 80% desdits crédits chaque année, et de préciser le champ des actions financées : mettre en place une coordination entre les SPRD et une base de données spécifique, rééquilibrer la répartition des aides, étendre le champ d’action à l’éducation artistique et culturelle, confier à la nouvelle AAI (cf. infra) un pouvoir de contrôle en la matière.

Enfin, le remboursement des professionnels doit être plus effectif (simplifier leurs demandes) et la visibilité auprès des consommateurs, plus grande (vignette sur l’emballage des produits assujettis, travail de pédagogie, information lors des festivals bénéficiant des 25%…).

Soumettre le dispositif à la régulation d’une AAI
Il ressort de l’ensemble des auditions menées dans le cadre de la mission d’information, qu’aucun consensus n’existe actuellement sur les solutions à entreprendre afin de permettre à la commission pour copie privée (CCP) de se réunir à nouveau. En effet, les propositions des industriels et des consommateurs (composition tripartite de la commission, adoption des décisions à la majorité des deux tiers), et celles des ayants droit (nomination de membres différents, renforcement de la représentation des pouvoirs publics) sont non seulement inconciliables, mais également insatisfaisantes, selon le rapporteur.

Le paritarisme ne doit pas être remis en cause. Néanmoins, le Président de la commission ne jouant actuellement pas correctement son rôle d’arbitre, la mise en place d’une autorité indépendante (AAI) légère, à même de trancher les différends en cas d’échec des négociations, permettrait au système de fonctionner à nouveau en assurant cette fonction. En Allemagne, .c’est l’Office allemand des brevets et des marques (DPMA), rattaché au ministère de la Justice, qui joue ce rôle de médiateur. Une telle AAI permettrait également de garantir la transparence et la lisibilité du système en homologuant les barèmes. Elle disposerait à cet effet d’un pouvoir de formuler des observations, de demander des modifications et de les établir en cas de blocage. Elle pourrait en outre participer à la réalisation des études d’usages.

Moderniser le montant et l’assiette de la RCP
Les comparaisons internationales et européennes révèlent régulièrement un niveau relativement élevé de la RCP en France . D’après l’UFC-Que choisir , une comparaison européenne ferait ainsi apparaître une « exception perceptrice française ». Ce niveau de la RCP française s’explique, selon le rapporteur, par la hausse des montants perçus en France, qui contraste avec la baisse enregistrée dans les autres pays. Un constat qui pose la question du "bon" niveau de la RCP. Les montants élevés de la RCP en France tiendraient à « l’attachement historique de notre pays au droit d’auteur et par une grande appétence pour les produits culturels ». Par ailleurs, les comparaisons internationales et européennes doivent être interprétées avec précaution. Une comparaison plus approfondie avec l’Allemagne (non prise en compte par l’étude de l’UFC) remettrait en cause l’idée d’une « exception française ».

Par ailleurs, il est urgent que la commission fonctionne à nouveau afin d’étudier la pertinence de l’assiette actuelle de la RCP. En effet, Marcel Rogemont fait état de plusieurs paradoxes dans l’assujettissement ou non des matériels à la RCP. En particulier, les disques durs d’ordinateurs n’ont jamais été soumis à la RCP en France. Un choix en son temps justifié par le risque d’aggraver la fracture numérique mais peu pertinent aujourd’hui, le prix des ordinateurs ayant baissé et le taux d’équipement augmenté. De leur côté, les tablettes sont, elles, soumises à la redevance depuis le 12 janvier 2011. Cette distinction n’a plus lieu d’être dès lors que les évolutions technologiques en ont fait des produits hybrides, et qu’elle entraine des distorsions de concurrence. Par exemple, les tablettes sous Windows ne sont pas soumises à la RCP, alors que celles Apple ou Android y sont assujetties. La définition de l’assiette fixée par la CCP est, par ailleurs, devenue caduque, en ne visant que les produits mobiles. Une redéfinition est donc nécessaire. La réflexion devra également s’étendre à la question du Cloud computing (non assujetti) et des boxes internet (assujetties).

Si ce document ne constitue qu’un simple rapport d’information, il pourrait guider de futures initiatives gouvernementales ou parlementaires pour remédier à la situation actuelle.

Consultante Juridique & Affaires Publiques chez NPA Conseil