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« Le droit des contrats doit renouer avec sa tradition civiliste ! »
Parution : mardi 16 février 2016
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La Chancellerie avait présenté le 25 février 2015 un projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. C’est ainsi qu’a été publiée le 11 février 2016, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (J.O., n° 35, 11 févr. 2016, n° 26). Cette ordonnance est l’aboutissement d’une consultation publique à laquelle le gouvernement avait procédé du 28 février au 30 avril 2015 [1]. Elle entrera en vigueur le 1er octobre 2016.
Cette révolution de notre droit des obligations attise les passions. Nous avons rencontré Jean-Marc Desaché, Avocat associé au sein de Gide Loyrette Nouel, Philippe Dupichot et Bruno Dondero, tous deux membres du conseil scientifique de Gide Loyrette Nouel et professeurs de droit à l’Ecole de Droit de la Sorbonne (Université Paris 1), afin de connaître leur avis sur la question.

Article remis à jour le 16 février 2016.

Pourquoi cette réforme est-elle nécessaire ?

Philippe Dupichot : Cette reforme est un enjeu de la justice du 21ème siècle. Elle poursuit trois objectifs : l’accessibilité du droit, sa prévisibilité et son attractivité.

Notre droit des contrats a vieilli et l’obsolescence du Titre III du Code civil de 1804 est indéniable. Seules deux réformes y ont en effet été apportées en plus de deux cent dix ans. La consécration de la sanction des clauses pénales manifestement excessives ou dérisoires, en 1975, et la reconnaissance des contrats électroniques, en 2004, ne peuvent prétendre l’avoir préservé des ravages du temps.

En outre, les dispositions actuelles ignorent des pans entiers de la vie du contrat, notamment la période pré-contractuelle. Des moments clés du cycle contractuel sont passés sous silence : le couple de l’offre et de l’acceptation n’y a jamais été défini tandis que des avant-contrats essentiels (promesse de vente unilatérale, pacte de préférence) n’y figurent pas.

Aussi, le Code civil présente-t-il des lacunes car la structure même de la formation du contrat n’y est pas présentée. Cette ignorance de la phase précontractuelle est d’autant plus regrettable que rares sont les contrats qui se concluent sans négociation préalable.

Une attention particulière a donc été portée à la rédaction du projet de réforme du Code : phrases courtes, vocabulaire modernisé et intelligible de tous.

Jean-Marc Desaché : Nous sommes confrontés à une sédimentation jurisprudentielle qui rend la connaissance et l’accès au droit vivant des contrats très difficile. L’accessibilité du droit des obligations doit être renforcée à l’heure où les droits sont eux-mêmes en concurrence.

Le droit des contrats doit renouer avec sa tradition civiliste ! A la lecture d’un Code civil rénové, nous aurons enfin une vision fidèle du droit positif.

Jean Marc Desaché, Avocat associé au sein de Gide Loyrette Nouel

Une attention particulière a donc été portée à la rédaction du projet de réforme du Code : phrases courtes, vocabulaire modernisé et intelligible de tous. Le chef d’entreprise ou tout autre non spécialiste du droit saura ce qu’il peut faire, ne pas faire et comment le faire. Un grand soin a été déployé pour redonner au Code une lisibilité qui avait été perdue au profit du développement de la jurisprudence.

Cette réforme est-elle importante pour le rayonnement de notre droit à l’étranger ?

Bruno Dondero : Bien sûr ! Elle illustre le renouveau de notre droit adapté aux enjeux d’aujourd’hui. Elle va favoriser le recours au droit français par divers acteurs souhaitant conclure un contrat en raison des garanties de sécurité que la réforme présente.

De plus, cette remise à niveau de notre droit des contrats va permettre à la France d’exercer son influence comme source d’inspiration pour les législateurs étrangers.

La teneur du projet d’ordonnance est-elle issue de la seule jurisprudence ?

Notre droit des contrats n’est plus aujourd’hui un droit civiliste mais un droit prétorien.

Philippe Dupichot  : Notre droit des contrats n’est plus aujourd’hui un droit civiliste mais un droit prétorien. De plus, il cumule les inconvénients de la civil law (rigidité du fond à raison d’une forme codifié) et de la common law (inaccessibilité et imprévisibilité).

Le texte contiendra certes des nouveautés mais, pour l’essentiel, il consolidera la sédimentation de la jurisprudence tout en consacrant des distinctions éprouvées en doctrine. La réforme paraît, en l’état, constituée aux trois quarts de consolidations et d’un quart d’innovations. La partie consacrée aux négociations précontractuelles sera par exemple nouvelle en la forme mais elle recevra, pour l’essentiel, les solutions jurisprudentielles actuelles issues de la jurisprudence Manoukian.

Le regroupement des textes facilitera leur consultation matérielle, gratuite sur Legifrance, et surtout la compréhension d’un droit des contrats réécrit dans un français moderne et accessible. Les règles de droit seront donc plus intelligibles pour le justiciable.

Cette réforme va-t-elle susciter de nouveaux risques juridiques ?

Le rôle accru du juge peut faire peur mais son intervention est là pour sauver le contrat dans certaines hypothèses et le faire perdurer.

Jean-Marc Desaché : Il existe un vrai-faux risque qui est celui du juge. Aujourd’hui, celui-ci est très présent dans notre système. L’avant-projet prévoit de renforcer cette présence, point très critiqué par les détracteurs du texte, le juge étant perçu comme un facteur d’incertitudes.
Le rôle accru du juge peut faire peur mais son intervention est là pour sauver le contrat dans certaines hypothèses et le faire perdurer (détermination du prix ; clause abusive ; imprévision).

Philippe Dupichot  : La révision pour imprévision est largement répandue et les PDEC (6-111) invitent à les consacrer pour cette raison. Il est toutefois compréhensible que pareille adaptation judiciaire des contrats inquiète les entreprises : pour nombre de celles-ci, lorsqu’une partie s’est engagée dans un contrat, elle doit assumer les risques de bouleversement qui y sont liés.

Il faut insister sur ce que les dispositions nouvelles admettent non la révision mais la seule résiliation pour imprévision. Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie, une renégociation peut être demandée. Pendant ce temps là, les deux parties doivent continuer à remplir leurs obligations. En cas de refus ou d’échec de ces négociations, les deux parties peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à une adaptation du contrat. Mais aucune révision n’interviendra sans un mandat commun des deux parties : ce n’est donc pas une révision pour imprévision. Sur la demande unilatérale de la partie qui subit le bouleversement, le juge ne pourra que résilier le contrat dont l’exécution serait devenue excessivement onéreuse.

Philippe Dupichot, membre du conseil scientifique de Gide Loyrette Nouel et professeur de droit à l’Ecole de Droit de la Sorbonne (Université Paris 1)

Surtout, l’ensemble du dispositif nouveau est supplétif : les parties pourront convenir d’une clause excluant toute résiliation pour imprévision et laissant à leur charge le risque d’une excessive onérosité. Alors, le contrat devra être exécuté coûte que coûte alors même que cette exécution serait excessivement onéreuse pour l’une des parties.

Bruno Dondero  : Quand le juge intervient aujourd’hui dans le contrat, c’est surtout pour sanctionner l’usage abusif qui serait fait par l’une des parties d’une prérogative unilatérale. S’émouvoir du rôle conféré au juge par le texte est une critique paradoxale. Actuellement, nous avons un droit des contrats qui est quasiment de common law : je veux dire par là qu’il est fait par le juge depuis deux cent dix ans. Le législateur prend la suite du travail effectué par le juge.

La réforme n’est-elle pas plus avantageuse pour le client au détriment du professionnel/prestataire ?

La réforme n’est pas plus avantageuse pour le client que pour le professionnel : elle a pour objectif de rétablir un certain équilibre entre les parties.

Jean-Marc Desaché  : La réforme n’est pas plus avantageuse pour le client que pour le professionnel : elle a pour objectif de rétablir un certain équilibre entre les parties.

Mais il est vrai que la possibilité que les parties ne soient pas sur un même pied d’égalité est prise en compte dans le nouveau droit des contrats. La prohibition généralisée des clauses abusives est un parfait exemple du nouvel équilibre recherché par le législateur. La directive n° 93/13/CEE du 5 avril 1993 transposée par la loi du 1er février 1995 concernant les clauses abusives et la présentation des contrats et régissant diverses activités d’ordre économique et commercial, a posé les contours de l’actuelle définition des clauses abusives dans les contrats de consommation. Ces clauses abusives sont donc apparues dans un premier temps en droit de la consommation puis dans la relation entre professionnels. Aujourd’hui, on les généralise, ce qui est regrettable.

Bruno Dondero  : C’est vrai que le texte, tel qu’il est présenté sur les clauses abusives, envoie un message inquiétant. A la lecture de ce mécanisme, on a l’impression que le juge va pouvoir « se promener » au milieu des contrats et pouvoir, à la demande des parties, remettre en question telle ou telle clause.

Bruno Dondero, membre du conseil scientifique de Gide Loyrette Nouel et professeur de droit à l’Ecole de Droit de la Sorbonne (Université Paris 1)

L’admission de la violence économique est une autre approche pour lutter contre les déséquilibres contractuels. Elle résulte directement du Parlement qui a exigé des dispositions permettant de sanctionner le comportement d’une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l’autre. Le gouvernement a répondu à cette exigence en précisant dans le texte qu’il y a violence économique lorsqu’une partie abuse de l’état de nécessité ou de dépendance dans lequel se trouve l’autre partie pour obtenir un engagement que celle-ci n’aurait pas souscrit si elle ne s’était pas trouvée dans cette situation de faiblesse.

Comme pour les clauses abusives, ce principe n’est pas nouveau puisqu’on peut le trouver en droit pénal, en droit des marchés financiers ou encore en droit de la consommation.

De même, l’obligation d’information est renforcée. Le contractant qui connaît ou devrait connaître une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre, doit l’en informer lorsque ce dernier ignore cette information.

Propos recueillis par Réginald Le Plénier Rédaction du Village de la justice

[1La loi du 16 février 2015 l’avait autorisé à procéder à cette réforme par voie d’ordonnance.