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Dirigeants de société : vos droits en matière de révocation. Par Violaine de Filippis, Avocate.
Parution : vendredi 18 septembre 2015
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A titre liminaire, pour les non initiés et parce que les dirigeants de PME font souvent l’amalgame, il sera précisé que la direction d’une société est à envisager distinctement de la détention du capital. Un dirigeant peut être associé, comme il peut ne pas l’être, et inversement. Naturellement, ces deux aspects étant distincts, la révocation d’un dirigeant (gérant, président etc.) n’a pas pour conséquence la cession de ses parts.

La révocation des dirigeants est libre. Ce principe de libre révocation est d’ordre public.

Le régime de révocation des dirigeants de société diffère en fonction de la forme de la société, et de ses statuts. Deux types de régime de révocation coexistent :

- la révocation ad nutum (sans motif) : Mode de révocation permettant de révoquer le dirigeant sans motif. Cela concerne les Membres du Conseil d’Administration de SA classique, le Président du Conseil d’Administration de SA classique, le Président et membres du Conseil de Surveillance d’une SA dualiste, le Président de la SAS (selon les statuts).

- la révocation pour juste motif : Mode de révocation permettant de révoquer le dirigeant en se fondant sur des griefs. Cela concerne les Directeurs Généraux de SA, Directeurs Généraux délégués de SA, Membres du directoire d’une SA dualiste, Gérants de SARL, Gérants de sociétés en commandite par actions, Gérants de SNC, Président de la SAS (selon les statuts).

Dans le cadre de la révocation pour juste motif, l’absence de motif ouvre droit à des dommages et intérêts.

A l’inverse, dans le cadre de la révocation ad nutum, il est interdit au juge de contrôler les motifs, (même s’ils sont mentionnés dans le procès-verbal de révocation), c’est-à-dire de se prononcer sur la valeur ou la pertinence de ceux-ci.

Toutefois, le régime de la révocation ad nutum tend à se rapprocher de celui de la révocation sur juste motif. En effet, la jurisprudence encadre de plus en plus la révocation ad nutum des dirigeants. Que ce soit dans le cadre d’une révocation ad nutum, ou sur juste motif, la révocation ne doit pas être abusive.

La révocation dans des circonstances brutales et vexatoires (B) et sans respect de l’obligation de loyauté de la société envers son dirigeant (A) peut donner lieu au paiement de dommages et intérêts au dirigeant.

A. La violation de l’obligation de loyauté de la société à l’égard de son dirigeant.

Le dirigeant doit être en mesure d’entendre les reproches qui lui sont faits, et de faire part de ses observations avant que ne soit prise la décision de révocation [1].

La rupture devient fautive lorsque le dirigeant n’a pas été en mesure d’entendre ces reproches, ni de présenter sa défense [2].

Ainsi, en cas de contentieux, si le mandataire social n’a pas été averti et entendu, il pourra prétendre à des dommages et intérêts.

La charge de la preuve pèse sur la société. Autrement dit, il revient à la société de démontrer qu’elle a bien convoqué et entendu le dirigeant dont elle envisageait la révocation.

Certaines juridictions du fond n’applique l’exigence d’entendre le dirigeant préalablement à sa révocation, que lorsque le capital de la société est détenu par plusieurs associés ayant un pouvoir décisionnel indépendant [3]. Toutefois, cette position n’est pas majoritaire.

Le dirigeant d’une société, doit donc pouvoir

- s’entretenir préalablement avec les associés qui envisagent de le révoquer ;
- avoir parfaitement connaissance des griefs qui lui sont reprochés ;
- présenter ses observations et sa défense ;
- ne pas avoir été démis de ses fonctions avant la date de l’assemblée générale le révoquant (autrement dit, le successeur ne doit pas avoir été nommé avant que la révocation ne soit régulièrement actée).

B. Les circonstances brutales et vexatoires.

La révocation du dirigeant devient également abusive si elle est accompagnée de circonstances brutales, ou si elle a été prise dans des conditions qui portent atteinte à sa réputation ou à son honneur [4].

Ainsi, la jurisprudence a d’ores et déjà retenu comme fautifs les faits suivants :

- exiger la remise des effets personnels du dirigeant (clefs, badges, ordinateur, etc.) le jour même de sa révocation ;
- changer les serrures le jour même de sa révocation ;
- donner une publicité, même locale, à la révocation (journaux locaux par exemple) ;
- altérer la réputation professionnelle de l’ancien dirigeant.
- etc.

En cas de contentieux, l’ancien dirigeant pourra solliciter l’indemnisation de son préjudice moral [5].

Toutefois, la jurisprudence tend à refuser l’indemnisation du préjudice économique, en ce qu’il ne résulte ni de la violation du contradictoire, ni de circonstances vexatoires, mais du simple exercice du droit de révocation.

Pour terminer, il sera précisé que naturellement, la question de la révocabilité ad nutum est totalement indépendante de celle de l’octroi d’une indemnité contractuelle, souvent appelée communément "golden parachute" ou "parachute doré".

Cette indemnité prévue en cas de cessation des fonctions du dirigeant est le plus souvent, subordonnée à l’absence de faute grave ou lourde de ce dernier. Cela implique pour la société, de pouvoir justifier d’un motif de révocation afin d’être déliée de son obligation de reverser une indemnité au dirigeant.

Violaine de Filippis Avocate

[1Cass. Com. 15 mai 2007.

[2Cour d’Appel de Paris, 17 janvier 2003.

[3Cour d’appel de Versailles, 5 juin 2003.

[4Cass. Com, 3 Janv.1996.

[5Cass. Com, 29 mars 2011.