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L’escroquerie au président : « la filière » polonaise. Par Lucien Peczynski, Avocat.
Parution : mercredi 23 septembre 2015
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Bien que l’escroquerie au faux ordre de virement international (F.O.VI.), appelée également « arnaque au président » soit connue depuis 2011, elle n’a pas perdu de son ampleur et de nombreuses entreprises françaises (allant des plus prestigieuses du CAC 40 aux PME) demeurent toujours victimes de cette pratique criminelle. La Pologne est souvent utilisée comme premier lieu de transit des fonds détournés.

Mode opératoire

De quoi s’agit-il ? Un individu se fait passer pour un haut dirigeant d’une entreprise et demande généralement à un employé de son service comptable ou financier d’effecteur en urgence un virement bancaire international en vue d’une transaction hautement confidentielle (par exemple pour acquérir des parts de marché, éviter un redressement fiscal, etc.). Ce comportement constitue un exemple de délit d’escroquerie par usage d’une fausse qualité et par emploi de manœuvres frauduleuses sanctionné par l’article 313-1 du Code pénal de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amande. En Pologne, la même infraction est sanctionnée de 8 ans d’emprisonnement (article 286 du Code pénal polonais).

Comment se fait-il que ces demandes soient satisfaites sans qu’on puisse s’apercevoir de l’arnaque ?

Les criminels préparent longuement l’opération. Ils étudient l’organigramme de l’entreprise en utilisant les informations qu’ils trouvent sur Internet ou celles publiées directement par l’entreprise, leur permettant ainsi d’intercepter la signature du dirigeant figurant sur des documents officiels. La phase « d’ingénierie sociale » peut être bien plus poussée et il arrive parfois que les escrocs vont jusqu’à introduire un complice au sein même de l’entreprise cible pour mieux connaître son fonctionnement. Après ces préparations minutieuses, les criminels passent à l’acte et demandent par e-mail ou par téléphone à l’employé « sélectionné » d’effectuer un (ou plusieurs) virement bancaire :

Les e-mails peuvent être envoyés de l’adresse e-mail usurpée du dirigeant qui donne prétendument l’ordre. Le plus souvent toutefois les escrocs créent une adresse e-mail si proche que le destinataire croit en toute bonne foi qu’il s’agit d’une adresse authentique.

Dans le cas des arnaques opérées directement par téléphone, la fraude semble plus simple à démasquer. Toutefois, la personne qui appelle sait imiter la voix, la façon de parler du dirigeant pour lequel elle se fait passer, connaissant ses mots ou expressions préférées de sorte qu’au final il est tout aussi facile de se laisser abuser.

Il existe plusieurs variantes d’escroquerie au faux virement, quelques exemples :

-  des individus se font passer pour des fournisseurs (bailleur par exemple) et communiquent un changement de domiciliation bancaire sur lequel l’entreprise effectuera désormais ses paiements,

-  des « techniciens » viennent de mettre à jour le logiciel de la banque et demandent un « virement d’essai » pour effectuer un test,

-  le dirigeant mène une acquisition totalement confidentielle au sein même de son entreprise, raison pour laquelle il demande à la personne choisie dans l’entreprise de ne révéler l’opération à personne d’autre …

La destination finale de ces virements est fréquemment la Chine ou Israël, mais le premier virement est, pour ne pas éveiller les soupçons, fréquemment réalisé à destination d’un pays de l’Union Européenne dans lequel il est aisé d’ouvrir un compte bancaire, par exemple en Pologne pour les cas qui nous intéressent.

Lorsque les fonds transitent par la Pologne

Que faire lorsqu’on s’aperçoit que l’on a été victime de cette arnaque ?

Les premiers jours, voire les premières heures, sont primordiales. Ce n’est pas sans raison que ces escroqueries sont fréquemment initiées les vendredi après-midi ou la veille d’une fête ou d’un pont. Avant que l’entreprise touchée ne s’aperçoive qu’elle a été victime d’une fraude, les malfaiteurs ont souvent eu suffisamment de temps pour faire disparaître les fonds.

En tout état de cause, dès que l’entreprise a connaissance de l’attaque, elle doit agir immédiatement. Ainsi, il est essentiel d’avertir non seulement sa banque en France mais également la banque polonaise destinataire du virement indu.

Il arrive ainsi heureusement que les fonds n’ont pas encore intégralement disparu dans la nature et que tout ou partie de la somme est susceptible d’être récupérée.

En France, sur la base de l’article L.133-18 2 du Code monétaire et financier, la banque rembourse en cas de fraude signalée la somme du virement qui, en principe, était instantané et irrévocable. Toutefois, en pratique, on ne dispose que d’un délai de 3 ou 4 heures durant lesquelles il est possible de récupérer l’argent. Ainsi, il est conseillé de bloquer au même temps le compte rebond.

En Pologne, une banque suspectant que des fonds proviennent d’une origine criminelle a la possibilité de bloquer un compte durant 72 heures sans qu’aucune autorisation judiciaire de saisie ne soit requise (article 106a de la loi bancaire polonaise du 29 août 1997). Ce blocage n’étant toutefois pas systématique, l’entreprise victime a tout intérêt à contacter rapidement un cabinet d’avocats spécialisé qui saura mettre la banque en face de ses responsabilités et déposera dans la foulée plainte auprès du Procureur local sur le fondement de l’article 16 de la loi polonaise du 16 octobre 2000 sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

A l’issue de ces démarches, il sera plus aisé d’obtenir une autorisation du Procureur polonais visant à prolonger le blocage du compte suspect au-delà des 72 heures initiales.

Le rôle de l’avocat se poursuivra, notamment, par l’assistance du Procureur polonais dans ses contacts avec son homologue français qui aura été également saisi, ce qui accélère significativement l’enquête dans les deux pays, le temps étant un facteur clé dans ce type d’affaires.

En parallèle, il est également possible de mettre en cause la responsabilité de la banque française qui aurait négligé son obligation de vigilance imposée par l’article L.561-10-2 du Code monétaire et financier au regard de la lutte contre le blanchiment des capitaux.

Lucien Peczynski Avocat COPERNIC AVOCATS