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Rappel des règles de responsabilité pénale à travers l’accident tragique de la Techno Parade. Par David Marais, Avocat.
Parution : lundi 28 septembre 2015
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Le drame de la Techno parade, et de ce jeune homme qui a chuté de la statue de la place de la République, pose la question de la responsabilité pénale des uns et des autres : le grimpeur, le public - notamment ceux qui ont pu l’encourager -, les organisateurs, la Mairie.
Certains on pu dire que "la loi n’interdit pas aux gens d’être idiots", mais est-ce vrai ?
A notre sens, non : la loi interdit aux gens d’être idiots et c’est heureux. Rappel et retour sur ces responsabilités au regard du droit pénal.

L’un de mes confrères et ami disait en commentant le triste événement du 19 septembre 2015, où un jeune homme a trouvé la mort en tombant de la statue de la place de la République sur laquelle il tentait de grimper, encouragé en cela par le public : "la loi n’interdit pas aux gens d’être idiots".

Cette affirmation n’est pas totalement vraie et – en toute amitié avec ce confrère – elle m’incite à rappeler (et me le permet) certains principes de droit pénal. Surtout, elle permet d’évacuer – à mon goût un peu trop vite et trop facilement - la responsabilité qui pèse et doit peser sur chaque citoyen face à ce genre de drame.

Sur un plan ontologique il est évident que la loi ne peut interdire à un « être » « d’être » idiot. Certains le revendiquent, d’autres ne s’en rendent pas compte, mais tout un chacun peut être aussi stupide qu’humainement possible en toute légalité. Personne d’ailleurs ne s’en prive. Et si cette interdiction existait il y a fort à parier que nos rues seraient sans doute dépeuplées et que le "trône" du "roi" des imbéciles - pour faire un clin d’œil à Renaud - serait à jamais vacant. Moi-même serais-je sans doute mis aux arrêts pour ce délit. La seule question étant : qui pourrait encore m’interpeller ?

Bref, malheureusement, - pour paraphraser un autre poète : la loi "ne fait rien à l’affaire" quand on est idiot, on est idiot et on vit avec autant que faire se peut.

Mais sur un plan juridique, je suis en profond désaccord avec mon confrère et ami. Oui la loi – et particulièrement la loi pénale - « interdit aux gens d’être idiots ».

Par définition le droit pénal (puisque c’est de cela dont on parle ici, amis idiots faites un effort) a pour but de sanctionner et d’empêcher des comportements négatifs, anormaux, anti-sociaux : que ce soit - pour garder des termes simplificateurs voire simplistes - ceux des "méchants" (tueurs, agresseurs), des "monstres" (violeurs, pédophiles), des "escrocs" (voleurs, escrocs, auteur d’abus...) ou des "négligents" mais aussi des simples "idiots".

Plus particulièrement, la loi fait tout pour éviter aux idiots - (à défaut d’être) - d’agir ; elle fait son maximum pour les contenir, pour les empêcher de nuire, parfois contre eux-mêmes.

La loi interdit donc « aux gens » « d’être idiots ». Non pas au sens de ce qu’ils sont mais au sens de ce qu’ils font : elle interdit « d’agir » en idiot.

Ici les "idiots" – au sens de ceux qui ont agi comme tels - à qui peut s’appliquer la loi pénale sont nombreux : le malheureux grimpeur, les personnes l’ayant encouragé, les organisateurs, les autorités publiques.....

Reste à savoir et à rappeler - à travers ce cas particulier - les contours et les limites de la responsabilité pénale de chacun.

1. Première réflexion, la première « idiotie », cette escalade, était-elle interdite par la loi pénale ?

La loi pénale intervient pour tenter de prévenir qu’un individu se fasse du mal : consommation de stupéfiants (L. 3421-1 Code de la santé publique), conduite sous l’empire d’un état alcoolique (L. 234-1 Code de la route) ou de stupéfiants (L. 235-1 Code de la route), conduite sans permis (L. 224-16 Code de la route), « provocation » au suicide (art. 223-13 Code pénal) sont interdites et sanctionnées. Mais elle ne sanctionne pas un individu qui se fait ou s’est fait du mal à lui-même : ainsi le suicide (ou plus précisément sa tentative) comme les blessures (scarification etc..) ne sont pas réprimés.

Ce malheureux jeune homme ayant agi seul et par lui-même, et si l’on rappelle qu’il n’y a pas de délit interdisant formellement de grimper sur un monument, serait-il dès lors paradoxalement à l’origine de tout et responsable – pénalement – de rien ? Serait-il le seul à avoir eu le droit d’être « idiot » ? La question peut paraître choquante au regard de ce qui s’est passé, mais elle ne manquera pas de se poser et d’être posée si un contentieux est ouvert par ses proches contre d’éventuels « responsables ».

Et s’il n’était pas en infraction en grimpant cette statue est-ce à dire que l’on ne pouvait pas l’arrêter ? Que l’on ne devait pas l’arrêter ? Est-on, de par le droit, « le gardien de son frère » humain ?

D’une part, et sans manque de respect pour le défunt, il n’est pas totalement exclu que celui-ci ne commettait pas une infraction en faisant cette escalade. Certes on ne peut lui reprocher le fait qu’il se soit mis lui-même en danger car rien ne l’interdit. Mais en se mettant en danger, l’on peut considérer qu’il a également mis autrui en danger, son action pouvant blesser des tiers. Or la mise en danger d’autrui est quant à elle réprimée par le Code pénal (art. 223-1 Code pénal). Resterait à démontrer que cette action était précisément et formellement interdite par « obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par une loi ou un règlement » posant «  un modèle de conduite circonstanciée » (une norme générale de prudence ou de sécurité étant insuffisante cf. M. Puech De la mise en danger d’autrui : D. 1994, chron. p. 153) que le grimpeur a choisi de ne pas respecter. Celle-ci pourrait se trouver dans les arrêtés municipaux de la ville de Paris, ce que notre connaissance de ces textes ne nous permet pas de déterminer (un texte existe a priori pour la Tour Eiffel mais quid de la statue de la place de la République ?). Toutefois dans l‘hypothèse de l’existence d’une telle « norme de sécurité » (interdiction de grimper, obligation d’être « assuré », « équipé »…), la loi pénale lui interdisait bien de faire cette escalade « idiote ».

D’autre part, et surtout, peu importe qu’au moment où ce jeune homme grimpait sur cette statue celui-ci soit en train de commettre ou non une infraction, ceux qui étaient autour, membres du public, autorités, organisateurs, sécurité, avaient l’obligation d’intervenir et peuvent porter une responsabilité pénale – en sus de la responsabilité morale - de leur propre idiotie : leur inaction.

2. Deuxième question, l’inaction, voire les encouragements du public peuvent-ils être sanctionnés en eux-mêmes ?

Il faut tout d’abord rappeler que la responsabilité pénale collective n’existe pas. Le code pénal est clair "nul n’est pénalement responsable que de son propre fait" (art. 121-1). Dès lors il faudrait identifier une par une chaque personne qui pourrait l’avoir encouragé et savoir exactement dans quelle mesure et dans quels termes.

Mission quasi impossible.

Mais si cela était possible, pour quelle infraction- cette "idiotie" pourrait être poursuivie ?

Même si la douleur de la famille est compréhensible, le terme "assassinat" est évidemment inapproprié. L’assassinat (art. 221-3 Code Pénal) c’est l’homicide volontaire prémédité. C’est la volonté de tuer, non pas sur une impulsion mais bien avec une préparation, une maturation du projet. La qualification de meurtre, définit comme «  le fait de donner volontairement la mort à autrui » (art. 221-1 CP) n’est d’ailleurs pas plus possible. Ceci pour une raison simple : a priori personne ne souhaitait la mort de ce jeune, personne ne voulait lui ôter la vie. Or, même si la conséquence tragique, le décès, est au final réalisée, l’intention – élément essentiel de toute infraction – de donner la mort (ou « animus necandi  ») n’existe pas en l’espèce.

Et même si, secrètement, méchamment, intérieurement, une personne du public avait eu ce souhait en l’encourageant, il ne pourrait être poursuivi pour homicide volontaire. D’une part, parce que son intention serait improuvable et, d’autre part et surtout, parce qu’au-delà de la volonté une infraction n’est punissable que si une personne fait des actes positifs – des actions - pour concrétiser son intention. Dans le cadre de l’homicide volontaire, ces actes doivent être « des violences physiques  » qui « donnent la mort » : frapper avec une arme blanche, tirer avec une arme à feu etc… or, ici personne n’a tenté d’agir pour lui donner la mort : personne ne l’a poussé, personne ne l’a tiré. Il s’agit bien au contraire d’abstention : une grande partie du public n’a « rien fait » pour l’empêcher de grimper. Quant à « l’incitation », « l’encouragement » à l’escalade ils n’entrent pas à notre sens dans la catégorie des « violences physiques » (au même titre que les « souffrances morales » infligées ou les « sortilèges et envoutements » prononcés – cf. Jurisclasseur, Code pénal, Art . 221-1, Fasc. 20, n°29 et 30).

A l’inverse, ceux qui ont encouragé, comme ceux qui ont regardé, bref tous ceux qui n’ont « rien fait » pour l’empêcher de grimper ou le faire cesser, pourraient pour cette inaction – là encore à notre sens et sous réserve d’être individuellement identifiés – être poursuivis pour non-assistance à personne en danger (art. 223-6 al.2 Code pénal).

La non-assistance à personne en péril est définie comme le fait de s’abstenir volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.

Poursuites ne signifiant pas condamnation, se poserait la question de savoir si les conditions de cette infraction sont réunies : existence d’un péril, gravité et imminence de celui-ci, conscience du péril, inaction malgré cette conscience.

Si la défense n’hésiterait pas à plaider que le péril était éventuel - et non "existant et imminent" (après tout l’escalade de cette statue n’avait jamais fini en tragédie auparavant) - et que dès lors nul ne pouvait penser que ce jeune homme était en danger - absence d’élément matériel, absence d’élément moral – le juge pourrait, nous semble-t-il, tout à fait déduire de la réalisation de ce danger, la mort de ce jeune homme, qu’au moins à un instant T nul ne pouvait se méprendre sur la gravité du péril et la nécessité d’agir pour le sauver.

Le droit pénal viendrait ainsi sanctionner « l’idiotie » consistant à ne pas avoir agi face à ce jeune qui se mettait en péril, ou pire, à l’encourager. Le juge rappelant ainsi à chaque citoyen qu’il est "le gardien de son frère".

Reste la question d’une responsabilité pénale liée à la conséquence de cette inaction : la mort de ce jeune homme. Question qui se pose également pour les organisateurs et les autorités publiques.

3. Troisième question, quelle responsabilité pour le décès du grimpeur ?

L’article 221-6 du Code pénal incrimine les « homicides involontaires  » et sanctionne les personnes qui par « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement  » et – plus sévèrement – par « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement » ont causé « la mort d’autrui  ».

L’article 121-3 du Code pénal précise les conditions d’engagement de la responsabilité des personnes physiques et morales susceptibles d’être poursuivies en cas d’accident mortel.

Les personnes morales voient leur responsabilité pénale engagée par une simple faute « d’’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » si son représentant « n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait » .

Cette qualification pourrait permettre d’engager la responsabilité des personnes morales impliquées dans ce triste accident : la société de l’organisateur ou la société chargée de la sécurité pour leur « négligence », leur « imprudence » celles-ci n’ayant pas été « diligentes » dans la mise en place de la sécurité de la manifestation et ayant ainsi contribué à ce décès alors qu’elles avaient évidemment les moyens et pouvoirs de l’éviter.

La ville de Paris quant à elle ne pourrait voir sa responsabilité de personne morale de droit public engagée qu’à la condition que l’évènement puisse intégrer la catégorie « des activités susceptibles d’une délégation de service public  » (art. 121-2 Code pénal).

Concernant les personnes physiques, il convient de distinguer celles qui ont « directement » causé le dommage et celles qui n’ont «  pas causé directement le dommage mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter ».

Les premières peuvent être poursuivies pour une simple faute de négligence, comme les personnes morales, les secondes seulement s’il est démontré « qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ».

Les personnes qui ont regardé ou encouragé le grimpeur pourraient être considérées comme « ayant contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage  », leur responsabilité pénale pour le décès intervenu découlant alors de leur « violation délibérée  » d’une norme de sécurité ou – plus justement – de leur «  faute caractérisée » consistant à ne pas avoir aidé une personne en péril alors que la loi les y obligeait (Cf. Jurisclasseur, art. 221-6 CP, Fasc. 20, n°139).

Elles pourraient même être intégrées dans la catégorie des auteurs « directs » du dommage. Traditionnellement sont visées sous ce vocable les personnes qui ont eu un contact physique - direct ou via un bien ou un animal - avec la victime. Toutefois, la jurisprudence y inclut également les personnes qui ont eu "une action essentielle et déterminante" dans la mort de la victime (l’encouragement ?) ou « aurait pu l’éviter » (l’inaction ?). Dans cette hypothèse, une simple faute de négligence ou d’imprudence – ne pas l’empêcher de monter, diligence normale d’un citoyen modèle - suffirait à engager leur responsabilité.

En tout état de cause, l’engagement de la responsabilité pénale des membres du public - sous la réserve de leur identification précise - pour "homicide involontaire" nous paraît - théoriquement - possible.

Concernant les « décideurs » (le chef de l’entreprise organisatrice, ou de l’entreprise chargée de la sécurité, et la maire de Paris ou son délégataire), leur lien avec le drame est évidemment « indirect ». Leur responsabilité ne pourrait donc être engagée que s’il était prouvé une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité ou une faute caractérisée.

La faute caractérisée est une défaillance « qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ». La question qui pourrait donc être soulevée ici est simple : à de nombreuses reprises, lors des dernières manifestations, des personnes sont montées sur cette statue. Si il n’y a jamais eu – heureusement – de drames auparavant, le caractère extrêmement dangereux de cette pratique n’a pu échapper à personne. Dès lors, le fait pour les organisateurs et autorités publiques de ne rien faire pour empêcher cela malgré cette connaissance du risque n’entre-t-il pas dans cette définition de la faute caractérisée ? A notre sens, l’affirmative l’emporte (en ce sens : Crim. 18 mars 2003, n° 02-83523, pour un maire qui n’avait pas réglementé la circulation de la dameuse sur les pistes de luge, causant la mort d’un enfant, alors qu’il « connaissait la configuration des lieux » ; v. également : Crim. 11 juin 2003, 02-82622).

Ainsi, là encore « l’idiotie », ou bien plutôt les abstentions coupables et fautes que ce terme peut recouvrer, serait sanctionnée, et ce à tous les niveaux, de l’individu à l’autorité publique.

4. Enfin a pu être évoquée la question de la diffusion d’images et/ou de commentaires concernant ce malheureux jeune homme.

Il existe une infraction (art. 226-1 Code pénal) réprimant le fait de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui notamment en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne. Toutefois, cette infraction n’est punissable que si la personne filmée ou photographiée « se trouvait dans un lieu privé », ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Si la possibilité d’empêcher la diffusion des images de ce drame sort du cadre de cette étude – consacrée au droit pénal – signalons tout de même que les proches peuvent agir en ce sens au civil en cas « d’atteinte à la mémoire ou respect dû au mort  ».

Concernant les commentaires sur ce jeune homme, dont potentiellement le fait de le traiter « d’idiot », ils peuvent tomber sous le coup de l’article 34 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 qui vise l’injure et la diffamation dirigées contre la mémoire des morts. Toutefois, les poursuites ne sont possibles que si des proches vivants sont également touchés.

David Marais Avocat au Barreau de Paris Ancien Secrétaire de la Conférence