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La protection fonctionnelle : un droit souvent mal connu de ses bénéficiaires. Par Vivien Guillon, Avocat.
Parution : mercredi 30 septembre 2015
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Fréquemment, les agents publics, qu’ils soient fonctionnaires ou agents non titulaires, ignorent qu’ils sont en droit de bénéficier, dans certaines circonstances, de la protection de leur administration (1).

Bien plus, lorsqu’ils bénéficient de cette protection, l’administration ne les informe pas toujours de son étendue (2).

Il est donc utile de rappeler de façon synthétique non seulement les conditions et la mise en œuvre de la protection fonctionnelle, mais aussi les recours contentieux susceptibles d’être intentés lorsque la protection est refusée ou est insuffisante.

1. La protection fonctionnelle concerne les fonctions exercées par tous les agents publics, qu’ils soient fonctionnaires, stagiaires, ou agents non titulaires.

Il résulte de l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires que ceux-ci bénéficient à l’occasion de leurs fonctions d’une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie dans deux séries de cas :

-  lorsqu’ils font l’objet de poursuites civiles ou pénales à raison d’une faute qui doit être en lien avec le service ;

-  lorsqu’ils sont victimes d’infractions pénales à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.

La dernière phrase de cet article étend le champ d’application de la protection fonctionnelle « aux agents publics non titulaires ».

Ainsi, la protection fonctionnelle bénéficie tant aux vacataires [1] qu’aux titulaires de contrats à durée déterminée ou indéterminée, dès lors qu’ils travaillent pour le compte d’un service public local ou national à caractère administratif, et ce, quel que soit leur emploi [2].

Enfin, il importe de souligner que les conjoints, enfants ou ascendants directs d’un agent public peuvent se voir accorder la protection fonctionnelle par l’administration dès lors qu’ils sont victimes de faits qui se rattachent aux fonctions exercées par l’agent.

Dès lors, contrairement à une idée très répandue dans le secteur public, la protection fonctionnelle concerne non seulement les fonctionnaires, mais également les agents contractuels, les vacataires et, le cas échéant, la famille des agents.

Bien entendu, la protection fonctionnelle concerne indifféremment la fonction publique de l’Etat, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière.

2. La mise en œuvre de la protection fonctionnelle

Le régime de la protection fonctionnelle revêt différentes implications selon qu’elle est accordée à un agent mis en cause (2.1.) ou à un agent victime (2.2.).

Le rejet d’une demande de protection fonctionnelle ou l’insuffisance des mesures mises en place peuvent faire l’objet de recours devant la juridiction administrative (2.3).

2.1. La protection de l’agent mis en cause

La protection fonctionnelle est due lorsque l’agent est poursuivi par un tiers à raison de faits qui se rattachent à l’exercice de ses fonctions et qui peuvent, en conséquence, être qualifiés de faute de service.

Selon la jurisprudence administrative, la faute de service est une simple erreur ou une négligence commise par un agent à l’occasion de son service.

En revanche, lorsque les faits pour lesquels l’agent est poursuivi révèlent « l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences » [3] et se détache matériellement ou intellectuellement du service, ils seront qualifiés de faute personnelle et ne pourront dès lors faire l’objet d’une protection fonctionnelle.

En pratique, une faute est personnelle lorsqu’elle revêt un caractère d’exceptionnelle gravité, un excès de comportement ou encore des préoccupations d’ordre privé.

Ainsi, lorsqu’un agent est poursuivi par un tiers à raison d’une faute de service, l’administration qui l’emploie est tenue :

-  de l’aider à recourir au ministère d’avocat, soit en lui proposant les services de l’avocat de la collectivité, soit en prenant en charge les honoraires de l’avocat choisi par l’agent ;

-  de prendre en charge le montant des condamnations civiles prononcées à son encontre ;

-  de prendre en charge les frais d’avocat de la partie adverse si l’agent a été condamné à les payer.

2.2. La protection de l’agent victime

La protection fonctionnelle est également due lorsqu’un agent est victime de faits perpétrés à son encontre à raison des fonctions qu’il exerce.

Comme le prévoit l’article 11 du statut général de la fonction publique, ces faits peuvent être des « menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages  ». Par ailleurs, le juge administratif a étendu les cas d’ouverture de la protection fonctionnelle aux faits de harcèlement moral [4].

En pratique, peu importe que l’auteur des agissements soit un membre du service dans lequel travaille l’agent, un subordonné, un représentant d’une organisation syndicale, un usager, un journaliste, un écrivain, ou encore une personne inconnue.

En revanche, il convient de souligner que la protection fonctionnelle d’un agent à raison d’agissements du supérieur hiérarchique ne peut être mise en œuvre que si les agissements en cause ne sont pas rattachables à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, notamment en raison de leur caractère excessif ou de leur motivation étrangère à l’intérêt du service [5].

Ainsi, lorsqu’un agent est victime d’agissements qui présentent un lien suffisant avec ses fonctions, l’administration qui l’emploie est tenue de l’aider à recourir au ministère d’avocat, soit en lui proposant les services de l’avocat de la collectivité, soit en prenant en charge les honoraires de l’avocat qu’il a choisi.

L’administration doit en outre, selon les circonstances :

-  traduire l’auteur des menaces ou attaques devant un conseil de discipline dans le cas où il est lui-même agent public ;

-  affirmer publiquement son soutien à l’agent mis en cause ou victime, soit en informant toutes les personnes ayant côtoyé l’agent mis en cause du défaut de fondement des accusations portées contre lui, soit en condamnant publiquement l’auteur d’attaques ou d’injures.

2.3. Le contentieux de la protection fonctionnelle

Lorsqu’un agent sollicite le bénéfice de la protection fonctionnelle, l’administration dispose d’un délai de deux mois pour y donner suite. À défaut, la demande est implicitement rejetée.

Quelle que soit la forme du refus, celui-ci peut faire l’objet d’un recours en annulation devant le juge administratif.

En cas d’urgence, notamment dans l’hypothèse où l’agent doit exposer des frais importants pour assurer sa défense, le juge peut également être saisi d’un référé-suspension, c’est-à-dire d’un recours permettant de bloquer les effets de la décision de refus et de contraindre l’administration à mettre en œuvre la protection fonctionnelle.

Enfin, l’agent peut former contre son administration un recours tendant à la prise en charge des frais qu’il a dû exposer pour sa défense et à la réparation, le cas échéant, de ses préjudices.

À la lumière de ces éléments, la protection fonctionnelle apparaît comme un dispositif visant à permettre aux agents publics d’exercer sereinement leurs fonctions, dans le but d’une meilleure satisfaction de l’intérêt général.

C’est la raison pour laquelle, dès lors que les fonctions publiques exercées sont en cause, la protection fonctionnelle s’applique tant aux agents mis en cause qu’aux agents victime.

Surtout, cette protection concerne non seulement les fonctionnaires, mais également toutes les catégories d’agents non titulaires participant à un service public administratif, et peut s’étendre à la famille des agents.

Vivien GUILLON Avocat au Barreau de Paris http://www.avocat-guillon.com

[1Conseil d’Etat, 9 décembre 1970, Commune de Neuilly-Plaisance : Rec. CE 1970, p. 738

[2Tribunal des conflits, 25 mars 1996, n° 3000, préfet de la région Rhône-Alpes c/ CROUS de Lyon :Rec. CE 1996, p. 535

[3Tribunal des conflits, 5 mai 1877, Laumonnier-Carriol : Rec. CE 1877, p. 438

[4Conseil d’Etat, 12 mars 2010, n° 308974, Commune de Hoenheim

[5Tribunal administratif de Grenoble, 18 avr. 2003, n° 000267 : AJFP sept.-oct. 2003, p. 22), ou s’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral (Conseil d’Etat, 12 mars 2010, n° 308974, Commune de Hoenheim

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