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Contrat d’agent commercial : précisions sur l’indemnisation des sous-agents commerciaux à l’occasion de la cessation des relations. Par Guillaume Mallen, Avocat.
Parution : lundi 5 octobre 2015
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Le contrat d’agent commercial constitue en droit français une variété particulière du contrat de mandat. Selon les termes de l’article L. 134-1 du Code de commerce, l’agent commercial est défini comme un « un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale . ».
Paris, 26 mars 2015, JurisData n°2015-007319

Le statut de l’agent commercial fait l’objet en France d’une réglementation précise et éminemment protectrice à l’égard de l’agent commercial [1].

Cette protection accordée par le législateur à l’agent commercial est particulièrement significative à l’occasion de la cessation des relations. Il est alors question de la fameuse "indemnité compensatrice" de l’article L. 134-2 du Code de commerce due par le mandant à l’agent commercial.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 26 mars 2015 s’inscrit précisément dans cette problématique de fin de contrat en abordant, principalement, le versement de l’indemnité compensatrice. Le contexte de l’affaire était d’autant plus intéressant en ce sens que l’agent commercial avait recruté des sous-agents commerciaux, lesquels sollicitaient à son égard le versement de l’indemnité compensatrice.

En l’espèce, une société A qui distribuait des articles de prêt-à-porter avait conclu un contrat d’agent commercial avec une société B, laquelle avait fait appel à des sous-agents commerciaux pour l’exécution de ce mandat. Parmi ces sous agents-commerciaux, figuraient les sociétés C et D. Or, en 2006, traversant des problèmes financiers [2], la société A a rompu le contrat d’agent commercial avec la société B, celle-ci ayant alors répercuté la rupture sur les contrats de sous-agents commerciaux conclus avec les sociétés C et D en les informant qu’elle était contrainte de mettre un terme à leur collaboration (du fait, précisément, de la rupture du contrat d’agent "principal").

Les sociétés C et D ont alors réclamé à la société B une indemnité, malencontreusement désignée comme "indemnité de clientèle", en vain.

Une procédure contentieuse s’est alors très vite engagée :

Le 20 mai 2009, le Tribunal de commerce a condamné l’agent commercial (la société B) à payer à ses sous-agents commerciaux [3] les sommes suivantes :

Concernant la société C : 8.786, 79 euros HT à titre de provision sur commissions dues et 91. 863, 34 euros HT à titre de provision sur l’indemnité de rupture ;

Concernant la société D : 55. 000 euros HT à titre de provision sur l’indemnité de rupture.

Le 19 mars 2014, l’agent commercial a alors interjeté appel du jugement en considérant que ses sous-agents commerciaux étaient mal fondés à réclamer une indemnité :

L’appelant indiquait également dans le cadre de son appel que si la Cour devait considérer que les actions des sociétés C et D étaient bien fondées, il fallait que la société A (son mandant) la garantisse des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle.

Sur ce point, la société A considérait qu’elle n’était tenue à aucune garantie à l’égard de son agent commercial pour des condamnations financières qui seraient prononcées contre son agent commercial du fait de ses relations avec ses sous-agents commerciaux.

Parallèlement, les sous-agents commerciaux, les sociétés C et D, estimaient que la rupture du contrat principal conclu entre le mandant et l’agent commercial n’était pas imprévisible et qu’elle ne pouvait pas s’analyser en un cas de force majeure. La société C considérait, notamment, que "l’absence de conservation de la clientèle par [l’agent commercial] ne dispense pas [celui-ci] de lui verser l’indemnité de clientèle dès lors qu’elle ne constitue pas l’une des causes exclusives de dispenses prévues par l’article L. 134-13 du Code de commerce". En synthèse, les deux sociétés demandaient à ce que leur partenaire ne soit pas dispensé, notamment, du paiement de l’indemnité de rupture (indemnité dite "compensatrice").

Dans son arrêt, la Cour d’appel de Paris fait preuve de fermeté en considérant que l’agent commercial est bien tenu au paiement de l’indemnité compensatrice à l’égard de ses sous-agents commerciaux (I.). De plus, il doit assumer seul cette obligation d’indemnisation et ne peut appeler en garantie son mandant (II.)

I. L’agent commercial est tenu au paiement de l’indemnité compensatrice prévue à l’article L.134-12 du Code de commerce à l’égard de ses sous-agents commerciaux

Il est acquis que l’indemnisation de l’agent commercial consécutive à la cessation du contrat avec son mandant est la "pièce maîtresse" [5] liée à son statut. Une telle indemnité tend à la réparation du préjudice subi par l’agent commercial à l’occasion de la rupture des relations.

Qu’il s’agisse d’un contrat d’agent commercial à durée déterminée ou à durée indéterminée, la résiliation du contrat ouvre droit à l’indemnité de rupture au profit de l’agent commercial lorsque le mandant met fin unilatéralement à celui-ci.

L’article L. 134-12 du Code de commerce pose le principe de cette indemnisation :

"En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L’agent commercial perd le droit à réparation s’il n’a pas notifié au mandant, dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat, qu’il entend faire valoir ses droits.

Les ayants droit de l’agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l’agent".

Comme le précise expressément le texte, le bénéfice de cette indemnité est un droit pour l’agent commercial lorsque cessent les relations commerciales avec son mandant. Le texte précise utilement que ce droit à réparation doit être exercé par l’agent commercial auprès du mandant dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat.

Pourtant, le texte ne donne ni définition ni justification de l’indemnité compensatrice. En pratique, elle se justifie du fait même qu’à l’occasion de la rupture du contrat d’agent commercial, ce dernier souffre inévitablement de la perte de toutes les commissions qui lui auraient été acquises si l’activité développée par lui s’était poursuivie avec la clientèle qu’il avait prospectée. Dès lors, une telle indemnité a pour objet de réparer le préjudice qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l’activité développée dans l’intérêt commun des parties, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon leur nature [6].

A cet égard, l’article 17-3, alinéa 2 de la directive communautaire du 18 décembre 1986 relative aux agents commerciaux est plus prolixe s’agissant de la notion de "préjudice" :

"Ce préjudice découle notamment de l’intervention de la cessation dans des conditions :

- qui privent l’agent commercial des commissions dont l’exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier, tout en procurant au commettant des avantages substantiels liés à l’activité de l’agent commercial ;

- et/ou qui n’ont pas permis à l’agent commercial d’amortir les frais et dépenses qu’il a engagés pour l’exécution du contrat sur la recommandation du commettant".

Dès lors, l’indemnité compensatrice constitue une somme tendant à réparer les pertes et les différents postes de préjudices subis par l’agent commercial résultant de la rupture du contrat.  [7]

Toutefois, elle ne s’identifie pas spécifiquement à une "indemnité de clientèle". Les juridictions du fond précisent en effet que l’indemnité compensatrice de l’article L. 134-12 du Code de commerce n’est en aucun cas subordonnée "à la création ou à l’apport ou à la diversification d’une clientèle par l’agent ; elle a vocation à réparer la privation, pour l’avenir, de l’ensemble des rémunérations procurées par l’activité (…)" [8]. Pourtant, dans l’arrêt commenté, les parties invoquent maladroitement le terme d’ "indemnité de clientèle", rapidement remplacé par "indemnité de rupture" puis "indemnité de cessation du contrat d’agent commercial" par la Cour d’appel de Paris !

Si une lecture stricte du texte pourrait laisser penser que seuls sont concernés les rapports entre mandant/mandataire (mandant/agent commercial), il n’exclut pas les rapports entre agent commercial/sous-agent commercial [9]. Sous l’empire de l’ancienne législation, l’article 2, alinéa 2 du décret de 1958 prévoyait d’ailleurs que l’agent pouvait "recruter (…) des sous-agents rémunérés par lui". L’article 1er de la loi du 25 juin 1991 – aujourd’hui article L. 134-1 du Code de commerce – s’est inscrit dans cette continuité. En effet, ladite disposition prévoit que l’agent agit "au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux". Bien que la formulation soit "lapidaire" [10], elle confirme le principe du droit d’engager des sous-agents. Par transposition, il est alors fait application des mêmes règles. En vertu des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce, le sous-agent commercial est assimilé à l’agent commercial et ne peut, en conséquence, être privé d’une indemnité compensatrice de rupture [11].

C’est cette deuxième hypothèse qui était visée en l’espèce. Les sous-agents C et D réclamaient à la société B (agent commercial de la société A), une indemnité compensatrice à la suite de la rupture de leurs contrats.

En l’espèce, un phénomène de rupture en cascade s’était produit. Le mandant originaire (la société A) avait rompu son contrat d’agent commercial avec la société B, celle-ci ayant alors décidé de rompre les deux contrats qu’elle avait conclu avec les sociétés C et D, ses sous-agents commerciaux. Ces derniers réclamaient alors le bénéfice de l’indemnité compensatrice.

Rappelons que dans son argumentation, la société B considérait qu’elle n’avait pas à payer cette indemnité compensatrice aux sociétés C et D pour les raisons suivantes :

Dans son arrêt du 26 mars 2015, la Cour d’appel de Paris rejette en bloc cette argumentation :

"Considérant que l’indemnité prévue à l’article L. 134-12 du code de commerce ne correspond pas à un mécanisme de responsabilité qui serait imputable au mandant rompant le contrat et qui pourrait impliquer la prise en compte d’un cas de force majeure quelconque ; que cette indemnité constitue une créance légale d’ordre public économique prévue par la loi conformément à la directive européenne du 18 décembre 1986, que le mandant n’en est exonéré que dans les trois cas limitativement énumérés par l’article L. 134-13 du code de commerce que sont la faute grave de l’agent commercial, la cessation du contrat à l’initiative de l’agent commercial, la cession de son contrat par l’agent commercial, qu’aucune autre cause exonératrice ne saurait être prise en compte pour faire échapper le mandant à son obligation d’indemnisation, quand bien même elle revêtirait les caractères de la force majeure".

Cette solution appelle les observations suivantes :

- S’agissant tout d’abord de la nature de l’indemnité de l’article L. 134-12 du Code de commerce.

La Cour d’appel de Paris, prenant appui sur la directive du 18 décembre 1986 précitée, considère que l’indemnité compensatrice constitue "créance légale d’ordre public économique". Sur ce point, la Cour d’appel de Paris ne fait que conforter une position jurisprudentielle désormais bien acquise. Les articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce – régissant l’indemnité compensatrice – constituent des dispositions d’ordre public [12]. Plus concrètement, cela signifie que les parties ne peuvent en aucun cas déroger à ces dispositions. A cet égard, l’article L. 134-16 du Code de commerce dispose : "Est réputée non écrite toute clause ou convention contraire aux dispositions des articles L. 134-2 et L. 134-4, des troisième et quatrième alinéas de l’article L. 134-11, et de l’article L. 134-15 ou dérogeant, au détriment de l’agent commercial, aux dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 134-9, du premier alinéa de l’article L. 134-10, des articles L. 134-12 et L. 134-13 et du troisième alinéa de l’article L. 134-14".

Dès lors, toute clause qui reviendrait à priver directement ou indirectement l’agent commercial du bénéfice de l’indemnité compensatrice ou qui consisterait à limiter par avance son montant [13] serait contraire à l’ordre public [14], inopposable à l’agent commercial [15] et réputée non écrite par application de l’article L. 134-16 du Code de commerce [16]. En revanche, rien n’interdit aux parties de prévoir des indemnités susceptibles de se cumuler avec celle prévue par le texte à condition qu’une telle prévision ne conduise et/ou n’aboutisse pas à une méthode d’indemnisation différente de celle prévue à l’article L. 134-12, ce qui serait réputée non avenue.

- S’agissant des hypothèses restrictives excluant le paiement de l’indemnité compensatrice :

La Cour d’appel de Paris postule une appréciation stricte des trois hypothèses dans lesquelles l’agent commercial est déchu de son droit à indemnité. Rappelons que l’article L. 134-13 du Code de commerce prévoit trois exceptions dans lesquelles le mandant est exonéré du paiement de l’indemnité compensatrice :

"La réparation prévue à l’article L. 134-12 n’est pas due dans les cas suivants :
1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent commercial ;
2° La cessation du contrat résulte de l’initiative de l’agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l’âge, l’infirmité ou la maladie de l’agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;
3° Selon un accord avec le mandant, l’agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu’il détient en vertu du contrat d’agence
".

On en conclut que l’agent commercial ne pourra pas bénéficier de l’indemnité :

Hormis ces hypothèses bien délimitées et donc en l’absence de circonstances susceptibles de l’exclure, l’indemnité est due [17]. La solution rendue par la Cour d’appel de Paris le 26 mars 2015 est encore plus explicite en ce sens qu’elle rappelle les trois exceptions de l’article L. 134-13 du Code de commerce. En dehors de ces trois hypothèses restrictives, l’agent commercial est fondée à demander le paiement de l’indemnité.

- Sur l’exclusion de principe de la "force majeure"

Ce rappel de principe permet à la Cour d’appel de Paris d’écarter l’argument de la force majeure soulevé par la société B et relativement épineux. A cet égard, la Cour d’appel de Paris précise, d’une part, que l’indemnité prévue à l’article L. 134-12 du Code de commerce ne correspond pas à un mécanisme de responsabilité qui serait imputable au mandant rompant le contrat et qui pourrait impliquer la prise en compte d’un cas de force majeure quelconque. La Cour d’appel de Paris entend donc opposer frontalement les rouages spécifiques du droit de la responsabilité civile dans lesquels la force majeure – sous certaines conditions – peut constituer un facteur neutralisant la responsabilité et le système de réparation prévu à l’article L. 134-12 du Code de commerce. On mesure, par une telle solution, le degré élevé de protection accordé par la loi aux agents commerciaux, lesquels sont perçus comme les parties "faibles" au contrat. D’ailleurs, la Cour d’appel de Paris conclut qu’aucune autre cause exonératrice (autres que celles énoncées à l’article 134-13 du Code de commerce) ne peut être prise en compte pour faire échapper le mandant à son obligation d’indemnisation, quand bien même celle-ci revêtirait les caractères de la force majeure [18].

Malgré l’affirmation d’un tel principe, la Cour d’appel de Paris ajoute :

"Considérant au surplus que la rupture du contrat qui liait la société [B] à la société [A] ne constituait pas un événement irrésistible pour la société [B] l’empêchant de remplir son obligation d’indemnisation des sociétés [C] et [D], que, si la société [B] n’a effectivement pas conservé la clientèle, elle pouvait prétendre à une indemnité compensatrice de la part de la société [A], que la déchéance qu’elle a encourue à l’encontre de la société [A] pour ne pas avoir réclamé l’indemnité à laquelle elle avait droit dans le délai d’un an ne saurait empêcher les sociétés [C] et [D], qui ont fait diligence dans leurs demandes, de percevoir l’indemnité qui leur est due".

Ce considérant précise, d’une part, et de façon assez curieuse la notion de force majeure et, d’autre part, exclut l’argument de la société A concernant la non-conservation de la clientèle.

- Sur l’application au cas d’espèce de la "force majeure"

En considérant que la rupture du contrat qui liait la société [B] à la société [A] ne constitue pas, en l’espèce, un événement irrésistible pour la société [B] l’empêchant de remplir son obligation d’indemnisation, la Cour d’appel de Paris contraste sensiblement ses propos précédents. Alors même que les juges prennent le soin de rappeler qu’aucun cas de force majeur ne saurait être pris en compte, ils procèdent à une interprétation des faits au regard d’un des critères de la force majeure, à savoir l’irrésistibilité.

Or, si l’article L. 134-12 du Code de commerce ne saurait être exclu en raison d’un « cas de force majeure quelconque », pourquoi la Cour d’appel de Paris vient préciser que la rupture du contrat, en l’espèce, ne constitue pas un évènement "irrésistible" ?

Sur ce point, notons qu’une frange minoritaire de la doctrine estime que dans l’hypothèse où le mandant est dans l’impossibilité absolue de poursuivre son exploitation pour cause de force majeure et résilie, pour ce motif le contrat d’agence, l’agent n’a droit à aucune indemnité. Selon un auteur, cette solution serait identique à celle dégagée par la Cour de cassation à propos du contrat de VRP [19]. Cette interprétation ne serait pas totalement dénuée d’intérêt étant donné que la Cour d’appel de Paris considère que la rupture litigieuse ne constitue pas un évènement "irrésistible".

D’ailleurs, certaines juridictions du fond ont pu procéder à une analyse de la force majeure sans toutefois la retenir. Dans une décision rendue par la Cour d’appel de Versailles le 20 mars 2014 [20], le mandant considérait que si la cessation du contrat d’agence a pour cause un événement présentant pour lui les caractéristiques de la force majeure, celui-ci pouvait alors être exonéré du paiement des indemnités prévues par les articles L. 134-11 (indemnité de préavis) et L.134-12 du code de commerce (indemnité compensatrice), nonobstant le caractère impératif de ces textes. La Cour d’appel de Versailles n’a pas semblé s’opposer à la potentielle prise en compte de la force majeure en considérant qu’il appartient au mandant "d’établir que l’événement invoqué (…) constituait bien pour elle un cas de force majeure", ce qui n’était pas le cas en l’espèce [21]

De plus, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un important arrêt sur le sujet attestant d’un vacillement de sa perception sur la prise en compte de la force majeure notamment lorsque celle-ci renvoie à une situation de crise économique [22]. Dans cette affaire, un agent commercial avait sollicité à son mandant, à la suite de la rupture de son contrat, l’indemnité compensatrice de l’article L. 134-12 du Code de commerce. Le mandant invoquait quant à lui les circonstances spécifiques de la rupture, constitutives d’un cas de force majeure. De ce fait, il considérait que ne pouvait lui être imputé la rupture. La solution de la Cour de cassation marque un certain infléchissement dans la potentielle prise en compte de la force majeure :

"Attendu que pour dire imputable à la société Apollo la rupture du contrat et la condamner à payer à la société Y...- Z..., ès qualités, certaines sommes à titre d’indemnités de préavis et de cessation de contrat, l’arrêt retient que la société Apollo a pris l’initiative de rompre le contrat en raison des difficultés affectant son réseau d’approvisionnement auprès de la société qui exploitait le site de fabrication des produits qu’elle distribuait et de son intégration dans le groupe Sapa ;
Attendu qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Apollo qui faisait valoir que ces difficultés d’approvisionnement, qui résultaient d’une décision de la société Sapa, constituaient pour elle un cas de force majeure, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé
".

Statuant sur renvoi, la Cour d’appel de Bordeaux a considéré dans cette affaire que la "(…) décision d’arrêter la production, qui s’est imposée à la société Apollo, constituait pour celle-ci un cas force majeure, dès lors que, nonobstant la circonstance indifférente qu’elle faisait partie du groupe SAPA, elle n’avait pris aucune part à cette décision, et qu’elle ne pouvait ni la prévoir ni s’y opposer". Dès lors, "dans ces conditions la société S. & B. ne peut soutenir que la rupture du contrat, dont M. M. a pris l’initiative, soit imputable à la société Apollo, de sorte que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de paiement de l’indemnité de cessation de contrat et, partant, de l’indemnité de préavis" [23].

Si dans l’arrêt commenté, la force majeure n’est pas retenue, il n’est pas exclu que celle-ci ne soit pas retenue dans d’autres affaires au vu des éléments rappelés ci-dessus. Dans cette acception, la force majeure pourrait donc constituer – dans des hypothèses éminemment circonscrites – une possibilité pour le mandant de ne pas s’acquitter de l’indemnité compensatrice.

- Sur l’argument tiré de la non-conservation de la clientèle par la société B :

L’argument invoqué par la société B selon lequel elle n’aurait pas conservé la clientèle à la suite de la cessation des relations, celle-ci ayant alors exclusivement profité à la société A est rejeté en bloc par la Cour d’appel de Paris. Si, en l’espèce, l’agent commercial n’a effectivement pas conservé la clientèle, il pouvait prétendre à une indemnité compensatrice de la part de son mandant. Or, en l’espèce, la société A avait été déchue de ce droit, n’ayant pas réclamé l’indemnité dans le délai d’un an imparti. Cette déchéance acquise pour la société B ne saurait empêcher les sous-agents commerciaux de percevoir l’indemnité qui leur est due.

En d’autres termes, la Cour d’appel de Paris considère que l’argument tiré de la non-conservation de la clientèle aurait dû être opposé par la société B à la société A (dans le cadre de la demande d’indemnité compensatrice) mais, en aucun cas, par la société B aux sociétés C et D.

En filigrane, la turpitude de l’agent commercial à l’égard de son mandant ne saurait priver les sous-agents commerciaux du bénéfice de leur indemnité compensatrice, due en raison de la fin de leurs relations avec la société B.

Dès lors, la société B est tenue d’indemniser les sociétés C et D pour la rupture de leurs contrats d’agence.

Par ailleurs, notons que la Cour d’appel de Paris consacre de longs développements sur la détermination précise des indemnités dues aux sociétés C et D. On notera également qu’elle rejette la demande de l’un des sous-agents commerciaux qui demandait à l’agent commercial le paiement d’arriérés de commissions. En l’espèce, il a été considéré qu’aucun élément probant ne justifiait une telle demande.

II. L’impossibilité pour l’agent commercial d’appeler en garantie son mandant en présence d’une action en paiement de l’indemnité intentée par les sous-agents commerciaux

A l’appui de son argumentation, l’agent commercial (la société B) considérait à titre subsidiaire que si les actions des sociétés C et D étaient déclarées bien fondées par la juridiction, son mandant (la société A) devait alors le garantir en raison de l’existence d’un ensemble contractuel formé par le contrat principal d’agent commercial qui liait la société B à la société A et les sous-contrats qui liait la société B aux sociétés C et D, ainsi que sur le caractère indivisible desdits contrats.

Nous savons que les notions d’ensemble contractuel et d’indivisibilité des conventions sont périlleuses en droit civil.

Dans l’un de ses commentaires d’arrêt, la Cour de cassation a considéré que l’ensemble contractuel "permet de rattacher une série d’actes formellement distincts à un opération sous-jacente unique. C’est la réunion de différentes conventions et opérations qui parce qu’elles ont des traits en commun, notamment par les personnes qui les concluent, ou les exécutent, et par l’objectif auquel elles concourent, forment un tout, que l’on considère par lui-même" [24].

Nous rappellerons que la notion d’ensemble contractuel repose essentiellement sur la notion d’interdépendance [25] ou celle d’indivisibilité [26]. Classiquement, la jurisprudence considère que les conventions constituent un ensemble contractuel lorsque celles-ci participent à une opération économique commune en tenant compte toutefois de la volonté des parties de rendre les contrats interdépendants ou indivisibles [27] ou, au contraire, divisibles [28].

La théorie de l’ensemble contractuel a pour principale utilité de permettre d’étendre la résiliation (ou la résolution) d’un des contrats concernés aux autres [29].

De toute évidence, la Cour d’appel de Paris ne suit pas l’argumentation de l’appelante et estime que les notions utilisées par elle le sont à mauvais escient :

"Considérant cependant que le concept d’ensemble contractuel et la notion d’indivisibilité des contrats ne servent qu’à étendre la résiliation ou la résolution de l’un d’entre eux aux autres, mais ne peuvent servir de fondement pour déplacer les obligations de la société B à l’égard de ses agents commerciaux sur son mandant".

On doit comprendre que l’action de la société B à l’encontre de son mandant en raison d’une condamnation de ses agents commerciaux ne saurait prospérer. De façon plus générale, le mandant principal ne peut être appelé en garantie par son agent dans le cadre de l’action en paiement de l’indemnité de rupture lorsque celle-ci est exercée par les sous-agents dès lors que la théorie des ensembles contractuels et de l’indivisibilité n’a d’autre objet que de permettre l’extension de la résiliation ou de la résolution d’un contrat à d’autres.

La Cour d’appel de Paris procède d’ailleurs à un rappel intéressant en distinguant l’action directe du sous-mandataire contre le mandant de l’article 1994, alinéa 2 du Code civil et l’action en paiement de l’indemnité compensatrice de l’article L. 134-12 du Code de commerce :

"(…) seule l’action directe du sous-mandataire contre le mandant fondée sur l’article 1994 alinéa 2 du code civil pourrait rendre débitrice la société [A] des sommes dont est redevable la société [B] à l’égard de ses agents commerciaux ; que cependant les sociétés [C] et [D], titulaires de cette action, ne l’exercent pas puisqu’elles ne formulent aucune demande à l’égard de la société [A] en liquidation judiciaire ; qu’en outre cette action se heurterait à la déchéance du droit à commissions de la société [B] à l’égard de la société [A]".

Le raisonnement des juges est intéressant s’agissant de la déchéance du droit à indemnité de la société B à l’égard de la société A. Faire droit à une demande en garantie aboutirait à revenir partiellement sur le droit à indemnité. Dès lors, la Cour d’appel de Paris infirme le jugement du Tribunal de commerce sur ce point en considérant que la demande en garantie de la société B à l’égard de la société A doit être rejetée.

En outre, la Cour d’appel de Paris confirme le jugement du Tribunal de commerce de Paris en ce qu’il a rejeté la demande de la société B à l’égard de la société A au paiement d’arriérés de commissions, insuffisamment motivée en l’espèce.

Guillaume MALLEN Avocat à la Cour - Docteur en droit privé

[1article 1998 du Code civil et surtout les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce

[2Ces problèmes financiers se sont confirmés puisque la société A a été mise en liquidation judiciaire

[3Trib. com. Paris, 20 mai 2009, n°2007026795

[4L’article 1148 du Code civil dispose que "Il n’y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit"

[5M. Mégnin, Le contrat d’agence commerciale en droit français et en droit allemand, Litec 2003, p. 247

[6Com. 5 avril 2005, n°03-15228. Pour une application récente par les juridictions du fond : CA Versailles, 12 février 2015, n°13/02283

[7Directive n°86-653 du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des états membres concernant les agents commerciaux indépendants. Cette directive a fait l’objet d’une transposition en droit français par la loi n°91-593 du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants et par le décret n°92-506 du 10 juin 1992 modifiant le décret n°58-1345 du 23 décembre 1958 relatif aux agents commerciaux.

[8CA Aix-en-Provence, 25 janv. 2012, SA Payan Bertrand c/ Sté Top Note Perfumery, JurisData n°2012-001081. V. aussi sur le plan doctrinal : M. Malaurie-Vignal, Droit de la distribution, Sirey 2012, n°995 ; Ph. Grignon, Le fondement du droit à indemnité de l’intermédiaire de commerce, Litec, 2000

[9Dans un tel rapport, l’agent commercial revêt la qualité de "mandant" à l’égard de son sous-agent commercial, lequel est alors un "mandataire"

[10F. Fournier, L’agence commerciale, Bibliothèque de droit de l’entreprise, Litec, n°37, 1998, n°284, p. 156

[11CA Grenoble, 6 oct. 2011, n°09/00990 : "En application des articles L. 134 ’ 12 et L. 134 ’ 13 du code de commerce l’agent commercial, auquel est assimilé le sous agent exerçant une activité de représentation pour le compte d’un agent principal, ne peut être privé d’une indemnité compensatrice de rupture qu’à charge pour le mandant d’établir que la cessation du contrat est provoquée par sa faute grave"

[12Com., 18 mai 2010, n°09-15.023, 09-66.439, F-D, JurisData n°2010-006639

[13CA Nancy, 29 juin 2011, Sarl Brune & Co c/ Villars Maître Chocolatier, n°09/0421

[14Com. 28 mai 2002, n°00-16857, Bull. civ. IV, n°91

[15CA Nîmes, 17 avr. 2008, SARL AC Primasud c/ SA Fromagerie alpine, JurisData : n°2008-000691

[16Com. 28 mai 2002, précité. V. aussi : Com. 21 oct. 2014, n°13-18.370 ; CA Rennes, 20 mars 2002, n°01/02445

[17Com. 26 juin 2012, n°11-19.446 : "Vu les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce ; Attendu qu’il résulte de ces textes que, sauf si la cessation du contrat est provoquée par sa faute grave ou résulte de son initiative, à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l’âge, l’infirmité ou sa maladie, l’agent commercial a droit en cas de cessation de ses relations avec le mandant, à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi"

[18A vrai dire, nous pensons que l’invocation de la société B de la force majeure relève d’une confusion (consciente ou inconsciente) avec l’article L. 134-11 qui prévoit que lorsque le contrat d’agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis sauf lorsque le contrat prend fin en raison d’une faute grave de l’une des parties ou de la survenance d’un cas de force majeure. Or, ce texte ne peut qu’éventuellement dispenser le mandant lors de la résiliation du contrat d’agent du respect d’un préavis mais en aucun cas du versement du paiement d’une indemnité compensatrice

[19J.-.J. Hanine-Roussel, JCL Contrats – Distribution, fasc. n°3515, « Agents commerciaux – fin du contrat d’agence – Conséquences et contentieux de la rupture », 2012, n°37

[20Cour d’appel de Versailles, 20 Mars 2014, n°12/06455. V. aussi : CA Paris, 1er sept. 2011, n°10/12908

[21En plus de l’irrésistibilité, la Cour d’appel de Versailles recourt au caractère "imprévisible" : "En conséquence, la perte du client Brossette n’a pas été imprévisible pour la société Villeroy & Boch Wellness et il n’est pas non plus établi qu’elle était irrésistible puisqu’une politique de prix plus compétitifs aurait pu le cas échéant être mise en œuvre, de même que des négociations commerciales dont aucun élément du dossier ne laisse supposer qu’elles ont même été tentées par la société mandante. Ainsi, faute de rapporter la preuve que la décision de la société Brossette a constitué pour elle un événement constitutif d’un cas de force majeure, la société Villeroy & Boch Wellness est redevable envers la société Agrec des indemnités compensatrices de préavis et de préjudice".

[22Com. 3 Avril 2013, n°12-15.000

[23CA Bordeaux, 22 Juillet 2014, n°13/03780

[25Com., 12 juin 2001, n°98-19.787

[26Com., 5 juin 2007, n°04-20.380

[27Civ. 1ère, 13 nov. 2008, n°06-12.920

[28V. toutefois les deux importants arrêts du 17 mai 2013 : Ch. Mixte, 17 mai 2013, n°11-22.768 et 11-22.927 qui consacrent une théorie objective de l’indivisibilité, c’est-à-dire que plusieurs contrats concourant à la même opération économique doivent être réputés indivisibles, et même plus, nonobstant toute clause écrite contraire

[29Civ. 1ère, 4 avril 2006, n°02-18277 : "qu’ayant souverainement retenu que les deux conventions constituaient un ensemble contractuel indivisible, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la résiliation du contrat d’exploitation avait entraîné la caducité du contrat d’approvisionnement, libérant la société des stipulations qu’il contenait ; qu’ainsi, la décision est légalement justifiée"