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L’obtention du concours de la force publique pour l’exécution d’une décision de Justice. Par Victoire de Bary, Avocat.
Parution : mercredi 7 octobre 2015
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Lorsqu’un bailleur dispose, à l’encontre de son locataire, d’une décision d’expulsion, il doit encore la faire exécuter si le locataire ne quitte pas volontairement les lieux. Quels sont donc les moyens légaux à sa disposition ?

Dans le cadre des diligences qu’il accomplit pour faire exécuter la décision d’expulsion, l’huissier de justice sollicite – après avoir fait délivrer un commandement de quitter les lieux et tenté de procéder à l’expulsion – le concours de la force publique.

A l’issue d’un délai de deux mois sans réponse des services de police, une décision implicite de rejet naît.

C’est alors qu’il devient possible d’agir :
- En recherchant la responsabilité de l’Etat ;
- En sollicitant du juge administratif qu’il contraigne l’Etat à fournir le concours de la force publique pour qu’il soit procédé à l’expulsion.

Ce sont deux moyens qui, combinés ou pas, peuvent accélérer le processus d’expulsion.

I- Sur la responsabilité de l’Etat.

En refusant de prêter le concours de la force publique pour l’exécution d’une décision de justice, l’Etat engage sa responsabilité.

A cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante des juridictions administratives, initiée en 1923 par l’arrêt Couitéas, que la responsabilité de l’Etat est engagée lorsque l’assistance des forces de police pour assurer l’exécution d’une décision de justice est refusée «  sans motif valablement tiré des nécessités de l’ordre public » (voir par exemple CE, 20 mars 1985, Compagnie immobilière de la Région Parisienne, n°46731).

Mais surtout, l’article 16 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures d’exécution, – aujourd’hui codifié à l’article L 153-1 du code des procédures civiles d’exécution – prévoit que : « L’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation ».

La responsabilité de l’Etat est donc engagée à compter de l’expiration du délai de deux mois donné au Préfet pour déférer à la réquisition d’avoir à prêter le concours de la force publique.

Il devient alors possible de demander l’indemnisation du préjudice subi qui résulte – essentiellement – de la privation de la jouissance de son bien et donc de l’impossibilité d’en retirer les fruits que sont les loyers.

La responsabilité de l’Etat se poursuit – non pas jusqu’à la restitution des lieux au propriétaire – mais jusqu’à la date à laquelle le Préfet accorde le concours de la force publique.

Cependant, si l’expulsion tarde à intervenir malgré cette décision accordant le concours de la force publique, et que ce retard est imputable à l’administration, la responsabilité de l’Etat se poursuit (CE, 27 janvier 2010, n°320642 mentionné aux tables ou CE, 21 janvier 2011, n°339647).

Le montant de l’indemnisation susceptible d’être obtenue correspond – le plus souvent – au montant de l’indemnité d’occupation mise à la charge de l’ancien locataire en cas d’impayés postérieurs à la décision refusant le concours de la force publique.

Naturellement, des préjudices spécifiques peuvent également être demandés s’ils sont établis (coûts engendrés par le refus de concours de la force publique en termes de procédure, intérêts, réparations locatives…).

De même, les taxes récupérables sur le locataire, et notamment la taxe sur les ordures ménagères, peuvent être obtenues.

Dans certains cas, la perte de la valeur vénale peut être indemnisée.

En tout état de cause, le montant de l’indemnisation demandée doit être appréciée au cas par cas puisque seuls les préjudices directs et certains sont indemnisables.

En pratique, la demande d’indemnisation est formulée auprès du Préfet ou du Préfet de police le cas échéant.

L’administration dispose d’un délai de deux mois pour répondre à défaut de quoi, son silence fait naître une décision implicite de rejet qui permet de saisir le Tribunal Administratif d’une demande indemnitaire dans un nouveau délai de deux mois.

Très généralement, le seul fait de demander l’indemnisation permet de l’obtenir pour les impayés postérieurs à la décision refusant le concours de la force publique. Les autres postes sont – d’expérience – toujours écartés, et les bailleurs ne souhaitent pas poursuivre plus avant les procédures.

Bien que le fait – pour l’Etat – d’avoir à payer, permette d’accélérer l’expulsion, il n’en reste pas moins que cette solution n’est pas universelle.

En effet, certains locataires – bien qu’objet d’une expulsion – payent leur loyer mais surtout, la demande d’indemnisation ne peut intervenir que plusieurs mois après la décision de refus du concours de la force publique, une fois qu’il existe une dette postérieure à la date à laquelle l’Etat a engagé sa responsabilité.

II- Sur la possibilité de saisir le juge administratif.

Sauf exception, le juge administratif doit être saisi à l’encontre d’une décision de l’administration.

Or, une décision implicite de rejet – même si elle n’existe matériellement pas – est une décision permettant de saisir le Tribunal.

A compter de la décision rejetant la demande de concours de la force publique, il est donc recommandé de saisir le Tribunal Administratif pour obtenir l’annulation de cette décision, mais surtout, pour démontrer que l’expulsion est possible sans risque pour l’ordre public et qu’il y a tout lieu d’enjoindre aux services de l’Etat d’accepter de prêter le concours de la force publique, ou à tout le moins de réexaminer le dossier dans un délai donné.

Une telle condamnation peut d’ailleurs intervenir sous astreinte.

Il convient également – si l’expulsion est urgente – de solliciter, par le biais d’un référé, la suspension de la décision implicite de rejet.

La recevabilité d’une telle procédure suppose qu’il y ait une urgence, et qu’il existe un moyen sérieux permettant de douter de la légalité de la décision de rejet. Elle suppose également qu’une procédure aux fins d’annulation de la décision soit engagée en même temps.

Il ressort de la jurisprudence que la condition d’urgence est remplie quand la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre (CE, Sect., 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, n°228815).

Par ailleurs, cette même décision rappelle qu’il en va ainsi, « alors même que cette décision n’aurait un objet ou des répercussions que purement financiers et que, en cas d’annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire ».

C’est dire que l’indemnisation susceptible d’être allouée par l’Etat du fait de l’absence de concours de la force publique n’enlève pas l’urgence de la situation.

Naturellement, le juge des référés doit apprécier concrètement « compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence » (même décision).

Bien plus, s’il existe une extrême urgence – ce qui peut être le cas lorsque l’occupant présente un danger pour la sécurité des habitants de l’immeuble par exemple – il est possible de tenter d’agir par le biais d’un référé-liberté.

Cette procédure prévue par l’article L 521-2 du code de justice administrative se déroule dans un délai de 48 heures : en deux jours, le juge a instruit le dossier, a entendu les parties à l’audience et a rendu sa décision.

Le juge a le pouvoir de prendre toute mesure nécessaire pour assurer la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne publique porte atteinte, en l’occurrence le droit de propriété.

Pour qu’une telle procédure aboutisse favorablement, il convient de démontrer une urgence particulièrement grave c’est-à-dire qu’il faut établir que le juge doit nécessairement se prononcer dans un délai de 48 heures et non dans le délai classique du référé suspension qui est de l’ordre de deux semaines.

Il est également nécessaire de démontrer l’atteinte à une liberté fondamentale étant précisé que la décision de refus du concours de la force publique porte nécessairement atteinte au droit de propriété puisque le bailleur ne peut disposer librement de son bien du fait de la présence de l’occupant.

En pratique, si elle est implicite, la décision refusant le concours de la force publique est nécessairement illégale.

En effet, 1er de de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public dispose que :
« Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent ».

S’ensuit une liste détaillée des décisions qui doivent être motivées et il en ressort qu’une décision rejetant la demande de concours de la force publique doit être motivée à plusieurs titres :
- Elle restreint le droit de propriété du bailleur et constitue une mesure de police ;
- Et elle refuse une autorisation.

Or, la motivation d’un acte administratif doit être claire, précise et adaptée aux circonstances de l’affaire. L’Etat doit donc détailler les considérations d’ordre public qui justifieraient le refus.

Une décision implicite ne peut donc répondre à ce critère puisqu’elle est, par nature, non motivée.

D’ailleurs, bien souvent, lorsque le refus est explicite il n’est pas motivé autrement que par une simple référence à de potentiels troubles à l’ordre public ou à des considérations d’ordre public.

La décision de rejet est donc susceptible d’être annulée par la juridiction administrative et, si on le demande, suspendue en urgence.

Gageons qu’en combinant ces deux actions, une expulsion peut être obtenue dans un délai raisonnable.

Victoire de BARY Avocat Associé www.sherpa-avocats.com
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