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Comment négocier la rupture de son contrat de travail en prenant en considération l’indemnisation par pôle emploi. Par Marie-Sophie Vincent, Avocat.
Parution : jeudi 8 octobre 2015
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Les salariés, face à une rupture négociée de leur contrat de travail, doivent intégrer les modalités de l’indemnisation versée par Pôle emploi. Quelle est la portée de la décision du conseil d’état du 5 octobre 2015 sur le différé d’indemnisation ?

Depuis 2014 a été instauré un différé d’indemnisation qui pouvait dans certains cas conduire les chômeurs à ne percevoir aucune indemnisation par Pôle emploi pendant une durée plus ou moins longue selon la somme perçue au moment de la rupture du contrat. Schématiquement, en fonction de l’indemnisation complémentaire (en sus de celle due en vertu de la loi) versée par l’employeur lors de la rupture du contrat de travail, Pôle emploi pouvait ne pas prendre en charge un chômeur avant l’expiration d’un différé d’indemnisation pouvant aller jusqu’à 180 jours, soit 6 mois.

Le Conseil d’état par décision du 5 octobre 2015 a annulé l’arrêté du 25 juin 2014 qui avait agréé la convention d’assurance chômage dans ses dispositions relatives au différé d’indemnisation.

Toutefois, cette annulation n’est pas rétroactive et entrera en vigueur le 1er mars 2016 (afin de « garantir la continuité du régime d’assurance chômage ») ; et les partenaires sociaux sont invités à définir de nouvelles règles en matière de différé d’indemnisation avant cette échéance.

Concrètement, du fait de la date d’effet de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat, les modalités d’une négociation actuelle et immédiate des conditions financières d’une rupture d’un contrat de travail ne sont pas modifiées.
Au regard de l’ampleur de ce différé d’indemnisation, qui peut aller jusqu’à 180 jours, il est certain qu’une bonne négociation de rupture ne doit pas se limiter au montant du chèque de transaction ou de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle.
Par exemple, un avocat pourra suggérer dans le cadre d’une négociation de rupture la prise en charge par l’employeur d’une formation, d’un out-placement, d’un bilan de compétences. Une discussion pourra s’engager autour d’une clause de non-concurrence etc…

En revanche, il conviendra de suivre avec beaucoup d’attention les nouvelles dispositions qui seront négociées entre les partenaires sociaux.

Ils devront prendre en considération les principes affirmés par le Conseil d’Etat :

- l’allocation d’assurance chômage (aide au retour à l’emploi), qui a le caractère d’un revenu de remplacement, n’a pas vocation à se cumuler avec les autres sommes destinées à compenser, pour le travailleur involontairement privé d’emploi (indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) ou dont le contrat de travail a été rompu conventionnellement (indemnité spécifique de rupture conventionnelle ou transactionnelle), la perte de tout ou partie des rémunérations qu’il aurait perçues si son contrat de travail s’était poursuivi ;

- les indemnités allouées pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ont pour objet de réparer l’intégralité du préjudice subi par le salarié du fait de la perte injustifiée de son emploi, qu’il résulte de la perte de sa rémunération ou qu’il soit d’une nature différente ;

- il est loisible aux partenaires sociaux de prévoir qu’une partie de ces indemnités, appréciées de façon forfaitaire, sera prise en compte pour déterminer un point de départ différé de l’indemnisation du salarié privé d’emploi ;

- mais en prenant en compte l’intégralité de ces indemnités pour le calcul du différé d’indemnisation des salariés licenciés alors qu’ils comptaient moins de deux années d’ancienneté dans l’entreprise ou qu’ils étaient employés par une entreprise comptant moins de 11 salariés, cela revient à priver certains salariés victimes d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse de l’intégralité des sommes destinées à assurer la réparation du préjudice qui en résulte, portant ainsi atteinte au droit des salariés d’en obtenir réparation. L’arrêt du Conseil d’Etat annule ces dispositions et invite les partenaires sociaux à renégocier.

Enfin, il est permis de s’interroger sur les effets d’une telle annulation : les modalités renégociées par les partenaires sociaux tiendront-elles compte des salariés dont le différé d’indemnisation court au-delà du 1er mars 2016 ? Comment s’articuleront les règles d’indemnisation en vigueur et celles à venir ?

Il est donc recommandé la plus grande prudence au moment de la négociation d’une rupture de contrat, en s’assurant notamment de la date d’entrée en vigueur des nouvelles modalités du différé d’indemnisation, et des éventuelles dispositions transitoires qui pourraient être prévues.

Marie-Sophie VINCENT Avocat à la Cour d\\\\\\\'Appel de Paris Spécialiste en Droit Social www.vincent-avocat.paris