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Une semaine pour actualiser la loi Gayssot ? Par Richard Gisagara, Avocat.
Parution : samedi 10 octobre 2015
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Dans une semaine le Conseil Constitutionnel doit se prononcer sur la constitutionnalité d’une disposition de la loi Gayssot permettant à certaines associations de déclencher l’action publique en matière d’apologie des crimes contre l’humanité. La loi Gayssot doit-elle être actualisée ?

Le 20 décembre 2013, la chaîne Canal+ a diffusé un sketch supposément comique intitulé « Rendez-vous en parenthèse inattendue », qui avait pour toile de fond le génocide perpétré contre les Tutsi. Son prétendu effet comique se fondait sur le fait de tourner en dérision ce génocide commis en 1994.

L’Association Communauté Rwandaise de France a considéré que par ce fait, en réduisant par là-même à néant les souffrances vécues par les personnes qui ont été victimes de ce génocide, ce sketch incitait les spectateurs à en rire et à porter ainsi un jugement de valeur favorable sur les crimes commis, effaçant la réprobation morale qui, de par la loi, s’attache à ces mêmes crimes.

L’Association a alors a intenté une action en justice pour apologie de génocide et injure publique qui a été déclarée irrecevable par le Juge d’instruction auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris. Elle a alors relevé appel et a déposé à une question prioritaire de constitutionnalité qui a été examinée ce jeudi 8 octobre par le Conseil Constitutionnel.

L’Association soutient que l’article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse n’est pas conforme à la Constitution car contraire au principe d’égalité des citoyens devant la justice et la loi consacré par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Cet article critiqué est issu de la loi Gayssot, du nom de Jean-Claude Gayssot, député de Seine Saint Denis (1986 à 1997) qui en est à l’origine. Elle a été adoptée le 13 juillet 1990, dans un contexte de publication des thèses négationnistes de Robert Faurisson remettant en cause le génocide perpétré contre les Juifs et de leur exploitation par l’extrême-droite. Elle a pour but de réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (Loi n° 90-615).

Déjà en 1951 et en 1987 le législateur avait adopté des dispositions visant à lutter contre le négationnisme qui sévissait alors. Par la loi Gayssot, entre-autre, il a voulu reconnaitre fermement la douleur des survivants et descendants des victimes face aux remises en cause des tragédies dont ils avaient été victimes, en leur donnant les moyens d’agir efficacement devant la justice.

Ainsi, dans son article 13, la loi Gayssot a modifié la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en y insérant un article 48-2 ainsi rédigé : « Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, qui se propose, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l’honneur de la Résistance ou des déportés peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l’apologie des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes ou délits de collaboration avec l’ennemi et en ce qui concerne l’infraction prévue par l’article 24 bis ».

Le législateur a limité, pour des raisons historiques sans doute, l’application de ces dispositions aux seuls cas de la Shoah et d’autres crimes commis par les Nazis pendant la seconde guerre mondiale.

Or, depuis, d’autres crimes contre l’humanité et crimes de génocide ont été perpétrés rendant l’application de ces dispositions largement inadaptée à l’actualité. Parmi ces crimes, figure le génocide commis contre les Tutsi au Rwanda en 1994.

A notre avis, la restriction imposée par la loi Gayssot, qui fait que seules les associations qui défendent les intérêts moraux et l’honneur de la Résistance ou des déportés peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile viole le principe d’égalité devant la loi consacré par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Cette association est privée du droit d’ester en justice en ce qui concerne le crime de génocide perpétré contre les Tutsi, alors que ce dernier a fait l’objet d’une reconnaissance judiciaire non seulement internationale mais également en France, à l’instar du crime commis contre la population juive ou des crimes commis contre les résistants durant la Seconde guerre mondiale.

En effet, le génocide commis contre les Tutsi a fait l’objet d’un constat judiciaire établi par l’arrêt du TPIR du 16 juin 2006 qui s’impose au système judicaire français en vertu de la loi n° 96-432 du 22 mai 1996 adaptant la législation française aux dispositions portant création du TPIR.

Par ailleurs, ce constat judiciaire a été confirmé en France par un arrêt du 14 mars 2014 de la Cour d’assises de Paris, qui retient que les événements tragiques survenus au Rwanda durant cette période caractérisent le crime de génocide tel que défini par l’article 211-1 du Code pénal et par les articles 2 et 3 du Statut du TPIR.

Cette argumentation a été reçue positivement par la Cour d’appel de Paris et par la Cour de Cassation. Il revient maintenant au Conseil Constitutionnel qui rendra sa décision le 16 octobre prochain de donner son avis.

Si le Conseil censure l’article 48-2 de la loi sur la liberté de la presse issu de l’article 13 de la loi Gayssot, il appartiendra alors au législateur d’adapter ces dispositions en tenant compte des événements qui ont eu lieu après l’adoption de cette loi

Par les temps qui courent où le négationnisme et/ou l’apologie de la Shoah et des génocides reconnus reviennent à l’actualité, l’on voit mal le législateur rester sans agir, ce qui reviendrait à abandonner la volonté qui était la sienne lors de l’adoption de ces dispositions, de reconnaître la douleur des survivants et descendants des victimes face aux remises en cause des tragédies dont ils ont été victimes, en leur donnant les moyens d’agir efficacement devant la justice.

Richard Gisagara Avocat à la Cour - Versailles 01.34.24.10.77
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