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Tripadvisor et e-réputation. Par Arnaud Dimeglio, Avocat, Louise Arnal, Juriste.
Parution : samedi 10 octobre 2015
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Avec plus de 250 millions de visiteurs chaque mois sur ses différentes versions, et des centaines de millions d’avis laissés, TRIPADVISOR est une référence dans le domaine des sites comparateurs d’hôtels, et de restaurants.

Mais il peut tourner au cauchemar pour certains professionnels quant à la protection de leur réputation. Les internautes, pas toujours bienveillants, peuvent en effet y faire la pluie et le beau temps avec un simple commentaire, pouvant entrainer des conséquences économiques importantes pour l’entreprise attaquée.
D’autant que le contenu posté sur TRIPADVISOR est particulièrement bien référencé dans les résultats des moteurs de recherche dont Google. Les avis des consommateurs ont donc une visibilité considérable sur la toile.

Les professionnels qui font face à des commentaires malveillants ne sont pas complètement démunis et se voient proposer des solutions de riposte pour défendre leur réputation, et celle de leur établissement.
A commencer par les liens de signalement que met à disposition le site et qui permettent de dénoncer les commentaires.

Mais quid en cas de non suppression de l’avis par TRIPADVISOR ?

Si l’avis apparaît litigieux, il convient alors d’adresser une lettre de mise en demeure au fameux site.
Une simple lettre permet parfois d’obtenir la suppression du contenu.
En cas de non-suppression, l’action judiciaire apparaît comme la seule solution.
Le site TRIPADVISOR a déjà fait l’objet de condamnations à cause de commentaires postés et des dérives qui pouvaient en découler.

En 2011, une action avait été intentée par des hôteliers et restaurateurs devant le tribunal de commerce de Paris contre TRIPADVISOR. Le site faisait croire aux internautes que certains hôtels étaient complets pour les renvoyer vers d’autres hôtels, partenaires payants du site. Les juges ont condamné TRIPADVISOR en considérant que cette information donnée aux internautes constituait une pratique déloyale et trompeuse.
En 2014, TRIPADVISOR s’est vu également infliger une amende de 500 000 € par l’Autorité garante de la concurrence et du marché (AGCM) italienne. Celle-ci a mis en avant le fait que certains commentaires étaient postés par des professionnels, et non des consommateurs dans le but de porter préjudice à leurs concurrents. Ces avis de professionnels étaient en outre faux et dénigrants.
Ce qui a valu par conséquent la condamnation de la société TRIPADVISOR.

Dans ces affaires la responsabilité de TRIPADVISOR a donc été engagée du fait de la diffusion sur leur site de leurs propres contenus, et de ceux de professionnels.
Mais cela n’exclut pas que la responsabilité de TRIPADVISOR puisse être recherchée du fait de la diffusion d’un commentaire par un internaute non professionnel.
Comme pour tout site qui diffuse des avis, la responsabilité de TRIPADVISOR pourrait être engagée en cas d’atteinte à la réputation d’un commerçant.
Plusieurs fondements sont à envisager : dénigrement (art. 1382 du Code civil), diffamation, injure (article 29 de la loi du 29 juillet 1881), et publicité trompeuse (article L. 121-1 et s. du code de la consommation).

Rappelons néanmoins que le principe est la liberté d’expression, et que pour qu’une atteinte à la réputation d’une personne soit reconnue, il convient que le message constitue un abus de cette liberté, et à tout le moins que les propos incriminés remplissent les conditions propres à chacun des fondements allégués.
Avant toute action, il conviendra de définir la qualité d’hébergeur, et/ou d’éditeur du site.

TRIPADVISOR hébergeur

Selon l’article 6, I, 2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, l’hébergeur est une personne, physique ou morale, « qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services  ».
Cet article indique que l’activité essentielle de l’hébergeur est de stocker des données pour les mettre à disposition du public. C’est donc un fournisseur de services qui accueille les données des auteurs sans avoir par nature connaissance des messages diffusés.

Dans le cas de TRIPADVISOR, le site assure un stockage de données communiquées par les auteurs des avis.
Il en résulte notamment que TRIPADVISOR doit détenir et conserver ces données lesquelles permettent notamment d’identifier les auteurs des messages litigieux.
Sur requête, il est donc possible de demander au site de communiquer les données permettant d’identifier les personnes anonymes, auteurs des messages (article 6 LCEN).

Une fois ces données obtenues, il est naturellement possible d’agir contre l’auteur du message litigieux. Mais il se peut que malgré la communication de ces données, on ne puisse pas identifier cet auteur.
Dans ce cas, il convient d’examiner les recours possibles contre le site TRIPADVISOIR.
Quant à la responsabilité même du site du fait de la diffusion des avis, elle peut être engagée en sa qualité d’hébergeur s’il n’a pas eu connaissance préalable du contenu illicite, et qu’une fois notifié, il ne le supprime pas promptement.
D’où l’intérêt de faire une lettre de mise en demeure pour porter les messages à la connaissance de TRIPADVISOR.

Ainsi, la société pourra se faire condamner en tant qu’hébergeur à supprimer l’avis litigieux.

Mais dans le cas du site TRIPADVISOR, il semble que la qualité d’éditeur puisse également être retenue.

TRIPADVISOR éditeur

Selon les tribunaux, l’éditeur peut être qualifié comme la personne qui détermine les contenus qui doivent être mis à la disposition du public sur le service qu’il a créé ou dont il a la charge.

Ainsi, l’éditeur a un rôle de nature à connaître ou à contrôler le contenu qu’il diffuse ce qui le différencie avec l’hébergeur qui n’a qu’un rôle de stockage. Mais les deux qualités ne sont pas forcément exclusives l’une de l’autre, et il se peut qu’elles se cumulent.
Il ressort du mode de fonctionnement du site TRIPADVISOR, et de ses conditions générales d’utilisation que les commentaires des internautes sont préalablement vérifiés avant toute publication sur le site.

Après un premier contrôle qui semble être effectué par un logiciel, certains avis paraissent contrôlés a priori par l’équipe de modérateurs du site.
Dès lors, le site TRIPADVISOR peut être qualifié d’éditeur en ce qu’il a connaissance du contenu diffusé, et qu’il peut effectuer un contrôle sur celui-ci.
Du fait de cette connaissance, la responsabilité du site peut, le cas échéant, être engagée.

Mais encore faut-il que l’avis litigieux soit condamnable. Tout dépendra de sa qualification.
Si le contenu est défini comme un dénigrement, la responsabilité de la société pourra être engagée sur le fondement des articles 1382, ou 1383 du Code civil. En cas d’avis trompeur, le fondement qui peut être envisagé est celui de la publicité trompeuse (article L. 121-1 et s. du code de la consommation).

En revanche, si le commentaire en question est une infraction de presse (diffamation, injure), seule la responsabilité du directeur de la publication du site pourra être engagée sur le fondement de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.
Cet article prévoit une responsabilité en cascade. La première personne responsable sera le directeur de la publication, à condition que le message à l’origine de l’infraction ait fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public. L’auteur des propos pourra être poursuivi en tant que complice de l’infraction. Si leur responsabilité ne peut être retenue, celle du producteur peut être engagée.

L’alinéa 5 de l’article 93-3 prévoit enfin que le directeur de publication ne pourra pas voir sa responsabilité engagée comme auteur principal, si l’infraction résulte du contenu d’un message adressé par un internaute et s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message.
Il s’agit donc du même mécanisme utilisé pour engager la responsabilité de l’hébergeur.

Mais contrairement à l’hébergeur, le directeur de la publication sera toujours une personne physique.
Il existe donc divers moyens pour protéger sa réputation entachée sur les sites qui diffusent des avis. Mais cette protection passe nécessairement par un travail préalable de qualification juridique, tant du site qui diffuse le message, que le contenu du message en lui-même.

Arnaud DIMEGLIO Avocat spécialiste en droit des nouvelles technologie, droit de l'informatique et de la communication Et Louise ARNAL, juriste.
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