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Suppression du prénom sur l’acte de naissance de l’enfant par le juge aux affaires familiales. Par Sonia Ben Mansour, Avocat.
Parution : lundi 26 octobre 2015
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Nutella, Titeuf, Assédic, Fraise, ou l’Algérie la vérité… des prénoms qui ont nourri un contentieux judiciaire. Un prénom peut avoir de lourdes répercussions sur la vie future du nouveau-né lorsqu’il attise la moquerie ou qu’il est perçu de manière péjorative. Est-il possible de supprimer le prénom litigieux ? Comment définir les contours du ridicule ou du grossier ou du péjoratif afin de préserver l’intérêt de l’enfant ?

La ligue des officiers d’état civil (ONG) répertorie les prénoms les plus « originaux" [1] qui ont été donné en France [2]. Ces prénoms suscitent l’attention de nombreux abonnés et autres visiteurs du site.
Ils suscitent une attention particulière sur les réseaux sociaux d’autant plus lorsqu’il est jugé insolite par le plus grand nombre.
Ils peuvent également attirer l’attention de l’officier de l’état civil qui en avise le Procureur de la République. Nutella, Titeuf, Assédic, Fraise, ou l’Algérie la vérité [3]… des prénoms qui ont nourri un contentieux judiciaire.

Un prénom peut avoir de lourdes répercussions sur la vie future du nouveau-né lorsqu’il attise la moquerie ou qu’il est perçu de manière péjorative. Est-il possible de supprimer le prénom litigieux ? Comment définir les contours du ridicule ou du grossier ou du péjoratif afin de préserver l’intérêt de l’enfant ?

Le choix du prénom est très important et fait partie intégrante de notre identité. Les parents (ou le parent ou l’Officier de l’état civil dans le cas où les parents sont inconnus) choisissent le prénom de l’enfant lors de sa naissance. Le choix du prénom de l’enfant par ses parents revêt un caractère intime et affectif, et entre donc dans la sphère privée de ces derniers [4].

Avec la loi du 11 germinal an XI (article 1er), les prénoms de l’enfant devaient nécessairement être choisis par les parents « dans les différents calendriers et ceux des personnages connus dans l’histoire ancienne…  ». La pratique a instauré d’admettre des prénoms ne figurant pas dans les sources indiquées par la loi an XI. Ainsi, la loi du 8 janvier 1993 a conféré aux parents la liberté de choisir les prénoms qu’ils donnent à leur enfant [5].

Un contrôle est confié en la matière à l’officier de l’état civil qui reçoit la déclaration de naissance de l’enfant, lequel s’exerce « lorsque les prénoms ou l’un d’eux, seul ou associés aux autres prénoms ou au nom lui paraissent contraires à l’intérêt de l’enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille" [6]. L’officier d’état civil doit inscrire le prénom choisi sur les registres de l’état civil dans tous les cas. Si celui-ci estime que le prénom est contraire à l’intérêt de l’enfant ou au droit des tiers, il doit en aviser sans délai le procureur de la République, lequel peut, s’il est du même avis que l’officier de l’état civil, saisir le juge aux affaires familiales.

Le juge aux affaires familiales doit alors trancher car « à une époque où le patrimoine onomastique s’appauvrit, on peut trouver positif que le prénom ramène une façon de se concevoir unique et de fuir la banalité. L’enfant bien sûr ne doit pas en payer le prix mais le contrôle qui s’exerce est (…) désordonné tant il est vrai que, en dehors des rares hypothèses, le ridicule n’a pas de contours précis. Zébulon vaut-il mieux que Ravi ?" [7].

En effet, de nombreux exemples peuvent être cités [8]. Certains ont été admis comme prénom :
-  la notoriété donnée au célèbre "Mickey" n’a pas constitué un empêchement aux juges qui ont retenu qu’il ne se référait pas à un personnage déconsidéré et était d’usage courant dans les pays anglo-saxons (CA Douai, 15 mai 2000, n° 1999/01445 : JurisData n° 2000-116096).
-  dans l’affaire relative au prénom "Zébulon", les juges ont relevé, que l’ancienneté de cette série télévisée lui retirait toute actualité, que le personnage en cause n’était ni antipathique, ni vulgaire et qu’il attirait la curiosité bienveillante plutôt que la moquerie (CA Besançon, 18 nov. 1999 : JurisData n° 1999-138911 ; D. 2001, p. 1133, note C. Philippe et F. Pouëch ; RTD civ. 2001, p. 559, obs. J. Hauser) ;
-  le fait qu’il soit inspiré du nom d’un monument religieux important de l’église orthodoxe n’a pas empêché l’admission comme prénom de "Tokalie" (CA Caen, 30 avr. 1998 : JurisData n° 1998-055657 ; RTD civ. 1999, p. 813, obs. J. Hauser). Il est vrai que cette connotation religieuse n’est perceptible que par les spécialistes de l’histoire de l’art et n’a aucune influence sur l’appréciation du prénom par le public.
-  le vocable "Cristale" n’a pas paru péjoratif (CA Aix, 16 janv. 1996 : JurisData n° 1996-042027).

Au contraire, d’autres prénoms ont été supprimés de l’acte de naissance de l’enfant [9], dont :
-  "Ravi", Civ. 1ère, 5 juin 1993 n°90-12.823 ("trop grande fantaisie")
-  "Titeuf" (Civ.1ère, 15 février 2012 n°10-27.512 « que comme le relève avec pertinence le premier juge, le personnage de « Titeuf » est présenté comme un garnement pas très malin dont les principales préoccupations concernent les relations avec les filles et le sexe ; que l’ouvrage intitulé « guide du zizi sexuel » est directement associé à ce personnage dont la naïveté et l’ignorance concernant le sexe sont tournées en dérision (…) ; que le prénom Titeuf n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant au motif qu’il est de nature à attirer les moqueries tant de la part des enfants que des adultes en raison de la grande popularité du personnage en France depuis plusieurs années, et que l’association du prénom Titeuf au personnage de pré-adolescent naïf et maladroit risque de constituer un réel handicap pour l’enfant devenu adolescent puis adulte, tant dans ses relations personnelles que professionnelles »).
-  "Joyeux" et "Patriste » attribués au même enfant ont été supprimés comme fantaisistes, voire ridicules, et propres à constituer une gêne pour lui (CA Montpellier, 4 oct. 2006, n° 05/1307 : JurisData n° 2006-323114).
-  Le fait que le prénom "Emjy" fasse référence au chanteur Michael Jackson n’a pas été en soit considéré comme contraire à l’intérêt de l’enfant (CA Amiens, 13 déc. 2012, n° 12/02281 : JurisData n° 2012-030578).

Comment expliquer que Zébulon ait été autorisé et non Ravi ? Cette subjectivité pourrait en laisser plus d’un pantois sans compter que de nombreux prénoms passent à travers les mailles du filet [10]. «  L’objectif est d’anticiper et de prévenir ab initio d’éventuelles difficultés d’ordre relationnel, scolaire, administratif pour la vie future du nouveau-né – Motif louable (l’intérêt de l’enfant) mais mise en œuvre délicate : la subjectivité, voire l’arbitraire, des critères retenus par les tribunaux en font douter. On ne perçoit pas la logique qui permettrait de rationaliser les refus administratifs, les déboutés ou au contraire les bienveillances judiciaires. Tout semble tenir dans l’opinion, la conviction intime, qu’un(e) magistrat(e) se fait de l’intérêt de l’enfant. La norme est assurément propice à de telles solutions accueillant naturellement les stéréotypes sociaux que les juges consolident au nom de l’intérêt de l’enfant" [11] .

Cependant, malgré que l’on ne perçoit pas systématiquement la logique de certaines décisions judiciaires, il faut bien admettre que de nombreux refus sont justifiés car bien que « les hommes couvrent leur méchanceté du manteau de l’hypocrisie » , en matière de prénom les railleries des uns et des autres seront à découverts, notamment à l’école.

Sonia Ben Mansour
Avocat à la Cour
Doctorante à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

[3Romans sur Isère (Drôme) : des parents ont choisi d’appeler leur fille née le 29 mars 2014 "L’Algérie la vérité ».

[4CEDH, 24 octobre 1996 « Guillot c/ France ».n°15773/89, 15774/84.

[5Loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 modifiant le code civil relative à l’état civil, à la famille et aux droits de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales.

[6Article 57 alinéa 3 du Code civil.

[7Laroche-Gisserot, « Choix du prénom », AJ Famille 2012, page 306.

[8Base de données LexisNexis (jurisprudence).

[9Le juge aux affaires familiales attribue, le cas échéant, à l’enfant un autre prénom qu’il détermine lui-même à défaut par les parents d’un nouveau choix qui soit conforme à son intérêt 10. Ligue des officiers d’état civil.

[10Ligue des officiers d’état civil.

[11Hennette-Vauchez S., Pichard M., Roman D., La loi et le genre : Etudes critiques de droit français, CNRS Editions, 2014.