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Le montant de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence : validité, modulation et sanction. Par Christelle Cerf, Avocat.
Parution : lundi 2 novembre 2015
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N’étant prévue par aucun texte, l’obligation de non-concurrence est une création jurisprudentielle. Bien qu’elle obéisse au droit commun des contrats, c’est la Cour de cassation qui en a fixé les contours.

Depuis les arrêts du 10 juillet 2002 (Cass. soc. 10 juillet 2002, n° 00-45135), la validité d’une clause de non-concurrence est subordonnée à la réunion de quatre conditions cumulatives : elle doit être limitée dans le temps et l’espace, indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié et prévoir une contrepartie financière à la charge de l’employeur.

Certaines conventions collectives prévoient des dispositions modulant le montant de l’indemnité de non-concurrence selon différents critères. La jurisprudence ne manque pas de fixer des limites à cette modulation.

Dans un arrêt du 9 avril 2015 (Cass. soc. 9 avril 2015, n° 13-25847), la Chambre sociale a notamment sanctionné une clause de non-concurrence prévoyant une contrepartie financière différente selon le mode de rupture du contrat de travail.

 La contrepartie obligatoire à l’interdiction de concurrence

L’existence d’une contrepartie financière constitue une condition de validité de la clause de non-concurrence (Cass. soc. 10 juillet 2002, n° 00-45387 et n° 99-43334).

Cette exigence jurisprudentielle est applicable à tous les contrats de travail, indépendamment de leur date de conclusion. L’ajout d’une telle contrepartie constituant une modification du contrat de travail, il doit être soumis à l’accord exprès du salarié concerné. En effet, l’employeur ne peut fixer de manière unilatérale le montant et les modalités de paiement de l’indemnité de non-concurrence (Rép. Le Nay : AN 16 mars 2004, p. 2016 n° 16810).

L’effet rétroactif de cette jurisprudence sur les contrats conclus avant 2002 a donc conduit de nombreux employeurs à régulariser des avenants au contrat de travail initial.

Toutefois, la simple référence à une convention collective applicable prévoyant les modalités de calcul de la contrepartie financière peut permettre de compléter une ancienne clause contractuelle qui aurait omis de stipuler le versement d’une indemnité (Cass. soc. 20 janvier 2010, n° 08-44436).

La clause initiale peut ainsi se voir purgée de son irrégularité, mais ce correctif n’a pas d’effet rétroactif. En effet, la validité de la clause s’apprécie à la date de sa conclusion.

Cela signifie que lorsque la disposition conventionnelle prévoyant une contrepartie financière est postérieure au contrat de travail, la clause de non-concurrence est nulle (Cass. soc. 28 septembre 2011, n° 09-68537). Dans ce cas, la signature d’un avenant au contrat initial est impérative pour régulariser la clause.

L’indemnité constituant la cause de l’obligation de non-concurrence, une contrepartie financière dérisoire équivaut à une absence de contrepartie rendant la clause nulle (Cass. soc. 15 novembre 2006, n° 04-46721).

L’appréciation du caractère substantiel de l’indemnité de non-concurrence se fait au cas par cas, selon un faisceau d’indices parmi lesquels on retrouve souvent l’ancienneté et le niveau de qualification du salarié, ainsi que le périmètre géographique et temporel de l’interdiction.

A titre d’illustration, a été jugée comme dérisoire une indemnité correspondant à 15 % du salaire d’un chef de dépôt soumis à une interdiction de concurrence d’une durée d’un an sur trois départements (CA Montpellier, 25 mars 2009, n° 08-7428).

La même Cour d’appel a en revanche admis la licéité d’une clause prévoyant une contrepartie financière de 40 % du salaire moyen d’un directeur technique de production hautement qualifié, dont le champ d’application géographique s’étendait sur plusieurs pays (CA Montpellier, 15 septembre 2010, n° 09-8566).

Toutefois, sous couvert de l’appréciation du caractère dérisoire de l’indemnité, le juge ne peut substituer son appréciation du montant de cette contrepartie à celle fixée par les parties. Il ne s’agit pas d’une clause pénale susceptible d’être révisée par le juge en application de l’article 1152 du Code civil.

Une Cour d’appel ne peut donc pas décider d’annuler une clause et, dans un second temps, accorder au salarié la contrepartie qu’elle estime justifiée (Cass. soc. 16 mai 2012, n° 11-10760).

Cela étant, la stipulation dans le contrat de travail d’une clause de non-concurrence nulle cause nécessairement un préjudice au salarié. S’il ne peut prétendre à une indemnité de non-concurrence, il peut légitimement solliciter l’allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Une salariée s’étant vue imposer une clause de non-concurrence nulle en l’absence de contrepartie financière s’est ainsi vue allouer des dommages et intérêts souverainement évalués au montant de l’indemnité prévue au profit de l’employeur si la salariée avait violé la clause (Cass. soc. 29 avril 2003, n° 01-42026).

Il est important de rappeler qu’en cas de nullité de la clause de non-concurrence, il s’agit d’une nullité relative : seul le salarié peut s’en prévaloir devant le Conseil de prud’hommes pour être libéré de son obligation de non-concurrence (Cass. soc. 28 avril 2011, n° 09-68114).

Il n’est donc pas envisageable qu’un employeur, qui aurait inscrit au contrat de travail une clause de non-concurrence ne remplissant pas les conditions de validité précitées, puisse en revendiquer la nullité pour échapper aux conséquences pécuniaires de l’interdiction qu’il a imposée au salarié.

 Les critères de modulation tolérés

Certaines conventions collectives prévoient la modulation du montant de l’indemnité de non-concurrence selon le champ d’application matériel de l’obligation de non-concurrence.

Ainsi, une clause de non-concurrence peut stipuler une contrepartie financière correspondant à 1/3 des appointements mensuels si l’interdiction vise un produit ou une technique de fabrication, et 2/3 si l’interdiction vise plusieurs produits ou techniques de fabrication.

C’est notamment le cas de la convention collective de la chimie (avenant ingénieur, art. 16), de l’industrie des cuirs et peaux (avenant cadres, art. 18), de la fabrication et le commerce des produits à usage pharmaceutique, parapharmaceutique et vétérinaire (avenant cadres art. 11)…

La convention collective des pompes funèbres, quant à elle, prévoit une indemnité de non-concurrence qui varie selon l’ancienneté du salarié : s’il a moins d’un an d’ancienneté, l’indemnité est égale à 1/10ème de la rémunération mensuelle moyenne brute des douze derniers mois. A partir d’un an d’ancienneté, le salarié bénéficie d’une contrepartie financière égale à l’indemnité de licenciement pour un agent de même catégorie ayant 20 ans d’ancienneté.

Enfin, d’autres dispositions conventionnelles font varier le montant de l’indemnité selon la période d’application de la clause. Ainsi, une clause peut prévoir une indemnité d’1/3 de la rémunération brute moyenne pour la période d’interdiction inférieure ou égale à un an, et ½ pour la période d’interdiction entre un an et deux ans.

Telles sont les modalités prévues par la convention collective des entreprises d’import-export (art. 8 bis) et celle des papiers et cartons (ingénieurs et cadres, art. 42).

La convention collective de la fabrication mécanique du verre va plus loin en prévoyant une indemnité mensuelle de 50 % de la moyenne des trois derniers mois de salaire, puis de 100 % au-delà de 2 ans d’interdiction (annexe II, art. 11). Ces dispositions particulièrement larges (tant en matière de montant que de durée) s’expliquent en raison du caractère délicat ou secret de certaines fabrications.

Toutefois, la complexité et la diversité des dispositions conventionnelles pourraient conduire le législateur, dans un souci de sécurité juridique, à unifier les règles applicables à la détermination du montant de l’indemnité de non-concurrence.

 La sanction de la modulation selon le mode de rupture

La contrepartie financière étant une condition de validité de la clause de non-concurrence, elle doit exister dans tous les cas de rupture du contrat de travail.

Ainsi, une clause qui ne prévoit le versement d’une d’indemnité qu’en cas de licenciement est nulle, dans la mesure où elle méconnait la liberté fondamentale du salarié d’exercer une autre activité professionnelle après une démission.

En effet, dans une telle hypothèse, le salarié démissionnaire resterait soumis à l’obligation de non-concurrence sans pour autant percevoir de contrepartie financière. Or, les parties ne peuvent dissocier les conditions d’ouverture de l’obligation de non-concurrence de celles de son indemnisation.

Mais la Cour de cassation va plus loin en sanctionnant l’employeur qui aurait mal rédigé la clause. Elle n’hésite pas à annuler ce type de clause à la demande d’un salarié licencié qui souhaiterait être exonéré de l’obligation de non-concurrence envers son ancien employeur, alors même qu’il aurait pu prétendre à une contrepartie (Cass. soc. 31 mai 2006, n° 04-44598).

De même, l’indemnité de non-concurrence ne peut être subordonnée à l’absence de faute grave du salarié ayant justifié son licenciement (Cass. soc. 24 octobre 2006, n° 04-45862).

Toutefois, lorsque la clause prévoit une indemnité mais en minore le montant en cas de faute grave, la clause n’encourt pas la nullité. Seule les dispositions relatives à la minoration du montant sont réputées non-écrites (Cass. soc. 8 avril 2010, n° 08-43056).

Une décision similaire a été rendue concernant une clause qui prévoyait une indemnité réduite de moitié en cas de démission du salarié (Cass. soc. 25 janvier 2012, n° 10-11590) et plus récemment en matière de rupture conventionnelle (Cass. soc. 9 avril 2015, n° 13-25847).

Il s’agit là d’une solution logique selon laquelle les parties ne peuvent différencier le montant de l’indemnité selon le mode de rupture du contrat de travail. En effet, l’atteinte au libre exercice d’une activité professionnelle est la même pour le salarié licencié que pour celui qui a choisi de quitter l’entreprise.

Une telle clause sera réputée non-écrite, et le salarié sera éligible à l’indemnité majorée prévue en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur.

Il est intéressant de relever que jusqu’en 2010, la Cour de cassation permettait aux parties d’exclure la mise en œuvre d’une clause de non-concurrence en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur. Dans cette configuration, la cour d’appel constatait que l’obligation de non-concurrence ne s’appliquait pas au salarié qui avait été licencié (Cass. soc. 6 janvier 2010, n° 08-41357). Mais une lecture cohérente de la jurisprudence récente laisse penser qu’une telle décision ne trouverait plus à s’appliquer.

Cette position jurisprudentielle est source de contentieux dans la mesure où elle invalide bon nombre de dispositions conventionnelles encore applicables qui prévoient des indemnités réduites en cas de démission ou de rupture conventionnelle. Tel est notamment le cas de la convention collective des agences générales d’assurance (art. 52), des experts-comptables et commissaires aux comptes (art. 8.5.1), de la métallurgie (ingénieurs et cadres, art. 28), du travail temporaire (accord relatif au personnel permanent, art. 7.4)…

Dans ces secteurs d’activités, les employeurs doivent donc être particulièrement vigilants lors de la rédaction des contrats de travail et ne pas se limiter à une référence aveugle à la convention collective.

En tout état de cause, l’employeur conserve une certaine souplesse par la mise en œuvre de sa faculté de renonciation unilatérale à l’application de la clause de non-concurrence, sous réserve que le contrat de travail ou la convention collective le prévoit. Bien qu’elle soit soumise à des conditions de forme et de délais, la renonciation constitue un outil efficace pour écarter une clause potentiellement nulle ou désavantageuse.

Christelle CERF, Avocat au Barreau de Lyon
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