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Le droit au reclassement des agents contractuels de droit public. Par Karin Hammerer, Avocate.
Parution : lundi 9 novembre 2015
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Depuis une dizaine d’années, la jurisprudence a lentement mais sûrement dessiné les contours d’un véritable droit au reclassement des agents contractuels de droit public.

Éléments d’explication.

Conformément à l’article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, les emplois civils permanents de l’État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics administratifs sont occupés par des fonctionnaires.

Toutefois, dans un souci de souplesse de gestion, des exceptions législatives ont été prévues afin de permettre aux autorités publiques d’engager également des agents contractuels sur de tels emplois, y compris pour des besoins permanents.

Ces hypothèses de recrutement sont limitativement énumérées. Toutefois, elles peuvent, dans certains cas, aboutir à la conclusion de contrats à durée indéterminée (CDI) et, par suite, à la pérennisation de ces engagements.

La généralisation du CDI, opérée par la loi Dutreil n° 2005-843 du 26 juillet 2005 puis la loi Sauvadet n° 2012-347 du 12 mars 2012, a d’ailleurs accru ce mouvement de déprécarisation.

Dans ces conditions, se pose la question de l’étendue des droits accordés aux agents contractuels et de la difficile conciliation à opérer dans ce cadre entre :

- la nécessaire protection dont doivent bénéficier ces personnels, qui peuvent être recrutés sur de longues, voire de très longues périodes,

- et la non moins nécessaire distinction qui doit être opérée avec les fonctionnaires, qui constituent les effectifs de droit commun des administrations publiques et sont soumis, en principe, à la voie de recrutement plus sélective et égalitaire du concours.

Ainsi, si la jurisprudence persiste à dénier toute carrière aux agents non titulaires, elle reconnaît depuis plusieurs années que, sauf à ce qu’ils soient fictifs ou frauduleux, leurs contrats sont créateurs de droits [1].

Au premier rang de ces droits figure celui :

- non pas de conserver les emplois sur lesquels ils ont été recrutés, qui peuvent toujours, et parfois même doivent, être confiés à des fonctionnaires,

- mais, en dehors des cas de licenciements pour insuffisance professionnelles ou pour faute, de garder une affectation au sein des collectivités publiques qui les ont engagés dans l’hypothèse où ils ne pourraient être maintenus sur leurs postes initiaux.

C’est le pendant de ce droit qui constitue l’obligation de reclassement s’imposant aux employeurs publics.

Celle-ci a ainsi été consacrée successivement pour les agents contractuels en cas :

- d’inaptitude physique [2],
- d’illégalité non régularisable de leurs contrats [3],
- de remplacement par un fonctionnaire [4],
- de suppression d’emploi [5].

Elle a également été entérinée par l’article 49 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 qui a appelé les décrets qui régissent les agents non titulaires à fixer « les obligations de reclassement » applicables. Cependant, à ce jour, seul le décret n° 2014-1318 du 3 novembre 2014 est venu modifier en ce sens le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux agents contractuels de l’État.

La mise en œuvre de ce principe :

- concerne aussi bien les agents publics en CDI que ceux en CDD, dans la limite pour ces derniers de la période restant à courir avant le terme de leur contrat ;

- et suppose qu’avant de le licencier, l’administration propose à l’agent concerné un emploi de niveau équivalent, ou, à défaut d’un tel emploi et si l’intéressé le demande, tout autre emploi.

L’obligation de reclassement paraît donc relativement protectrice. Toutefois, il s’agit d’une obligation de moyen et non de résultat, c’est-à-dire davantage d’une obligation de recherche.

Elle doit donc être nuancée :

- puisque le reclassement proprement dit est subordonné à l’existence d’un poste vacant susceptible d’être confié à l’intéressé, qui plus est au seul sein de l’organisme qui l’emploie ;

- de sorte qu’il dépend étroitement du nombre de postes existants et, par suite, de la taille de l’administration concernée.

En d’autres mots, les agents contractuels employés par de petits établissements ou collectivités auront nettement moins de chances d’être reclassés que les autres et seront ainsi plus facilement licenciés.

En conclusion, s’il apporte une certaine souplesse dans les ressources humaines publiques, l’instrument contractuel est peu à peu doté d’un véritable statut parallèle tendant notamment et légitimement à la sécurisation de ces personnels.

Certaines collectivités l’ont d’ailleurs bien compris, à tel point qu’elles recourent de plus en plus, y compris de manière abusive, à des vacataires auxquels même les droits limités reconnus aux agents non titulaires sont déniés.

Mais cela est encore une autre histoire.

Karin Hammerer, Avocate au Barreau de Lyon spécialiste en droit public www.hammerer-avocat.fr

[1CE, Section, 31 décembre 2008, M. Jean-Pierre A., n° 283256.

[2CE, 26 février 2007, ANPE, n° 276863.

[3CE, Section, 31 décembre 2008, M. Jean-Pierre A., n° 283256.

[4CE, Section, avis, 25 septembre 2013, Mme Sadlon, n° 365139.

[5CE, 26 mai 2014, Ministre de l’Education nationale, n° 366197.