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Elections régionales 2015 : comment contester le scrutin ? Par Pierrick Gardien, Avocat.
Parution : mardi 10 novembre 2015
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Les prochaines élections régionales se dérouleront les 6 et 13 décembre 2015. C’est l’occasion de faire le point sur les possibilités de recours en la matière (contentieux électoral).

Les élections régionales se tiendront les 6 et 13 décembre 2015 en France Métropolitaine, Corse, Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion (Mayotte ne sera pas concernée par le scrutin régional de 2015), l’ensemble des recours dirigés contre l’organisation de ces élections à ces dates ayant été rejetés par le Conseil d’Etat (CE, 27 octobre 2015, n° 393026, 388807 et 390456).

Les opérations électorales auront pour objet de pourvoir les sièges des conseillers régionaux dans les 13 nouvelles régions issues de la réforme territoriale de décembre 2014 (loi du 16 janvier 2015) pour une durée de 6 ans (article L336 du Code électoral).

1671 conseillers régionaux des nouvelles régions métropolitaines (hors Corse, et outre-mer) seront notamment élus lors de ce scrutin, au scrutin de liste à deux tours, mêlant scrutin majoritaire et représentation proportionnelle, sans adjonction ni suppression de noms (interdiction du panachage) et sans modification de l’ordre de présentation (pas de vote préférentiel) (article L338 du Code électoral).

La réforme territoriale de 2015 a instauré un nombre minimum de sièges de conseillers régionaux par département (article L338-1 du Code électoral), qui s’appliquera pour la première fois lors du scrutin de décembre :

- Un minimum de deux sièges de conseillers régionaux pour les départements de moins de 100.000 habitants,
- Et un minimum de quatre sièges de conseillers régionaux pour les départements d’au moins 100.000 habitants.

C’est l’occasion de faire le point sur les possibilités de recours en la matière (contentieux des élections régionales).

1/ L’intérêt à agir

Aux termes des dispositions de l’article L.361 du Code électoral « Les élections au conseil régional peuvent être contestées dans les dix jours suivant la proclamation des résultats par tout candidat ou tout électeur de la région devant le Conseil d’Etat statuant au contentieux. Le même droit est ouvert au représentant de l’Etat dans la région s’il estime que les formes et conditions légalement prescrites n’ont pas été respectées. ».

Il résulte de cet article que les élections régionales peuvent être contestées par :

- Tout électeur de la région,
- Les candidats,
- Et le Préfet (représentant de l’Etat dans la région).

A contrario, les opérations électorales ne peuvent être contestées par les partis politiques (CE, 17 octobre 1986, Elections cantonales de Sevran, n° 70266), les associations, ou la région elle-même.

Par ailleurs, et conformément à la rédaction susvisée, un électeur ou un candidat d’une autre région ne saurait également pouvoir valablement contester le scrutin d’une région qui n’est pas la sienne.

2/ La juridiction compétente

La juridiction compétente pour connaître d’un recours contre un scrutin régional est le Conseil d’Etat, statuant en la matière en premier et dernier ressort (article L361 du Code électoral) (article L311-3 2° du Code de Justice Administrative).

Toute protestation contre un scrutin régional déposée devant le Tribunal Administratif sera par conséquent déclarée irrecevable.

3/ Les délais pour agir, et les modalités concrètes d’exercice du recours

S’agissant des modalités concrètes d’exercice du recours, les protestations électorales contre un scrutin régional doivent être déposées au greffe du Conseil d’Etat dans un délai maximum de 10 jours suivant la proclamation des résultats (article L361 du Code électoral), c’est-à-dire au plus tard :

- le mercredi 16 décembre 2015 pour une élection acquise au premier tour,
- ou le mercredi 23 décembre 2015 pour une élection acquise au second tour.

Ces protestations destinées au Conseil d’Etat peuvent également être déposées à la préfecture ou à la sous-préfecture du domicile du requérant (article R773-4 CJA).

Le Préfet lui-même, s’il estime que les formes et conditions légalement prescrites n’ont pas été respectées, dispose d’un délai de 10 jours pour déférer les opérations électorales au contrôle du Conseil d’Etat (article L361 du Code électoral).

Conformément aux règles traditionnelles de la procédure administrative, le Conseil d’Etat est tenu de notifier la protestation électorale aux conseillers régionaux intéressés (article R611-1 CJA), sans toutefois qu’un délai particulier soit prévu en la matière (à l’inverse du scrutin municipal et départemental).

4/ La présentation de la requête

De manière traditionnelle s’agissant d’un contentieux administratif, la requête en contestation d’un scrutin régional devra impérativement être signée par le requérant (CE, 7 décembre 1983, commune de Briot, n° 51788), comporter ses nom, prénom, et domicile, indiquer de manière précise et non équivoque les demandes (ex : annulation du scrutin et/ou proclamation d’un autre candidat) (CE, 22 juin 1990, commune de Forbach, n° 107768) ainsi que les irrégularités relevées (CE, 9 octobre 2002, commune de Goyave, n° 235362). Le requérant visera également nommément le ou les candidats dont l’élection est contestée dans sa protestation, et on lui conseillera de justifier de sa qualité, lui donnant intérêt à agir dans ce contentieux particulier (électeur de la région, candidat).

Si le recours à un avocat est facultatif en matière électorale devant le Conseil d’Etat (article R432-2 CJA), les conseils du professionnel peuvent néanmoins être efficaces pour contester valablement le scrutin régional, dans un délai restreint.

A noter enfin que le bénéfice de l’aide juridictionnelle peut être sollicité par un justiciable pour engager un contentieux régional (réponse ministérielle, JO Sénat du 27/09/2007, page 1732).

5/ Les moyens invocables

Tout moyen peut être invoqué par les requérants pour démontrer la nullité des opérations électorales. Ainsi, à titre d’exemples, des manœuvres altérant la sincérité du scrutin (ex : diffamation) (CE, 14 novembre 2008, commune du Vauroux, n° 316708 - CE, 16 juin 1972, Élections municipales du Blanc, n° 84204), des éléments matériels démontrant la rupture d’égalité entre les candidats, de l’inscription de faux électeurs, de « l’achat » de votes, de l’absence de signature de l’un des candidats sur la déclaration de candidature (CE, Ass., 21 décembre 1990, Élections municipales Mundolsheim, n° 112221), de l’inéligibilité d’un candidat (CE, 29 juillet 2002, Élections municipales Levallois Perret, n° 240108), des infractions commises lors du déroulement du scrutin, etc.

L’annulation totale du scrutin ne sera toutefois prononcée par le Conseil d’Etat qu’en cas de vice substantiel, ou si le juge ne peut déterminer avec certitude le résultat de l’élection en raison des irrégularités commises.

Un faible écart de voix entre les candidats renforcera, en cas de manœuvres, la propension du juge à annuler le scrutin (CE, 8 juillet 1992, Élection cantonale partielle Saint-Denis-de-la-Réunion, n° 126820).

On précisera enfin que le contentieux de l’élection régionale ne saurait être l’occasion de contester, par voie d’exception, le redécoupage de la carte des régions issue de la loi du 16 janvier 2015.

6/ Les pouvoirs du juges - les conséquences du recours

Le recours exercé contre un scrutin régional est un recours objectif de plein contentieux.

En effet, le juge de l’élection dispose d’un pouvoir très large en la matière et peut notamment :

- Apprécier la validité des procédures électorales,
- Contrôler la validité des suffrages émis,
- Modifier le nombre de suffrages recueillis par un candidat,
- Rectifier le nombre de sièges obtenus par une liste,
- Reconnaître l’inéligibilité d’un candidat,
- Annuler de manière totale (en cas de vice substantiel) ou partielle, le scrutin,
- Ou proclamer élus certains candidats à la place d’autres (CE 20 octobre 2004, Élections régionales de Picardie, Montès et a., n°266334).

Il conviendra donc d’apporter un soin tout particulier à la rédaction de la requête en matière de contentieux des élections régionales dans la mesure où le juge électoral est tenu par les demandes des parties et ne pourra donc, sauf moyens d’ordre public, prononcer des mesures qui ne lui ont pas été demandées par le requérant (CE, 1er décembre 1989, commune de Seraincourt, n°108998).

Ainsi, à titre d’exemple, une protestation tendant à l’annulation d’une élection régionale, lorsqu’elle est fondée sur des griefs tirés de la discordance entre le nombre de suffrages comptabilisés et le nombre d’émargements, ne saisit le juge que des écarts contestés dans les bureaux de vote mentionnés dans la protestation, et non de ceux des autres bureaux de vote (CE 1er décembre 2010, Élection des membres du conseil régional des Pays-de-Loire, n°337945).

Par ailleurs, si la protestation ne porte que sur les opérations électorales intervenues dans un des départements de la région, et qu’aucun grief n’a été invoqué dans le délai de recours à l’encontre des résultats proclamés dans les autres départements de cette région, il n’appartient pas au Conseil d’État de se saisir des résultats des opérations électorales intervenues dans ces derniers départements (CE 20 octobre 2004, Élections régionales de Picardie, Montès et a., n°266334).

Particularité du scrutin régional, liée au mode de scrutin, on notera par ailleurs que l’annulation partielle de l’élection, dans laquelle l’attribution des sièges constitue une opération indivisible, ne peut être prononcée que si les griefs présentés à l’appui de la protestation portent :

- soit sur l’inéligibilité d’un ou de plusieurs candidats ou sur l’incompatibilité de leurs fonctions avec le mandat de conseiller régional,
- soit permettent au juge de reconstituer avec certitude la répartition exacte des voix (CE, , 7 mai 1993, Pierret, n°135965 ; CE 23 juill. 1993, M. Schiffler, Election Régionale dans le département de la Moselle, n°135980).

S’agissant d’un scrutin de liste, le juge administratif peut ainsi annuler un seul siège (et non l’élection toute entière). Ce siège sera alors normalement pourvu par la désignation du candidat venant immédiatement après le dernier élu de la liste qui doit disposer de ce siège, en application du Code électoral (article L360 du Code électoral). Lorsque ces dispositions ne peuvent être appliquées (en raison du nombre de voix en présence), le juge électoral constatera la vacance du siège jusqu’au prochain renouvellement du conseil régional (CE, 4 juillet 2011, Elections régionales d’Ile-de-France Mme A., M. M., n°338033).

7/ Les délais de jugement et les possibilités de recours contre la décision rendue

Aucun délai préfix n’est posé par le Code électoral pour que le Conseil d’Etat prononce sa décision en matière de contentieux régional, qui sera notifiée aux parties intéressées.

On notera, à titre d’exemple, que le Conseil d’Etat s’est prononcé le 4 juillet 2011 sur une protestation électorale tendant à l’annulation des opérations électorales s’étant déroulées les 14 et 21 mars 2010 dans la région Ile-de-France, soit un délai de jugement de plus d’un an et demi (CE, 4 juillet 2011, Elections régionales d’Ile-de-France Mme A., M. M., n°338033).

Le conseiller régional dont l’élection est contestée reste en fonction jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué sur la réclamation (article L362 du Code électoral).

La décision rendue par le Conseil d’Etat ne sera susceptible d’aucun recours, hors cas particuliers (recours en révision, recours en rectification d’erreur matérielle, opposition, tierce-opposition)

Enfin, en cas d’annulation de l’ensemble des opérations électorales dans une région, il est procédé à de nouvelles élections dans cette région dans un délai de trois mois (article L363 du Code électoral).

NB : les articles du Code électoral cités dans le présent article sont cités dans leur version à venir au 1er décembre 2015 (version applicable au jour des élections régionales).

Pierrick Gardien Avocat Droit Public Barreau de Lyon [->contact@sisyphe-avocats.fr] 07 80 99 23 28 http://www.sisyphe-avocats.fr/ http://twitter.com/avocatpublic