Village de la Justice www.village-justice.com

Le géoblocking mis en question par la Commission européenne. Par Nina Gosse, Consultante.
Parution : jeudi 12 novembre 2015
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/geoblocking-mis-question-par,20836.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le 16 novembre prochain se terminera la consultation publique sur la Directive satellite et câble, ouverte l’été dernier par la Commission européenne. Un sujet d’actualité qui s’inscrit dans le cadre de la fameuse stratégie pour le marché unique numérique, lancée en mai dernier. Tout comme la consultation qui a été menée sur l’opportunité de réviser la directive SMA, l’objectif poursuivi est un meilleur accès aux contenus audiovisuels à travers l’UE. En envisageant une révision des principes applicables à l’acquisition des droits d’auteur par les organismes de radiodiffusion européens, elle pourrait conduire à réduire l’existence des blocages géographiques sur Internet.

Le principe de territorialité du droit d’auteur en débat.

La territorialité du droit d’auteur, notion fondamentale qui permet aux titulaires de droits de limiter leur attribution à un territoire déterminé, suscite aujourd’hui de vives critiques. A une époque où Internet nourrit l’envie d’un accès permanent, nomade et illimité à tous les contenus, de telles restrictions paraissent pour beaucoup injustifiées.

De manière simple, ce principe permet de vendre (ou non) les droits détenus sur un programme dans un ensemble de pays via des licences distinctes. Dès lors, un programme pourra, par exemple, être visible en Estonie mais pas en Belgique. Or, adossé à la logique économique qui veut qu’un diffuseur n’achète un programme que s’il est rentabilisé par une audience suffisante, ce principe accusée de créer une situation fragmentée au sein de l’UE quant à l’accessibilité des programmes audiovisuels. Il est néanmoins à la base du financement de la création.

C’est sur ce principe que s’appuie la pratique commerciale du blocage géographique (« géoblocking »), qui permet d’accepter ou de refuser l’accès à un contenu en fonction de l’adresse IP du demandeur, et qui fait beaucoup parler de lui. Dernièrement, Bruxelles a ainsi adressé une communication des griefs à Sky UK et six grands studios de cinéma américains, estimant que ceux-ci ont convenu sur une base bilatérale d’instaurer des restrictions contractuelles empêchant Sky UK de permettre aux consommateurs de l’UE d’avoir accès, par satellite ou en ligne, à des services de télévision payante disponibles au Royaume-Uni et en Irlande lorsqu’ils ne se trouvent pas dans ces pays .

Plus largement, la Commission européenne a émis son souhait de réformer le droit d’auteur sur cet aspect dans un sens plus favorable aux consommateurs. Dans son projet de rapport sur la réforme des droits d’auteur, l’eurodéputée Julia Reda pointait du doigt la territorialité du droit d’auteur : « La grande majorité des utilisateurs finaux interrogés déclarent rencontrer des problèmes lorsqu’ils tentent d’accéder aux services en ligne dans l’ensemble des États membres, en particulier là où des mesures de protection technologiques sont utilisées pour appliquer des restrictions territoriales ». Toutefois, le rapport finalement adopté par le Parlement européen, le 9 juillet dernier, se veut plus mesuré. Le Parlement a invité la Commission à proposer des solutions afin d’améliorer l’accessibilité transfrontalière des services et des contenus protégés par le droit d’auteur, tout en reconnaissant que la territorialité était inhérente à l’existence des droits d’auteur. Il soutient, comme solution équilibrée, la portabilité des contenus, soit la possibilité pour des abonnés de visionner des contenus achetés n’importe où au sein de l’UE. Une proposition législative de la Commission européenne sur le droit d’auteur est attendue pour la fin de l’année. Il s’agit de la possibilité pour des abonnés à un service ou à une chaine de visionner des contenus à l’étranger.

Le double régime prévu par la Directive câble & satellite.

La Directive de 1993 vise à faciliter la diffusion transfrontière de programmes audiovisuels, en particulier la radiodiffusion par satellite et la retransmission par câble. A cet effet, des mécanismes sont mis en place afin d’assurer que les créateurs et réalisateurs de programmes obtiennent un juste bénéfice, au titre des droits de propriété intellectuelle, de l’utilisation de leurs œuvres. Le texte fixe deux régimes distincts en matière d’acquisition des droits d’auteur.

Concernant la radiodiffusion par satellite, la Directive prévoit un droit de communication au public valable sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Une seule licence est nécessaire, et elle est octroyée dans le pays d’origine du programme diffusé par satellite (principe du pays d’origine).

Pour sa part, la retransmission par câble reste soumise à un système d’autorisations par pays, simplifié néanmoins par l’application d’un mécanisme de gestion collective obligatoire. Chaque câblo-opérateur doit donc obtenir une autorisation du diffuseur d’origine, concédée individuellement, et des différents ayants droits, par les sociétés de gestion collective. Néanmoins, les organismes de radiodiffusion sont autorisés à exercer individuellement leurs droits de retransmission par câble pour leurs propres émissions (droits d’auteur originaux et droits d’auteur voisins) et par là même à jouer un rôle de « guichet unique ».

L’extension du régime plus souple de la Directive à Internet

Les deux régimes fixés par la Directive câble & satellite ne s’appliquent qu’aux transmissions par satellite et retransmissions par câble. Ils ne s’appliquent donc pas, en particulier, aux transmissions ou retransmissions de contenus audiovisuels en ligne. Par conséquent, chaque ayant droit peut négocier ses droits en direct, pays par pays, sans gestion collective. Un régime donc plus stricte et contraignant qui mène aux problèmes de blocages géographiques et critiques évoqués précédemment.

La consultation interroge donc sur l’opportunité d’une extension de l’un ou de l’autre de ces deux régimes (pays d’origine ou système de gestion des droits de retransmission), notamment aux diffusions sur Internet. L’extension du système du pays d’origine éviterait tout problème de blocage géographique, tandis que l’alternative du régime du câble simplifierait l’accès aux licences d’exploitation.

Une telle révision de la Directive irait dans le sens des développements technologiques et des nouveaux usages en découlant (IPTV, simulcasting, SVOD…), dont on sait qu’ils sont très importants aujourd’hui. Surtout, elle participerait à la réalisation du souhait de la Commission européenne d’un marché unique numérique sans frontières, protégeant néanmoins la créativité et les droits d’auteur en Europe.

Dans le même souci de favoriser la disponibilité transfrontière des services en ligne et d’éviter les situations de blocage, la consultation interroge sur l’opportunité d’étendre les mécanismes actuels de médiation et de négociation prévus par la Directive.

Enfin, la Commission a également lancé une enquête pour évaluer le fonctionnement et la pertinence de la directive, ainsi que les aspects juridiques et économiques du paysage audiovisuel. Les résultats de cette enquête seront rendus publics au printemps prochain.

L’application de la directive avait déjà été examinée en 2002, mais aucune révision n’avait été engagée, reportant cette opportunité à un stade ultérieur.

Les acteurs potentielle impactés sont les radiodiffuseurs, auteurs, producteurs audiovisuels et de phonogrammes, artiste-interprètes ou exécutants, organismes de gestion collective, cablo-opérateurs et opérateurs de satellites, fournisseurs de services en ligne.

Remarque : la Commission européenne a également lancé, en septembre, une consultation sur le blocage géographique et d’autres formes de restrictions basées sur des critères géographiques. Toutefois, celle-ci ne porte pas sur le contenu protégé par le droit d’auteur ni sur les pratiques en matière d’octroi de licence sur le contenu.

Nina Gosse
Consultante Juridique & Affaires Publiques chez NPA Conseil