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L’article 905 du Code de procedure civile : danger. Par Vincent Mosquet, Avocat.
Parution : vendredi 27 novembre 2015
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Le recours à l’article 905 du Code de procédure civile peut résulter d’une décision qui n’est pas expressément portée à la connaissance de l’intimé.

Devant la Cour d’appel, lorsque la représentation par avocat est obligatoire, les parties sont soumises aux délais des articles 908 et suivants du Code de procédure civile, à moins qu’il ne soit fait application de l’article 905 : « Lorsque l’affaire semble présenter un caractère d’urgence ou être en état d’être jugée ou lorsque l’appel est relatif à une ordonnance de référé ou à une des ordonnances du juge de la mise en état énumérées aux 1° à 4° de l’article 776, le président de la chambre saisie, d’office ou à la demande d’une partie, fixe à bref délai l’audience à laquelle elle sera appelée ; au jour indiqué, il est procédé selon les modalités prévues aux articles 760 à 762. »

1) L’article 905 n’est pas le seul texte qui permet de déroger au dispositif des articles 908 et suivants.

D’autres textes sont interprétés comme imposant également de déroger au dispositif des articles 908 et suivants tel l’article R.121-20 du Code des procédures civiles d’exécution selon lequel « Le délai d’appel est de quinze jours à compter de la notification de la décision.
L’appel est formé, instruit et jugé selon les règles applicables à la procédure avec représentation obligatoire.
La cour d’appel statue à bref délai. »

Certaines cours d’appel déduisent de ce texte que pour l’appel des décisions du juge de l’exécution devant être jugées à bref délai, il doit être fait application de l’article 905.
L’article R.661-6, 3°, du Code de commerce est plus explicite puisqu’il cite expressément l’article 905 : « L’appel des jugements rendus en application des articles L. 661-1, L. 661-6 et des chapitres Ier et III du titre V du livre VI de la partie législative du présent code, est formé, instruit et jugé suivant les modalités de la procédure avec représentation obligatoire prévue par les articles 901 à 925 du code de procédure civile, sous réserve des dispositions qui suivent : …
3° Dans les cas autres que ceux qui sont mentionnés au 2° ci-dessus et sauf s’il est recouru à la procédure à jour fixe, l’affaire est instruite conformément aux dispositions de l’article 905 du code de procédure civile. Le président de la chambre peut toutefois décider que l’affaire sera instruite sous le contrôle d’un magistrat de la chambre dans les conditions prévues par les articles 763 à 787 du même code ; …. »

Antérieurement au décret du n°2009-1524 du 9 décembre 2009 – le 3 ° de l’article R 661-6 était ainsi rédigé : « Dans les cas autres que ceux qui sont mentionnés au 2° ci- dessus et sauf s’il est recouru à la procédure à jour fixe, l’affaire est instruite conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 910 du code de procédure civile. Le président de la chambre peut toutefois décider que l’affaire sera instruite selon les modalités prévues au premier alinéa du même article ».

Ainsi, la nécessité de juger à bref délai a été maintenue, mais en introduisant
-  une exception à l’application de la procédure avec représentation obligatoire, à savoir l’application de l’article 905
-  mais également une possibilité de déroger partiellement aux dispositions de l’article 905 sans toutefois revenir au dispositif des articles 908 et suivants.

L’exception à l’exception ne fait donc pas revenir à la procédure courante, à savoir l’application des articles 908 et suivants mais à la procédure de la mise en état applicable devant le tribunal de grande instance.

2) Nombreuses sont les victimes des chausse-trappes de ce dispositif des articles 908 et suivants.

Il existe aussi des victimes à la non application de ce dispositif ainsi que le révèle un arrêt de la Cour de Cassation, deuxième chambre civile du 15 octobre 2015, n° de pourvoi 14-22530.

Sur l’appel d’un jugement prononçant la liquidation judiciaire de l’appelant, la Cour d’appel de Toulouse a fait application de l’article 905 avant même d’avoir reçu une constitution de l’intimé qui était demandeur à l’ouverture de la procédure collective.
L’appelant seul fut informé de l’ordonnance par laquelle le président de la chambre de la Cour d’appel à laquelle l’affaire avait été distribuée de fixer l’affaire à une date d’audience et de prononcer la clôture le même jour.

Lorsqu’il a constitué avocat, postérieurement à cette ordonnance, l’intimé croyait que la procédure était soumise aux dispositions des articles 908 et suivants. Ainsi, d’un part, il ne s’est pas renseigné pour savoir si une fixation était intervenue, d’autre part il croyait bénéficier d’un délai de deux mois pour conclure en réponse aux conclusions de l’appelant qui avait lui-même déposé des conclusions 20 jours avant la date de l’audience.

La Cour d’appel a néanmoins retenu le dossier à l’audience, prononcé l’ordonnance de clôture et statué au fond en réformant le jugement de liquidation judiciaire, sans attendre les conclusions de l’intimé.

Le créancier intimé a formé un pourvoi en cassation et a soulevé trois moyens qui ont tous été rejeté pour des motifs qui paraissent d’inégales valeurs :
a) Le demandeur au pourvoi a fait valoir que la clôture de l’instruction ne pouvait pas être prononcée avant l’expiration du délai de deux mois de l’article 909.
La Cour de cassation lui répond que l’affaire, relative à l’appel par le débiteur d’une décision statuant sur l’ouverture d’une liquidation judiciaire, a été instruite conformément aux dispositions de l’article 905 du code de procédure civile auxquelles renvoie l’article R. 661-6, 3°, du Code de commerce dans sa rédaction applicable au litige, et que les dispositions de l’article 909 du code de procédure civile ne s’appliquent pas aux procédures régies par l’article 905 ;
Ainsi dès lors qu’il est fait application de l’article 905, le délai de l’article 909 ne s’applique pas et il appartient donc à l’intimé de conclure soit dans le délai qui lui est imparti soit en tous cas, avant la date de la clôture.
L’article 905 ayant pour but d’accélérer la procédure, une telle solution se comprend. Elle est d’ailleurs conforme à l’avis de la Cour de cassation du 3 juin 2013 n° 15011P : les dispositions des articles 908 à 911 du Code de procédure civile ne sont pas applicables aux procédures fixées selon les dispositions de l’article 905 du même code

b) Le pourvoi se référait également aux dispositions de l’article 782 du Code de procédure civile relatif à l’ordonnance de clôture qui précise que «  copie de cette ordonnance est délivrée aux avocats ».
La Cour de cassation juge que ce texte n’est pas applicable : la mise en œuvre de l’article 905 du Code de procédure civile renvoyant aux seules modalités prévues par les articles 760 à 762 du même Code et l’affaire n’ayant pas été instruite, comme le permet l’article R. 661-6, 3°, du Code de commerce dans sa rédaction applicable au litige, dans les conditions prévues par les articles 763 à 787 du même Code sous le contrôle d’un magistrat de la chambre, l’article 782 de ce code n’est pas applicable au litige ;
Ainsi, ce qui ajoute à la complexité des dispositifs, la Cour de cassation crée deux régimes de clôture :

Il résultait pourtant des constatations de la Cour de cassation que le président de la chambre de la Cour d’appel de Toulouse n’avait pas seulement fixé une date d’audience, mais aussi une date de l’ordonnance de clôture, ce qui impliquait l’existence d’une mise en état.

Ainsi, l’intimé a subi la rigueur de l’ordonnance de clôture alors qu’il n’avait manifestement pas été informé expressément de sa date, et ce au motif qu’il a été fait application des articles 960 et suivants, mais il n’a pas bénéficié cependant de la faveur de ces mêmes dispositions qui prévoient expressément une instruction à l’audience devant le président et un renvoi à l’audience de plaidoirie lorsque l’affaire paraît prête à être jugée. Comment pouvait-il être raisonnablement considéré comme étant en état d’être jugée une affaire dans laquelle l’intimé n’avait pas conclu et exposait ne pas avoir été informé que l’affaire devait impérativement être plaidée ?

Il est vrai que le débat devant la Cour de cassation ne semble pas avoir été mené sur le terrain de l’article 760 et que la Cour de cassation n’a pas publié son arrêt. Toutefois cette décision conforte un certain arbitraire permettant au juge du fond de retenir un dossier qui n’a pas subi l’épreuve de la mise en état et qui n’est manifestement pas en état. Quelles qu’aient pu être les maladresses de l’intimé, il n’encourait aucune forclusion et dès lors que le dossier n’était pas en état, il eut été conforme aux principes généraux du code de procédure civile de lui laisser un délai pour conclure.

c) L’intimé avait fait valoir qu’ayant constitué avocat après la date à laquelle il a été fait application des dispositions de l’article 905, il n’avait pas été avisé des dates d’audiences et de clôture.
Personne ne contestait que cette information n’avait pas été donnée expressément à l’avocat de l’intimé.

Pourtant la Cour de cassation écarte ce moyen au motif qu’il résulte du message adressé par l’avocat de l’appelant au greffe de la Cour d’appel le 3 juin 2014, dont l’avocat de la société Technisol a eu copie, et des messages électroniques des 6 et 11 juin 2014 échangés entre le greffe et l’avocat de la société Technisol, que celui-ci était averti de ce que le 23 juin 2014 constituait « la date utile de l’échéance de la procédure », laquelle pouvait être, conformément aux dispositions de l’article 760 du Code de procédure civile, la date de l’ordonnance de clôture et celle de l’audience de plaidoiries, de sorte que l’avocat de la société Technisol était informé de la date du 23 juin 2014, la mention de l’horaire n’ayant qu’une portée indicative, c’est sans méconnaître le principe de la contradiction et les exigences du procès équitable que la cour d’appel a statué comme elle l’a fait.

Très clairement, l’intimé n’était pas directement informé de l’application de l’article 905, mais néanmoins, il aurait pu déduire cette information de différents échanges.
La Cour de cassation valide ainsi l’idée d’une information implicite d’une partie de l’existence d’une décision qui pour avoir la nature d’une mesure d’administration judiciaire n’en impacte pas moins les droits de la défense.

Même si l’arrêt n’est pas publié, il valide l’idée que dès lors qu’il est fait application de l’article 905, c’est aux parties qui constituent avocat après la date à laquelle le président a décidé de faire application de ce texte de faire toute diligence pour s’informer.
Ainsi, le greffe n’a pas à informer l’intimé qu’il a été fait application antérieurement à sa constitution de l’application de l’article 905. L’appelant n’a pas plus l’obligation d’informer l’intimé. Aucune disposition ne met à la charge de l’un ou de l’autre l’obligation d’informer l’intimé
C’est donc à l’intimé de prendre l’initiative de se renseigner sur l’application éventuelle de l’article 905.

Si lorsque l’application de l’article 905 est obligatoire, on pourrait imaginer que l’intimé qui doit savoir que ce texte s’applique, ait l’obligation de prendre l’initiative de s’informer, aucune disposition ne précise cependant cette obligation.
Et la Cour de cassation a constaté que dans l’espèce qui lui était soumise, le président pouvait ou bien faire application de l’article 905 ou bien faire application des articles 763 à 783. L’intimé ne pouvait connaître a priori le choix fait par le président.
Pour écarter l’application de l’article 782, la Cour de cassation constate qu’il a été fait application de l’article 905. C’est donc en exécution d’une décision qui n’a pas été porté à la connaissance de l’une des parties que l’affaire a été fixée. La Cour de cassation constate que cette décision a été prise par ordonnance transmise au conseil de l’appelant.

Une notification expresse de cette décision aurait pu être légitiment demandée.
Cette décision paraît ainsi bafouer les droits de la défense, et si la Cour de cassation ne la donne pas en modèle, elle n’en constitue pas moins un précédent, un exemple qui comme tel peut être suivi et elle ne peut qu’encourager le juge à l’arbitraire et par suite à la dégradation de la qualité de la justice.

En conclusion, l’application de l’article 905 relève de l’arbitraire du juge qui n’a pas même à s’assurer que toutes les parties ont clairement été informées de sa décision. Ce texte peut être appliqué très largement à la demande d’une partie, ou d’office dans toutes les matières. Il est donc recommandé à l’intimé de s’assurer qu’il n’en a pas été fait application.

Aucune forme n’est prévue, et la fixation de l’affaire à une audience peut résulter d’une ordonnance ou d’une simple mention suivant les pratiques propres à chaque cour d’appel. La plus grande prudence s’impose donc. Le juge pouvant déduire de différents indices que les parties ont été informées de l’utilisation e de l’article 905, celles-ci doivent prendre l’initiative de rechercher l’information.

Vincent Mosquet LEXAVOUE NORMANDIE www.lexavoue.com