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L’expropriation du tréfonds pour cause d’utilité publique. Par Christophe Degache.
Parution : vendredi 27 novembre 2015
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Le droit de propriété est un droit constitutionnellement protégé. Cependant, il est possible de porter atteinte à ce droit dans le cadre d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique.

L’article L 321-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dispose :

« Les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice, matériel et certain causé par l’expropriation. »

Le tréfonds est défini par le dictionnaire Larousse comme le sous-sol minéralisé d’un fonds terrien.

L’article 552 du Code civil dispose : « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous. »

Le propriétaire d’un terrain bâti peut donc faire l’objet d’une expropriation portant uniquement sur le sous-sol de l’immeuble bâti, ce à des profondeurs de moins dix mètres ou plus dans le cadre de la réalisation de voies ferrées souterraines.

Le tréfonds peut faire l’objet d’une indemnisation à titre principal, l’expropriation portant sur une portion de sous-sol qu’il y ait dépossession en surface ou accessoire à l’occasion de l’expropriation d’un terrain renfermant un gisement de minéraux, ou des sources ou nappes d’eau souterraines susceptibles d’apporter une plus-value.

Ainsi dans le cadre d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique se pose la question de l’indemnisation de cette surface jusqu’alors inutilisée par l’exproprié. Il appert d’évidence que la fixation du montant de l’indemnité est délicate.

En effet, il n’existe pas de marché privé ou public de tréfonds, il n’y a pas de référence commune et l’administration fiscale n’enregistre aucune vente portant uniquement sur des tréfonds.

Le juge de l’expropriation, qui doit in fine déterminer la valeur de ce tréfonds, peut se trouver quelque peu démuni pour remplir son office.

A ce sujet, il faut signaler une aberration fréquemment rencontrée au niveau des juridictions de fonds tendant à allouer systématiquement une indemnité de remploi à l’exproprié alors qu’il est plus que rare de voir un exproprié racheter du tréfonds.

Cependant la jurisprudence a commencé à compter des années 1990 sous l’impulsion des juridictions de fonds de l’Ile de France à dégager une position dominante quant à la valeur du tréfonds.

Ce mouvement a été consacré par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 22 mars 1995 (N° 94-70040) qui considère que la valeur du tréfonds doit être déterminée par rapport « à la réduction ou à la suppression des possibilités d’utilisation de ce tréfonds. ».

Ainsi la pierre angulaire de la détermination de la valeur est la possibilité d’utilisation du tréfonds. La notion de possibilité doit s’entendre en l’espèce à deux niveaux cumulatifs d’une part technique et d’autre part économique.

Cet arrêt a été rendu à la suite de divers débats portant sur la méthode à utiliser pour déterminer la valeur du tréfonds. Jusque-là, les juges guidés par parties et notamment les sociétés foncières parisiennes es-qualité d’expropriées se basaient en partie sur des modèles théoriques issus de deux rapports d’experts l’un Lassalle établi en 1972, l’autre Guillermain et Demanche rédigé en 1974.

Ces deux rapports voulaient poser des bases générales applicables à tous cas de figure. Contrairement à l’idée actuelle à la mode selon laquelle c’était mieux avant, ces deux rapports sont aujourd’hui obsolètes et ne peuvent sérieusement fonder une décision car ils ignorent la réalité individuelle de chaque d’espèce.

Un auteur Monsieur Henri Heugas-Darraspen (AJDI 10 avril 1996 Hors-série annuel page 15) a écrit avec pertinence :

« Après plus de vingt ans d’une jurisprudence qui avait paru établie, il apparaît que l’estimation de la valeur d’un tréfonds ne peut plus être approchée de façon mécanique par application d’un barème forcément réducteur. »

Il faut nécessairement une appréciation in concreto dans le cadre posé par la Cour de Cassation qui est celui de la possibilité de valorisation économique du tréfonds. On revient ici à l’application stricte de l’article L 321-1 du Code de l’expropriation qui exige un préjudice direct, matériel et certain. Il appartient aux parties de rapporter la preuve de cette possibilité ou de cette impossibilité de valorisation du tréfonds.

En application de l’article 1316 du Code civil, ce sera à l’exproprié de rapporter la preuve que le tréfonds dont il sera privé a une valeur économique. La Cour de cassation dans son arrêt du 22 mars 1995 a sanctionné la Cour d’appel de Paris parce qu’elle n’avait pas répondu avec précision aux arguments chiffrés de l’exproprié qui selon elle n’était pas « de simples allégations ».

L’exproprié devra démontrer qu’il avait déjà envisagé d’utiliser son tréfonds ou qu’il s’apprêtait à le faire en produisant des éléments concrets. Quant à l’expropriant, il devra démontrer à titre d’exemple lorsqu’il sera également l’autorité délivrant les autorisations d’urbanisme qu’il n’a jamais reçu de demande de permis de construire portant sur le tréfonds.

Il semble en tout état de cause qu’à présent la détermination de la valeur d’un tréfonds sera faite au cas par cas, et non plus sur des modèles théoriques dépassés.

Christophe Degache Avocat au Barreau de la Haute-Loire DEA Droit public [->christophe.degache@bbox.fr]