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L’expertise médicale ordonnée par une juridiction civile. Par Meryam Sablon, Docteur en médecine.
Parution : lundi 30 novembre 2015
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Pour résoudre les difficultés techniques, le juge dispose de la faculté d’ordonner une mesure d’instruction et notamment une expertise. C’est la nécessité d’un avis technique qui conditionne la désignation d’un expert et caractérise le recours au technicien.

Le terme technicien vise un ensemble de connaissances scientifiques, hors du domaine juridique et applicables au contentieux. L’expert détient, dans les domaines à haute technicité et particulièrement en matière médicale un pouvoir important.

Il est rare que le juge ne se range pas à l’avis de l’expert médecin. Compte tenu de cette place fondamentale faite à l’expertise médicale lors d’un procès, l’expert, comme le juge, est de plus en plus soumis aux règles du procès équitable.

L’expertise est une mesure d’instruction, c’est-à-dire une décision tendant à établir certains faits nécessaires à la décision juridictionnelle. L’article 143 du Code de procédure civile dispose que «  les faits dont dépend la solution du litige peuvent à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible ».

La décision juridictionnelle d’ordonner une expertise

L’article 263 du Code de procédure civile rappelle que l’expertise « n’a lieu d’être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge ». L’expertise est donc facultative.

Les juges peuvent ordonner une expertise médicale lorsqu’ils sont saisis de toute l’affaire et s’aperçoivent qu’ils ne peuvent pas décider sans cet avis technique.
Dans un souci de célérité, le législateur a prévu qu’un juge qui n’est pas chargé de juger l’affaire peut ordonner une expertise avant d’attendre qu’elle vienne devant le tribunal.
En procédure civile, il peut s’agir du magistrat chargé de la mise en état et du juge des référés statuant in futurum.

Le magistrat chargé de la mise en état n’existe que devant le Tribunal de Grande Instance et la Cour d’appel ; il doit notamment veiller au bon déroulement de la procédure et prendre les mesures préparatoires au jugement, dont une éventuelle expertise.

Le juge des référés peut, en vertu de l’article 145 du Code de procédure civile, et s’il existe à cela des motifs légitimes, ordonner toute mesure d’instruction utile pour conserver ou établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.

Au civil, en première instance, c’est le plus souvent en référé que le juge ordonne une expertise médicale, rendue nécessaire pour déterminer les responsabilités respectives à la suite d’un dommage, ou pour évaluer le préjudice corporel, matériel ou encore moral subi.

L’expert est désigné par la juridiction dont il reçoit sa mission. Le juge est libre de désigner qui il entend, mais, pour faciliter sa tâche, la Cour d’appel doit établir une liste d’experts regroupant les compétences par matière.

L’article 232 du Code de procédure civile dispose : « Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien ».

La loi n° 2004-130 du 11 février 2004 modifiant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques et des experts judiciaires en a repris l’essentiel dans son article 46 : « sous les seules restrictions prévues par la loi ou les règlements, les juges peuvent désigner pour procéder à des constatations, leur fournir une consultation ou réaliser une expertise, une personne figurant sur l’une des listes établies en application de l’article 2. Ils peuvent, le cas échéant, désigner toute autre personne de leur choix ». Cette loi a fait l’objet d’un décret d’application en date du 23 décembre 2004.

L’inscription initiale en qualité d’expert sur la liste dressée par la Cour d’appel est faite à titre probatoire pour une durée de deux ans. À l’issue de cette période probatoire et sur présentation d’une nouvelle candidature, l’expert peut être réinscrit pour une durée de cinq ans. À cette fin, sont évaluées l’expérience de l’intéressé et la connaissance qu’il a acquise des principes directeurs du procès et des règles de procédure applicables aux mesures d’instruction confiées à un technicien. Par la suite, l’expert devra adresser une demande de réinscription tous les cinq ans.

Lors de l’élaboration de cette liste, les magistrats tentent de retenir des candidats cumulant la compétence technique, la disponibilité et l’indépendance.

Les règles de procédure civile applicables aux expertises médicales

La procédure repose avant tout sur le principe du contradictoire. Ce dernier impose que chaque partie fasse connaître à l’autre les éléments dont elle dispose et puisse avoir connaissance de toute information se rapportant à l’affaire.

Il incombe au juge de faire respecter le principe du contradictoire lors des expertises médicales. La Cour européenne des droits de l’homme y voit une obligation dès lors que les questions posées à l’expert « étaient susceptibles d’influencer de manière prépondérante l’appréciation des faits par le juge ». Elle retient que les parties n’auraient pu « faire entendre leur voix de manière effective  » que si elles avaient pu faire valoir leurs observations avant le dépôt du rapport.
La communication des pièces au médecin expert doit être impérativement faite de manière contradictoire.

En cas de difficulté dans la transmission des pièces, plusieurs articles du Code de procédure civile prévoient la possibilité pour le juge d’intervenir à la demande d’une partie.L’ article 11 du Code de procédure civile prévoit que « les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus. Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut à la requête de l’autre partie lui enjoindre de le produire au besoin sous peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner au besoin, sous la même peine, la production de tout document détenu par des tiers, s’il n’existe pas d’empêchement légitime » .L’article 133 du Code de procédure civile dispose que « si la communication des pièces n’est pas faite, il peut être demandé d’enjoindre cette communication ». L’article 134 du Code de procédure civile prévoit que «  le juge fixe, au besoin sous peine d’astreinte, le délai et, s’il y a lieu, les modalités de la communication » .

Le médecin expert doit accomplir sa mission conformément aux prescriptions du code de procédure civile.

« Le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité », prévoit l’article 237 du Code de procédure civile. Il doit donner son avis sur les points pour l’examen desquels il a été commis. Il ne peut répondre à d’autres questions, sauf accord écrit des parties. Il ne doit jamais porter d’appréciations d’ordre juridique (article 238 du Code de procédure civile ). Il peut demander communication de tous documents aux parties et aux tiers, sauf au juge à l’ordonner en cas de difficulté (article 243 du Code de procédure civile).

Il est interdit au technicien de recevoir directement d’une partie, sous quelque forme que ce soit, une rémunération même à titre de remboursement de débours, si ce n’est sur décision du juge (article 248 du Code de procédure civile).

De façon très générale, le juge fixe une mission et impartit un délai. L’expert doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité. Il n’a pas pour rôle de tenter de concilier les parties (article 240 du Code de procédure civile).

L’expert doit respecter la règle principale du procès civil, à savoir le principe du contradictoire. Cela suppose que chacune des parties connaisse sa mission, soit convoquée aux opérations d’expertise, bénéficie d’une possibilité d’expression, puisse assister à l’ensemble des opérations et soit destinataire des conclusions sur lesquelles elle peut donner un avis, voire réclamer des explications. À cet égard, l’article 247 du Code de procédure civile est très clair : « l’avis du technicien dont la divulgation porterait atteinte à l’intimité de la vie privée ou à tout autre intérêt légitime ne peut être utilisé en dehors de l’instance si ce n’est sur autorisation du juge ou avec le consentement de la partie intéressée ». Il est parfois utile de s’assurer que chacune des parties a bien compris cette particularité.

Les parties doivent remettre sans délai à l’expert tous les documents que celui-ci estime nécessaires à l’accomplissement de sa mission (article 275 du Code de procédure civile).

Si l’expert estime sa mission incomplète, il peut en saisir le juge, lequel pourra éventuellement l’élargir après avoir entendu les parties ; les parties peuvent aussi prendre l’initiative de demander une extension de mission, soit dans son objet, soit dans la détermination des personnes appelées à y participer.

Contrairement à ce qui se passe en matière pénale, il peut pendre seul l’initiative de recueillir l’avis d’un autre technicien en dehors de sa spécialité (article 278-1 du Code de procédure civile).

Il a seulement à en informer le juge et non pas à attendre que celui-ci désigne lui-même ce nouvel expert. En revanche, la personne qu’il a choisie intervient sous son contrôle et sa responsabilité

Le dépôt systématique par l’expert d’un pré-rapport favorise à la fois la célérité et la qualité de la justice. En effet, le pré-rapport constitue le point de départ d’une discussion technique qui doit impérativement avoir lieu avant les débats devant le tribunal consécutifs au dépôt du rapport d’expertise.

Il est nécessaire de soumettre à l’expert l’ensemble des éléments du débat technique, plutôt que de ne pas réagir et de poser ensuite le problème à la juridiction qui n’est alors pas armée pour apprécier la pertinence de la critique technique faite à l’expert.

C’est devant l’expert qu’il convient de débattre des questions techniques, avant le dépôt de son rapport définitif. Il est déloyal de renoncer à engager un débat technique devant l’expert pour ensuite, éventuellement muni d’un rapport non contradictoire d’un autre expert, venir débattre, non pas du problème juridique, mais de la question technique, devant un juge, à un moment de la procédure où il se trouve dépourvu du secours de l’expert.

En l’absence de pré-rapport, le débat technique contradictoire ne peut avoir lieu.

Pendant la durée des opérations d’expertise, le juge chargé du contrôle des expertises veille à la bonne exécution de la mission du technicien, en adaptant les délais à l’étendue des investigations nécessaires et, le cas échéant, proroge les délais et fixe la rémunération de l’expert .

Les règles déontologiques applicables à l’expertise médicale judiciaire

L’intégralité du Code de déontologie s’applique au médecin expert. Mais il convient de rappeler que quatre articles spécifiques sont consacrés à la médecine d’expertise :

« Nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d’un même malade. Un médecin ne doit pas accepter une mission d’expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches, d’un de ses amis ou d’un groupement qui fait habituellement appel à ses services. »

« La fonction d’expert recouvre une très grande variété de missions. L’indépendance du médecin expert est fondamentale. Il a l’obligation d’être tout à fait objectif. Pour cela, il doit être libre de tout lien avec la personne examinée et avec les parties en cause. Dans le cadre judiciaire, il est l’auxiliaire de la justice et doit en informer la personne examinée (article 107). Son rôle est de fournir, dans les limites de la mission qui lui est confiée, les éléments médicaux qui éclaireront la décision du juge. »

On en retient la nécessaire indépendance et déjà une règle qui écarte le risque de conflit d’intérêt.

« Lorsqu’il est investi d’une mission, le médecin expert doit se récuser s’il estime que les questions qui lui sont posées sont étrangères à la technique proprement médicale, à ses connaissances, à ses possibilités ou qu’elles l’exposeraient à contrevenir aux dispositions du présent Code. »

« Comme le médecin de contrôle (article 101), le médecin expert est soumis à l’ensemble du Code de déontologie et doit se récuser si sa mission l’expose à contrevenir à certaines de ses dispositions (article 46).

Il doit aussi se récuser si sa qualification et ses connaissances médicolégales (techniques de l’expertise, cadre juridique) ne lui permettent pas de mener à bien la mission qui lui est confiée. »

L’expertise médicale judiciaire et la célérité du procès

Plus que jamais, le juge a besoin de l’avis du technicien expérimenté qu’est le médecin expert judiciaire dans des domaines où la science et la technique médicale atteignent une complexité croissante.
Inévitablement, la désignation d’un médecin expert aussi indispensable qu’elle puisse apparaître a pour conséquence de retarder l’issue du procès. Cette situation ne serait pas gênante si l’expertise se déroulait dans des délais acceptables, puisque le juge pourrait alors rendre une décision en connaissance de cause dans un délai raisonnable.
En matière d’expertise médicale judiciaire, les délais sont, dans la pratique, très longs et ceux qui ont été fixés par le juge sont peu respectés.
En matière de réparation du dommage corporel, des délais de un à deux ans pour obtenir un rapport d’expertise médicale judiciaire sont difficiles à accepter pour des victimes dont l’indemnisation est retardée de plusieurs années.

Docteur Meryam SABLON Docteur en Médecine Diplômée de la réparation juridique du dommage corporel Master II Droit de la santé Médecin conseil SELAS COMPENSEO http://www.compenseo.fr http://www.medecin-dommage-corporel.expert
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