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L’obligation de sécurité de l’employeur assouplie : vers une obligation de moyens renforcée ! Par Virginie Morgand, Juriste.
Parution : mardi 1er décembre 2015
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Par un arrêt de principe en date du 25 novembre 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation vient assouplir l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur, qui n’est plus de résultat mais une obligation de moyens renforcée (cass. soc. 25 novembre 2015, « Air France », n°14-24444).

Dès lors, après avoir abordé l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur, et notamment de résultat (I), il conviendra de s’intéresser à cet arrêt du 25 novembre 2015, qui est un infléchissement de la jurisprudence (II).

I/ L’obligation de sécurité incombant à l’employeur

Les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail précisent les obligations légales de l’employeur en matière de prévention :

Article L. 4121-1 : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »

Article L. 4121-2 : « L’employeur met en œuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu’il est défini à l’article L. 1152-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »

Ainsi, l’employeur, en tant que chef d’entreprise, est soumis à une obligation générale de sécurité vis-à-vis de ses salariés. Il s’agit d’une obligation de prévention, limitant son pouvoir de direction, dont l’objectif est de préserver la santé et la sécurité de ses salariés.

Une telle obligation de sécurité de l’employeur résulte du fait que la santé des salariés est un droit fondamental prévu par différents textes internationaux :

Cette obligation est également prévue, en droit interne, dans le bloc de constitutionnalité, par le Préambule de la constitution de 1946 de valeur constitutionnelle : « Tout travailleur participe par l’intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail ».

Dès lors, la jurisprudence retient une obligation de sécurité de l’employeur, notamment par les arrêts de 2002, relatifs à la faute inexcusable de l’employeur dans le cadre de l’amiante, où elle considère qu’« en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise. Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver » (Cass. soc., 28 février 2002, n°00-11793).

Il incombe alors à l’employeur par les articles L. 4121-1 et 4121-2 du Code du travail d’établir un document unique de prévention des risques professionnels prévus par l’article R. 4121-1 du Code du travail.

Cette obligation de sécurité imposée à l’employeur est considérée, jusqu’à l’arrêt Air France du 25 novembre 2015, comme une obligation de résultat, qui est beaucoup plus contraignante que l’obligation de moyens renforcée utilisée dans le cadre du droit de la sécurité sociale pour s’assurer que l’employeur n’a pas commis une faute inexcusable.

Que faut-il entendre par obligation de résultat ?

Dès lors que le résultat se produisait, l’employeur était automatiquement condamné pour manquement à son obligation de sécurité de résultat et il ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité en démontrant ses diligences.

Une telle obligation de résultat limite le pouvoir de direction de l’employeur sous deux aspects :

L’employeur ne peut prendre, dans l’exercice de son pouvoir de direction, des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité de ses salariés (Cass. soc., 5 mars 2008, « SNECMA », n°06-45888). Il en résulte que l’obligation de sécurité de résultat limite le pouvoir de direction de l’employeur dans une logique de prévention.

L’employeur doit prendre en compte, dans le cadre de la mise en place d’une évaluation des salariés, les risques physiques, mais également les risques psycho-sociaux.

Cass. soc. 28 novembre 2007, « MORNAY » (n°06-21964), qui impose la consultation du CHSCT est imposée pour la mise en place de l’évaluation des salariés.

Cass. soc. 8 novembre 2012, « SEDIH & SOGEC EUROPE » (n°11-23855), où le management par le stress et par objectifs destiné à obtenir une réduction des coûts doit être écarté et la responsabilité directe des employeurs est retenue à la suite d’un infarctus dont a été victime un de leur cadre dirigeant.

Cass. soc. 14 novembre 2013, « SNECMA » (n°12-15206), qui tempère la décision précédente. La Cour de cassation rappelle que le risque grave qui permet de déclencher une expertise doit être un risque identifié et actuel. Or, en l’espèce, tel n’est pas le cas. Les CHSCT ont fait état « d’un risque général de stress lié aux diverses réorganisations mises en œuvre dans l’entreprise, mais ne justifiaient pas d’éléments objectifs susceptibles de caractériser un risque avéré ».

Il en résulte qu’en tant que chef d’entreprise, l’employeur est tenu d’assurer l’effectivité du droit à la sécurité et à la santé au travail, qui n’est pas atteinte quand il ne prend pas les dispositions adéquates pour l’assurer et engage alors sa responsabilité civile, et, le cas échéant, sa responsabilité pénale.

Cependant, l’arrêt du 25 novembre 2015 vient marquer un infléchissement de la jurisprudence sur l’obligation de sécurité, qui n’est plus de résultat, mais une obligation de moyens renforcée.

II/ L’infléchissement jurisprudentiel : une obligation de moyens renforcée

Par son arrêt rendu le 25 novembre 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation a retenu l’attendu de principe suivant :

« Mais attendu que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail. »

En l’espèce, un salarié a été engagé par la société Air Inter en qualité de personnel navigant stagiaire, puis son contrat de travail a été repris par la société Air France, qui l’a promu en 2000 au poste de chef de cabine première classe sur les vols long-courriers. Il se trouvait en transit à New York le 11 septembre 2001, où de sa chambre d’hôtel il a vu les tours s’effondrer.
Cinq ans plus tard, le 24 avril 2006, alors qu’il partait rejoindre son bord pour un vol, il a été pris d’une crise de panique qui a donné lieu à un arrêt de travail.
Il a saisi le 19 décembre 2008 la juridiction prud’homale aux fins de condamnation de son employeur à lui payer des dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité après les attentats du 11 septembre 2001. Il été licencié le 15 septembre 2011 « pour ne pas s’être présenté à une visite médicale prévue pour qu’il soit statué sur son aptitude à exercer un poste au sol ».

Dès lors, le salarié reproche à son employeur de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité et protéger sa santé physique et mentale.

La Cour de cassation estime que la cour d’appel de Paris a légalement justifiée sa décision en retenant l’absence de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat :

« Et attendu qu’appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et procédant aux recherches qui lui étaient demandées, la cour d’appel a constaté, d’une part que l’employeur, ayant pris en compte les événements violents auxquels le salarié avait été exposé, avait, au retour de New-York le 11 septembre 2001, fait accueillir celui-ci, comme tout l’équipage, par l’ensemble du personnel médical mobilisé pour assurer une présence jour et nuit et orienter éventuellement les intéressés vers des consultations psychiatriques, d’autre part que le salarié, déclaré apte lors de quatre visites médicales intervenues entre le 27 juin 2002 et le 18 novembre 2005, avait exercé sans difficulté ses fonctions jusqu’au mois d’avril 2006 ; qu’ayant relevé que les éléments médicaux produits, datés de 2008, étaient dépourvus de lien avec ces événements dont il avait été témoin, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, propres et adoptés, dont elle a pu déduire l’absence de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat, légalement justifié sa décision »

La Cour de cassation approuve le raisonnement de la cour d’appel de Paris, qui, en appréciant les éléments de faits et de preuve qui lui étaient soumis, a fait ressortir que l’entreprise avait décliné les bonnes mesures dans le respect des principes généraux de prévention des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail.

Cette logique est celle de l’arrêt Fnac (Cass. soc., 5 mars 2015, n° 13-26321), ou encore de l’arrêt Areva (Cass. soc., 22 oct. 2015, n° 14-20173), mais par cet arrêt, la Cour de cassation est allée plus loin par l’existence d’une obligation de moyens renforcée et non plus de résultat.

En effet, par cet arrêt Air France, la Cour de cassation soumet l’employeur, non plus à une obligation de sécurité de résultat, mais à une obligation de moyens renforcée. Cela signifie que l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité en justifiant qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité de ses salariés.

Une telle solution est favorable pour les employeurs puisqu’ils pourront se défendre. Mais, dans cette décision il n’apparaît pas une situation de harcèlement moral. Dès lors, quelle serait l’impact de cette décision dans une hypothèse de harcèlement moral ?
Par exemple, si l’employeur diligente une enquête interne et prend des mesures à l’égard du harceleur, sera-t-il déclaré responsable ? Récemment, par arrêt du 11 mars 2015, l’employeur a été déclaré responsable : « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures pour faire cesser ces agissements » (Cass. soc., 11 mars 2015, n°13-18603).
En effet, s’il a pris des mesures à l’égard du harceleur, il a échoué préventivement, ce qui pourrait engager sa responsabilité.

En tout état de cause, la jurisprudence Air France devrait freiner l’invocation systématique du manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité.

Il faudra attendre la jurisprudence postérieure afin de voir comment cette évolution sera déclinée par les juridictions…

Sources :

Cass. soc. 25 novembre 2015, « Air France », n°14-24444 (P+B+R+I)

Semaine Sociale Lamy, 30 novembre 2015, n°1700

Virginie MORGAND, Juriste Droit Social
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