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CHSCT et frais d’expertise à la charge de l’employeur, décision du CC n°2015-500 QPC du 27 novembre 2015. Par Stéphane Vacca, Avocat.
Parution : jeudi 3 décembre 2015
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Est « inconstitutionnelle » l’obligation imposée à l’employeur de payer les frais d’honoraires de l’expert, alors que la délibération du CHSCT a été annulée par le juge.

En raison de l’absence de budget propre du CHSCT, l’employeur supporte le coût de l’expertise décidée par le CHSCT dans les cas prévus par la loi (art. L.4614-13 du Code du travail).

Il peut contester le coût de cette expertise en saisissant le président du TGI (Cass. soc. 17/12/2013 n°12-14484).

Mais l’employeur est-il tenu au paiement des frais d’expertise, alors que la décision de recours à l’expertise est annulée ultérieurement par décision de justice ?

Dans une affaire du 15 mai 2013 (Cass. soc. n°11-24218), la Cour de cassation avait jugé que les frais de l’expertise du CHSCT annulée, devaient tout de même rester à la charge de l’employeur.
Car selon la Cour de cassation, même si l’expert a réalisé sa mission en dépit de l’absence d’exécution provisoire d’une ordonnance et de l’effet suspensif d’un appel interjeté par l’employeur contre la décision du CHSCT, l’expert, tenu de respecter un délai de 45 jours courant de sa désignation pour exécuter la mesure d’expertise, ne manque pas à ses obligations en accomplissant sa mission avant que la Cour d’appel ne se soit prononcée sur le recours formé contre la décision rejetant la demande d’annulation du recours à un expert.
La Cour de cassation faisait aussi remarquer que l’expert ne disposait d’aucune possibilité effective de recouvrement de ses honoraires contre le comité qu’il avait désigné, faute de budget au CHSCT pouvant permettre cette prise en charge.
Ainsi, alors que le paiement des frais d’expertise devient sans cause (la décision de recours à l’expertise ayant été annulée), l’employeur se retrouvait néanmoins condamné à payer les frais de l’expertise engagée.

Face à cette position de la Cour de cassation, des positions dissidentes se faisaient entendre.
Ainsi, la Cour d’appel de Bourges (CA Bourges 23/01/14 n°13/01009) jugeait que l’employeur n’avait pas à prendre en charge les frais d’une expertise réalisée malgré une contestation judiciaire, et finalement annulée.
De même, le TGI de Nanterre décidait que l’expert du CHSCT s’exposait à un remboursement de ses honoraires en cas d’annulation de la délibération du comité (TGI Nanterre – ord. référé 19/06/14 n°14/01078).

Finalement, cette question de droit a été posée au Conseil constitutionnel.

Saisi le 16 septembre 2015 par la Cour de cassation (chambre sociale) d’une question prioritaire de constitutionnalité posée pour une société, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L.4614-13 du Code du travail, le Conseil constitutionnel a décidé, le 27 novembre 2015, que le premier alinéa et la première phrase du deuxième alinéa de l’article L.4614-13 du Code du travail étaient contraires à la constitution.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel fait remarquer que l’expert peut accomplir sa mission dès que le CHSCT fait appel à lui, malgré un recours formé par l’employeur dans les plus brefs délais contre la décision du comité, que néanmoins, s’il résulte des articles R. 4614-19 et R. 4614-20 du Code du travail que le président du TGI statue en urgence, en la forme des référés, sur le recours formé par l’employeur, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition n’imposent au juge judiciaire saisi d’un recours de l’employeur de statuer dans un délai déterminé.
Or, l’employeur est tenu de payer les honoraires correspondant aux diligences accomplies par l’expert alors même qu’il a obtenu l’annulation de la décision du CHSCT.

Ainsi, la combinaison de l’absence d’effet suspensif du recours de l’employeur et de l’absence de délai d’examen de ce recours conduit, dans ces conditions, à ce que l’employeur soit privé de toute protection de son droit de propriété en dépit de l’exercice d’une voie de recours.
Pour le Conseil constitutionnel, la procédure applicable méconnaît donc les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et prive de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de propriété : le premier alinéa et la première phrase du deuxième alinéa de l’article L.4614-13 du code du travail sont déclarés contraires à la Constitution.

Cependant, le Conseil constitutionnel, considérant que l’abrogation immédiate du premier alinéa et de la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 4614-13 du code du travail aurait pour effet de faire disparaître toute voie de droit permettant de contester une décision de recourir à un expert ainsi que toute règle relative à la prise en charge des frais d’expertise, a décidé qu’il y avait lieu de reporter au 1er janvier 2017 la date de cette abrogation, afin de permettre au législateur de remédier à l’inconstitutionnalité constatée.

Stéphane VACCA - avocat conseil en droit du travail www.vacca-avocat.fr www.vacca-avocat-blog.com