Village de la Justice www.village-justice.com

Bien gérer sa garde à vue. Par Jérôme Goudard, Avocat.
Parution : samedi 5 décembre 2015
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Bien-gerer-garde-vue,20984.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

En France, environ 2.200 personnes sont placées en garde à vue chaque jour, soit environ 800.000 par an. Quelles sont donc les modalités concrètes de son déroulement, les écueils à éviter et les actions à envisager – afin que cette mesure puisse être vécue la moins péniblement possible et influencer ainsi efficacement la défense de la personne soupçonnée ?

La garde à vue fait partie de notre quotidien

Fréquemment relayée par les médias dans de multiples affaires, mise en scène au cinéma, la garde à vue n’en demeure pas moins une procédure méconnue pour la majorité d’entre nous, souvent considérée à tort comme symbole de culpabilité d’une personne.

Bien que les dispositions du Code de procédure pénale stipulent les conditions de sa mise en œuvre, il existe peu d’indications pratiques quant à la compréhension et à la maîtrise du déroulé de cette mesure en faveur du mis en cause.

Parce qu’au delà d’une mesure privative de liberté, la garde à vue est avant tout une épreuve – un mélange de marathon et jeu d’échec face auquel le mis en cause doit être mis en condition, dans l’idéal préparé.

L’article 63 du Code de Procédure Pénale consacre la garde à vue comme mesure permettant de restreindre la liberté d’aller et venir d’une personne pour les besoins d’une enquête ou d’une instruction, au sein des locaux des services de police judiciaire.

La raison à cela est qu’il existe contre cette personne une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction punie par une peine de prison.

La garde à vue : Une épreuve

La garde à vue est une épreuve.

Elle est une épreuve parce qu’elle limite la liberté d’aller et venir d’une personne.

Elle est une épreuve parce que la personne sera enfermée dans une cellule sans le moindre confort : inconfort matériel, odeurs désagréables, températures variables, nuisances sonores, manque de sommeil...

Elle est une épreuve car, durant tout ce temps, les autorités de police judiciaire vont mettre à mal, pour les besoins de l’enquête ou de l’instruction, la dignité du mis en cause, notamment en le menottant, en pratiquant des fouilles, en perquisitionnant son domicile, en interrogeant son entourage...

Une épreuve enfin car, à l’heure actuelle, l’avocat du gardé à vue n’a pas encore le droit d’accéder à l’intégralité du dossier qui met en cause son client. Cela a logiquement pour conséquence une « navigation à vue » car l’ensemble des éléments en possession des enquêteurs n’est pas connu du mis en cause et de son conseil.

Face à cet état de fait et de droit, l’adaptation est de mise. Une garde à vue se gère, parfois même se prépare.

La garde à vue : S’y préparer.

Dans certaines hypothèses, il est possible de prévoir et d’anticiper un éventuel placement en garde à vue. Lorsque, par exemple, une personne reçoit préalablement à son domicile une convocation à la police ou à la gendarmerie.

Dans ce cas, sans rentrer dans une paranoïa stérile, il est utile de prévoir certaines dispositions afin que le mis en cause ne se détourne pas de son but premier, à savoir se défendre efficacement :
- préparer sa famille à une telle éventualité ;
- s’imposer une stricte hygiène de vie (sommeil, alimentation saine, vitamines) ;
- dans l’hypothèse de cette mesure, si possible, prévoir des vêtements confortables et chauds ;
- éviter tout vêtement susceptible d’être considéré par les officiers de police judiciaire comme dangereux pour soi ou pour les autres, ces derniers étant interdits (ex : lacets, ceintures, cordelettes de sweat-shirt ou de manteau).
- favoriser, tant que faire ce peu, un état mental prémunissant contre le stress et la dépression (ex : méditation de pleine conscience ou autres techniques de sophrologie ou de relaxation).

Comme il a été évoqué plus haut, la garde à vue, en tant que mesure privative de liberté, est compensée par un certain nombre de droits. Ces droits quels sont-ils ? Et surtout, comment les utiliser concrètement et utilement durant la mesure ?

La garde à vue : Des Droits.

Lorsque le mis en cause est informé de son placement en garde à vue, il doit impérativement, sous peine de nullité de la mesure, être informé des droits qui lui sont accordés par la loi, à savoir :
- être informé de son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure et de la ou des prolongations dont celle-ci peut faire l’objet ;
- être informé de l’infraction qu’on est soupçonné d’avoir commise ainsi que sa date présumée ;
- le droit d’être examiné par un médecin ;
- le droit à faire prévenir un proche et son employeur ;
- du droit d’être assisté par un avocat dès le début de la procédure (ce dernier peut s’entretenir avec son client pendant 30 minutes, consulter les procès verbaux d’auditions et assister à tous les interrogatoires) ;
- le droit, lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.

Le non respect de ses droits est susceptible de rendre nulle la procédure.

La garde à vue : Apprendre à gérer et maîtriser le temps.

Tout gardé à vue peut témoigner que le temps, au cours de cette pénible mesure, n’en finit pas...
Paradoxalement, le temps est aussi un allié pour le mis en cause, dans la mesure où il permet de réfléchir et d’envisager une tactique, voir une stratégie défensive.

La maîtrise du temps de la procédure se retrouve notamment dans un des droits accordés au gardé à vue, celui d’être examiné par un médecin.

Il s’agit généralement de conduire le gardé à vue aux unités médico-judiciaires (UMJ) afin de faire constater que son état de santé est compatible avec une telle mesure privative de liberté.

Bien que ne débouchant que très exceptionnellement vers une incompatibilité, cet examen médical a un double mérite :
- permettre au gardé à vue de s’extraire de sa cellule quelques heures afin d’être présenté au corps médical, lui offrir en quelque sorte une « fenêtre sur l’extérieur » et ainsi adoucir la pénibilité de la mesure ;
- prendre le temps nécessaire afin de bien réfléchir et d’analyser le contexte de la situation, et ne pas se précipiter vers des auditions ou des déclarations.

Si la mesure de garde à vue devait être prolongée, il est conseillé de solliciter de nouveau à être examiné par un médecin.

Préserver son énergie

Préserver ses forces se retrouve naturellement dans le fait de s’alimenter correctement.

Inutile de préciser qu’en garde à vue, la nourriture proposée ne relève pas des mets savoureux des tables étoilés. Qu’importe. Il faut s’alimenter effectivement, ne pas sauter les heures de repas, demander à boire et à se soulager régulièrement.

Dans le cas où ces demandes seraient refusées ou reportées pour un temps anormalement long,

en informer immédiatement son avocat qui en fera mention dans ses observations.

La garde à vue : Un avocat...

Un des droits accordés au gardé à vue est celui d’être assisté par un avocat dès le début de la procédure.

L’avocat pourra être directement choisi par le mis en cause qui indiquera aux officiers de police judiciaire son identité afin que ce dernier soit prévenu par la permanence du barreau.

Dans l’hypothèse où il serait injoignable ou si le gardé à vue n’en connaitrait pas, il pourra lui en être commis un d’office.

Le mis en cause aura enfin la possibilité et le choix de se défendre seul sans solliciter son assistance.

L’entretien avec son avocat :

Le Code de procédure pénale stipule que le mis en cause peut communiquer avec son avocat pendant une durée ne pouvant excéder 30 minutes. Lorsque la garde à vue fait l’objet d’une prolongation, le gardé à vue peut, à sa demande, s’entretenir à nouveau avec son avocat dès le début de la prolongation.

Le mis en cause peut également demander à ce que son avocat assiste à ses auditions et confrontations.

La présence de l’avocat, dès le début de la mesure, apparait nécessaire, pour plusieurs raisons :
- Tout d’abord parce qu’il va être le premier véritable contact « du monde extérieur ».
Il faut bien rappeler le contexte. Lors de sa fouille, le suspect s’est vu confisquer la quasi-totalité de ses biens, il est donc dans l’incapacité de se situer dans le temps.
Le rôle de l’avocat est donc de l’informer précisément de la date et de l’heure « Cher Monsieur, nous sommes le 15 avril 2014, il est 00h43 – vous vous trouvez dans les locaux de police judiciaire depuis maintenant plus de 2 heures. Vous avez été placé en garde à vue le 14 avril 2014 à 22h43. Cela signifie que cette procédure arrivera à son terme le 15 avril 22h43. En fonction des nécessités de l’enquête, cette mesure pourra être prolongée (plusieurs fois) de 24 heures supplémentaires. Voici le ou les faits que l’on vous reproche. »
- L’avocat pourra contrôler que la garde à vue de son client se déroule correctement, et faire d’éventuels commentaires sur ses conditions ;
- En fonction des éléments qui lui seront communiqués, l’avocat établira si les faits peuvent réellement entrainer une qualification pénale ;

L’avocat n’a pas accès à l’intégralité de la procédure. Concrètement, cela signifie qu’il connaît les raisons pour lesquelles son client est mis en cause – en revanche, il ne connaît pas le déroulé des faits et les circonstances précises qui l’ont conduit à être interpellé. Le dossier devra donc être reconstitué avec le client.

Dans ce contexte, l’avocat devra obtenir un maximum d’informations :
- Les circonstances précises de la mise en cause de son client ;
- son mode de vie : emploi, lieu d’habitation, relations, a t’il des ennemis ?…
- en fonction des informations et des procès-verbaux qui lui seront communiquées, l’avocat sera en mesure de vérifier et contrôler l’existence d’éventuelles nullités de procédures ;
- en fonction du type d’infraction poursuivie, l’avocat devra informer très précisément le gardé à vue de l’opportunité des actes qui pourront être accomplis par les officiers de police judiciaire : transports sur les lieux, perquisitions, auditions de tiers, mises en présence…
- l’avocat devra apprécier et jauger la personnalité du gardé à vue. A t’il un mental « d’acier » ? Est-il un émotionnel, anxieux, craintif ? Ou au contraire apparaît-il comme un potentiel irresponsable pénal ? En fonction de cette appréciation, l’avocat pourra décider de l’associer plus ou moins activement à la procédure.

En fonction des éléments et informations collectées, l’avocat tentera d’élaborer une ou plusieurs tactiques, voir une stratégie de défense. Il pourra par ailleurs envisager avec son client l’hypothèse de ne pas répondre aux questions.

L’audition face aux enquêteurs

L’importance capitale du procès-verbal.

Le procès-verbal-verbal d’audition, communément appelé PV d’audition, est le rapport qui sera rédigé par les officiers de police judiciaire suite aux auditions du gardé à vue. Ils seront ensuite intégrés à son dossier pénal.

Chaque acte de police judiciaire doit être écrit. Et l’audition du mis en cause en fait partie.

L’enquête ou l’instruction s’apparente ainsi à l’écriture d’un livre, généralement établi par ordre chronologique (de la saisine des OPJ jusqu’au déferrement du mis en cause).

Dans le cadre d’une procédure pénale, le procès-verbal d’audition a une importance capitale.

Schématiquement, il représente, en un, le passeport, le curriculum vitae et la lettre de motivation du suspect. Car tout ce qui sera dressé sur le PV permettra aux magistrats de se faire une idée du dossier, de la personnalité du mis en cause et de son éventuelle responsabilité.

C’est la raison pour laquelle il est impératif que le PV d’audition reflète le plus fidèlement possible l’exact teneur des entretiens et la personnalité du mis en cause.

Chaque phrase, chaque réponse compte. Il est donc nécessaire d’éviter toute réponse susceptible de créer une confusion, une mauvaise interprétation, ou susceptible d’handicaper toute stratégie de défense future.

À l’issue de l’audition, une relecture de l’ensemble du procès-verbal doit être opérée avec soin et minutie. Si le mis en cause considère que ces propos ont été mal retranscrits, il doit en informer les enquêteurs afin que soient opérées les modifications subséquentes.

Dans l’hypothèse où l’audition relèverait une certaine tension avec les enquêteurs, il est nécessaire de la retranscrire au procès-verbal.

Le droit au silence.

Concrètement, il s’agit ici du droit de ne pas s’auto-incriminer. Cela signifie que ce n’est pas au mis en cause de rapporter la preuve de sa culpabilité ou de son innocence, mais bien aux OPJ de mener l’enquête.

En règle général, le contexte est le suivant. Durant l’audition de garde à vue, ce sont les enquêteurs qui posent les questions et « mènent le bal ».
Recourir au silence doit donc avoir « stratégiquement » pour but d’inverser les rôles, savoir plus précisément de quoi est constitué le dossier, à charge comme à décharge… Ainsi, le gardé à vue, lorsqu’il n’est pas en mesure de savoir où souhaitent l’emmener les enquêteurs, peut déclarer : « Je refuse de répondre à votre question ».

En aucune manière le droit de recourir au silence ne doit être interprété comme un aveu de culpabilité.

Dans l’hypothèse où les enquêteurs reviendraient plusieurs fois sur la même question à laquelle le gardé à vue leur aurait opposé son droit au silence, l’avocat sera en mesure de le mentionner au procès-verbal au motif que le droit de son client à ne pas s’auto-incriminer n’est pas respecté.

Le recours au silence doit être envisagé dans des circonstances bien précises, comme par exemple dans le cadre d’arrestations groupées, d’affaires concernant d’autres personnes susceptibles de contredire les déclaration du suspect, ou dans le cadre de la poursuite d’infractions complexes ou les enjeux et les risques pour le gardé à vue sont importants.

Ce droit peut également avoir pour but de contrôler sa parole en ne répondant qu’aux questions permettant de faire avancer sa thèse.

Compte-tenu que le mis en cause ne dispose pas (encore) du droit d’accéder à l’intégralité de la procédure le concernant, le droit au silence s’avère bien entendu nécessaire pour mieux comprendre et être informé par les officiers de police judiciaire des éléments à charge et éventuellement à décharge du dossier.

L’objectif n’est autre que de constituer son dossier au moyen de l’interrogatoire, en s’en servant non pas comme un handicap mais bel et bien comme une arme.

Au fur et à mesure des auditions et du déroulé de la garde à vue, le suspect et son avocat seront en mesure de reconstituer le puzzle de la procédure.

Jérôme Goudard Avocat à la Cour www.avocatgoudard.com
Comentaires: