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Le « droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès, à la demande du patient » : que dit l’article 3 de la proposition de loi de MM. Claeys et Leonetti ? Par Estelle Minatchy, Juriste.
Parution : jeudi 31 décembre 2015
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Le débat sur la fin de vie est d’une grande actualité. Régulièrement, des affaires judiciaires sont largement médiatisées contribuant moins à faire avancer un débat de société qu’à polluer le discours juridique sur cette thématique.

L’euthanasie désigne le fait pour un tiers de mettre fin à la vie d’une personne à sa demande. Le terme même d’euthanasie n’est pas défini dans le droit positif français.

La problématique de la fin de vie est récurrente dans nos sociétés contemporaines car les performances de la médecine permettent un allongement de la durée de vie et, parfois, un maintien en vie des patients au-delà de toute raison. La médecine a créé un paradoxe qu’il appartient au droit de résoudre : comment déterminer à partir de quel moment la médecine devient acharnement et non-respect de la dignité des patients ? L’arsenal juridique en matière d’aide à la fin de vie est beaucoup plus conséquent qu’il n’y paraît et le droit français prend en compte cette problématique en modifiant sa législation à intervalles réguliers.

La dernière réforme législative en la matière date d’octobre 2015 avec la réforme de la loi Léonetti et notamment de son article 3 qui prévoit de créer un nouvel article L. 1110-5-2 au sein du Code de la santé publique.
En interdisant l’euthanasie active, mais en légiférant dans le sens d’une euthanasie passive plus poussée, le droit français se positionne dans une hypocrisie juridique ne permettant pas de trancher réellement les questions en suspend relatives à la fin de vie et place les personnels médicaux dans des situations parfois délicates.

Afin de faire le point sur cette question, il n’est pas vain de s’interroger sur le degré de permission légale en matière d’euthanasie à partir de ce nouvel article.

1. Une position législative ambigüe : une prohibition de principe

Dans l’affirmation des principes, le droit français est clair : la mort ne peut pas être provoquée délibérément. Cependant, le droit est contextualisé et un cadre législatif précis mais répondant pourtant à de nombreux cas de figure permet une fin de vie digne.

La primauté classique de l’intangibilité de la vie d’autrui battue en brèche

Plusieurs textes en droit positif énoncent clairement le principe de l’interdiction de l’euthanasie. Ainsi le Code de déontologie médicale dispose que « (le médecin) n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort » [1] . Le Code civil énonce lui en son article 16 que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». L’article 16-4 rappelant en outre que « nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine ».
Mais le paradoxe de nos sociétés modernes est que l’idée de mort est une idée taboue. La dignité du mourant et la conscience de la mort est présente en filigrane dans le débat juridique et sociétal sur la fin de vie. L’interdiction de principe ne suffit à poser un régime juridique adapté. Ainsi plusieurs lois ont été adoptées sur cette thématique.

La première grande loi date du 9 juin 1999 [2] et est relative aux soins palliatifs ouverts à tous. C’est une première brèche dans le principe intangible du droit à la vie. La loi de 2002 [3] va encore plus loin autorisant le patient à refuser un traitement même si cela met sa vie en danger. Le médecin doit respecter ce refus. L’innovation juridique est sans précédent. L’achèvement de ce parcours légal se trouve dans la loi Léonetti de 2005 dont une nouvelle version est actuellement en lecture.

La proposition contenue dans l’article 3 de la proposition de loi actuellement en discussion devant les Chambres législatives n’est donc pas une innovation dans notre droit. Depuis une quinzaine d’années, par touches successives, le droit restreint le périmètre du principe d’intangibilité du droit à la vie. Mais ce principe reste vivace dans les mentalités et dans les pratiques médicales. La culture d’une fin de vie provoquée explique le hiatus et l’incompréhension entre le droit positif sur la question et les pratiques que l’on observe. Mais si peu à peu le droit restreint la portée du droit à la vie, toutes ces évolutions législatives sont très encadrées afin d’éviter d’éventuels abus.

L’article 3 modifié en deuxième lecture par l’Assemblée Nationale le 6 octobre 2015 ne prévoit que deux cas de figures possibles : « 1° Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire au traitement ; 2° Lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme ». Théoriquement, hormis ces deux hypothèses, le principe du droit à la vie prévaut et toute action contraire tomberait probablement sous le coup d’une qualification pénale que ce soit l’empoisonnement, comme dans l’affaire Vincent Humbert, ou plus rarement l’homicide volontaire. Les faits euthanasiques sont qualifiables pénalement, revêtant le plus souvent un élément matériel et un élément moral. L’intention compassionnelle n’efface pas l’intention délictueuse qui prévaut à toute compassion. La compassion n’a pas d’incidence sur la qualification pénale.

Si tout au long de la loi sur la fin de vie le législateur montre son attachement au droit à la dignité de la personne en fin de vie, la technique de la sédation profonde peut interpeler. En effet, est-ce respecter la dignité du patient que de le plonger dans un état de veille profond ayant pour conséquence l’arrêt progressif et non douloureux des traitements ? C’est ici un des nombreux paradoxes de cette technique : ne pas s’acharner déraisonnablement et en même temps ne pas franchir le pas de l’euthanasie active ou directe.

La loi Leonetti est là pour poser une limite aux progrès de la science et de la médecine, capables de maintenir en vie une personne qui, manifestement, ne pourra jamais recouvrer l’ensemble de ses moyens physiques et mentaux. L’altération définitive de ces fonctions pouvant résulter, sans distinction de la loi, de maladies ou d’événements soudains tel un accident.

Une permission légale précise mais étendue

Afin de sauvegarder le principe d’une interdiction, le droit propose un raisonnement subtil fondé sur une « désincrimination » plutôt qu’une dépénalisation. Ce raisonnement laisse une liberté dans les faits qui s’inscrivent dans le cadre de la permission légale.
La permission légale est cause d’irresponsabilité pénale en matière d’euthanasie. L’article 122-4 du Code pénal énonce que « n’est pas responsable pénalement la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ». Ce texte est une première permission d’actes positifs ayant pour effets d’accélérer le processus de fin de vie. Ce choix délibéré du législateur date de 2005. La nouvelle version de la loi Léonetti reprend ce principe en affinant les hypothèses dans lesquelles la loi déresponsabilise les auteurs d’actes positifs en faveur d’une fin de vie provoquée et non subie.

Le nouvel article 1110-5-2 du Code de la santé publique modifié en deuxième lecture à l’Assemblée nationale décrit précisément les méthodes à employer pour tomber dans le champ d’application de la permission légale en matière d’euthanasie : « une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie ». Cette notion de sédation s’applique dans des cas précis mais cependant, ne doit-on pas craindre une généralisation des cas qui nécessitent l’administration de la sédation profonde ? Ne doit-on pas craindre des débordements ? La proposition de loi détermine les cas dans lesquels la sédation profonde doit être administrée, mais dans les faits, l’émotion, la pression mise sur les médecins, peuvent considérablement modifier leur comportement.

Le droit, et cette idée est renforcée par la réforme envisagée, tout en restant fidèle à l’esprit du primat de la vie d’autrui permet plus qu’il n’interdit d’envisager une fin de vie maîtrisée par le patient et son entourage médical et familial quand le patient n’est plus en état d’exprimer son avis.

Le médecin transcrit cette permission légale en un refus d’acharnement thérapeutique ou d’obstination déraisonnable affirmant que « tout homme, toute femme, a le droit de mourir en paix » rappelant tout de même qu’en aucun cas, « le médecin n’a le droit de donner délibérément la mort » [4].

Rappelons à cet égard que si la Cour européenne des droits de l’homme refusait de déduire de l’article 2 de la Convention qui érige le droit à la vie comme un droit fondamental, un droit de mourir en matière de suicide assisté [5], elle n’est pas du même avis en ce qui concerne l’arrêt des traitements [6], et va ainsi dans le sens de la prohibition d’une obstination déraisonnable.

2. Médecins et patients, des acteurs sur une brèche juridique

Si le droit met en exergue les cas de figure où une aide à la fin de vie est possible, le contexte d’action est déterminant en cas de mise en jeu des responsabilités des praticiens dans les cas où leurs actions les entraîneraient au-delà de la permission légale. Le patient et son entourage sont aussi au centre d’un jeu de responsabilités.

Le dilemme médical et juridique des médecins

Dans la mesure où le médecin n’a pas le droit de donner la mort par principe, toute décision médicale allant en ce sens, même de façon implicite, doit respecter la procédure de l’article 3 de façon très précise. La collégialité est fondamentale dans ces cas complexes et se situant aux limites de la loi. Ainsi, depuis la loi du 22 avril 2005, quand le patient ne peut pas exprimer sa volonté, le médecin doit agir dans la collégialité de ses pairs afin de garantir une décision réfléchie, et c’est à lui de se prononcer en dernier ressort. Cependant, afin que la responsabilité soit partagée au regard de la charge émotionnelle de la décision, la collégialité est un garant d’une décision opportune. La collégialité va briser la solitude décisionnelle du médecin dans l’hypothèse complexe de l’arrêt des soins pour un patient incapable d’exprimer sa volonté.

Le médecin est aussi contraint d’inscrire toute cette procédure dans le dossier médical du patient impliquant une transparence totale tant pour les proches que pour les médecins eux-mêmes. Ils doivent démontrer qu’ils agissent dans le cadre de la permission légale les déresponsabilisant totalement. Il faut noter que pour près d’un décès sur deux (48%), le médecin déclare avoir pris une décision médicale en ayant conscience qu’elle était susceptible d’abréger la vie du patient [7]. Il est donc nécessaire qu’il y ait davantage de transparence sur la fin de vie des patients en phase terminale.

Les techniques du droit pénal permettent également d’envisager l’hypothèse où les praticiens violeraient la loi. Dans ces cas de figure, il est intéressant de souligner une certaine faiblesse de la répression effectivement pratiquée. Mais le parquet dispose d’une faculté de ne pas poursuivre. Si des poursuites sont menées, la condamnation peut être symbolique car d’une qualification pénale ne découle pas automatiquement une sanction. L’analyse in concreto réalisée par le droit pénal permet d’adapter la répression à la situation sans que la compassion prenne le pas sur une atteinte pénale. La règle de l’opportunité des poursuites est essentielle en la matière permettant au parquet de classer sans suite nombre d’affaires [8]. Le droit est très clair, il ne s’agit pas d’une dépénalisation à peine dissimulée mais simplement d’une irresponsabilité pénale au sens de l’article 122-4.

Le dilemme est fort pour le praticien qui doit à la fois respecter son serment d’Hippocrate qui dispose « j’interviendrai pour les protéger si elles sont vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou dans leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité » tout en accédant à certains désirs du patient qui ne doit pas « souffrir inutilement » selon les termes de la loi Léonetti. C’est précisément la notion d’obstination déraisonnable ou d’acharnement thérapeutique qui est ambiguë ou incomplète et ne permet pas ou plus ou moins difficilement, de déterminer à partir de quand le cadre légal est dépassé. Le droit doit donc adapter sa réponse pénale.

La décision du médecin soulève aussi la question de l’office du juge, qui, malgré son absence d’expertise médicale, doit juger s’il y a obstination déraisonnable ou non, doit-il pour autant s’en remettre à la décision médicale ? [9].

La mécanique juridique de la fin de vie encadrée légalement est donc plus difficile à mettre en œuvre qu’une lecture littérale de la loi le laisserait penser. En effet, même si le droit pénal adapte sa répression dans les hypothèses où les médecins sortent du cadre, certaines affaires récentes comme l’affaire du Docteur Bonnemaison, nous montrent qu’il n’y a pas d’automaticité dans la souplesse de la répression. Sur des questions profondément humaines comme celle de la fin de la vie, il est aisé pour les médecins de franchir le pas, notamment pour permettre une fin de vie apaisée du patient.

Le comportement du patient est d’ailleurs un élément à prendre en compte dans la prise de décision du médecin. Or les cas où le patient ne peut pas exprimer sa volonté, quand le patient refuse les soins par exemple, le rôle du médecin est d’une grande complexité juridique.

Le patient et son entourage au centre du processus décisionnel

Les lois sur la fin de vie ont pour finalité de permettre à chacun de mourir dans la dignité. L’expression « mourir sans souffrance » doit immédiatement être suivie de l’adjectif « inutile » afin de comprendre l’enjeu de ces lois. La science médicale permet parfois des maintiens en vie purement artificiels affectant un patient dont le corps physique peut être atteint sans que l’atteinte neurologique lui interdise tout affect. De facto, les souffrances psychologiques engendrées par un acharnement thérapeutique inutile sont contraires à la dignité humaine. Mais si parfois le patient peut exprimer un avis libre et éclairé, quand est-il quand celui-ci n’est plus en mesure de participer activement à la préparation de sa mort ?

En l’absence de fichier national des directives anticipées, comment s’assurer de prendre la bonne décision ? Le nouvel article 3 modifié par le Sénat le 29 octobre 2015 précise bien dès les premiers mots que les techniques plus poussées d’accélération de la fin de vie proposées par la réforme sont mises en œuvre « sauf si le patient s’y oppose ». Cette expression remplace le terme initial « à la demande du patient ». Mais l’expression intégrée à l’article lors de la seconde lecture est sujette à caution et à de multiples interprétations. En effet, cela repose sur l’expression d’un consentement par le patient or dans de multiples hypothèses, le patient n’est pas en état d’exprimer un quelconque avis. Il est clair que lorsque le patient indique à son entourage (qui servira de relais) ou bien qu’il notifie ses souhaits au personnel médical, dès lors que ce consentement est éclairé, alors la loi est simple d’application.

Mais il faut s’attacher plus précisément aux cas litigieux et il est à craindre que l’expression « sauf si le patient s’y oppose » nourrisse de nombreux commentaires.

La permission légale d’actes positifs en faveur d’une fin de vie sous contrôle permet également avec cette réforme de mieux répondre au bien-être du patient puisque ces faits peuvent se dérouler au domicile du patient. Ces actes médicaux peuvent « être effectués par un membre de l’équipe médicale, selon le choix du patient et après consultation du médecin, en établissement de santé ou au domicile du patient ». Il est à noter qu’en deuxième lecture, la mention selon laquelle la sédation doit être administrée par un membre du personnel médical a été supprimée. Cela signifie-t-il que l’entourage du patient pourra administrer cette sédation entraînant inévitablement le décès du patient ?
Les modifications apportées en seconde lecture sont surprenantes car elles vont beaucoup plus loin que le texte initial de l’article 3 de la loi Léonetti. Avec ces modifications, un pas de plus est franchi vers un accompagnement de la fin de vie beaucoup plus actif et plus « personnalisable » pourrait-on dire, dans la mesure où le patient peut choisir d’être « sédatisé » à son domicile et peut-être par ses proches. Si la sédation profonde peut se discuter en termes de droit à la dignité, paradoxalement, une sédation administrée dans un cadre familier permettant au patient de choisir son environnement de vie est un respect de la dignité du patient. Il faut donc distinguer le fond et la forme concernant la sédation.

L’entourage du patient n’est pas particulièrement visé par l’article 3 de la proposition de loi. Pourtant, celui-ci est déterminant dans bien des affaires contentieuses sur la fin de vie. Si la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît au conjoint le droit d’agir au nom du patient qui a souhaité bénéficier d’une euthanasie, la CEDH peut aussi freiner un processus euthanasique avancé dans le cadre d’une procédure nationale. Si les cas aussi médiatiques que l’affaire Lambert sont finalement peu nombreux mais occupent une large part de l’information en ce domaine, la difficulté de la réception du consentement des patients et de son entourage sur la question ultime d’une fin de vie est éminemment complexe et, pour une fois, le droit ne peut que s’incliner.

Aucune solution idoine ne semble apparaître. Un fichier national permettant le recueil des intentions ne prend pas en compte la dimension affective du moment de la mort. La nouvelle réforme législative ne tranche d’ailleurs pas ce point car comment préjuger de son comportement effectif aux portes de la fin de sa vie avant d’y être réellement confronté ? Face à la passion et à l’affect, le droit tente de concilier les différents principes fondateurs de notre droit sans pour autant parvenir à la solution idéale car la mort est en fin de compte l’affaire de toute une vie. Une affaire intimement personnelle et subjective, or le droit doit être général et abstrait pour être un droit juste.

Estelle MINATCHY Juriste en droit social et droit de la santé

[1Code de déontologie médicale, intégré au Code de la Santé Publique, art. R.4127-1 à R. 4127-112.

[2L. N°99-477 du 9 juin 1999.

[3L. N°2002-303 du 4 mars 2002.

[4Le médecin n’a pas le droit de donner délibérément la mort, Communiqué de presse de l’Ordre National des Médecins, 12 mars 2007.

[5Pretty c. Royaume Uni du 29 avril 2002 n°2346/02.

[6Affaire Vincent Lambert CEDH 5 juin 2015, n°46043/14.

[7S. Pennec, A. Monnier, S. Pontone, R. Aubry, Les décisions médicales en fin de vie en France, Rev. Population et sociétés, n°494, nov. 2012.

[8A. Prothais, Crimes et délits – notre droit pénal permet plus qu’il n’interdit en matière d’euthanasie, Rev. Dr. Pénal, n°5, mai 2001, étude 7.

[9V. F. Rome, Peine de vie, D. 2014. 137.

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