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Licenciement pour inaptitude du salarié protégé victime de harcèlement moral : réaffirmation de la stricte séparation des autorités administratives et judiciaires. Par David Masson, Avocat.
Parution : lundi 4 janvier 2016
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Lorsque le médecin du travail constate l’inaptitude physique d’un salarié protégé à son poste de travail, l’employeur désirant procéder au licenciement de ce dernier doit obtenir l’autorisation de l’inspecteur du travail.
Dans le cadre de son contrôle, l’inspecteur du travail doit vérifier que ladite inaptitude est réelle et si celle-ci justifie le licenciement. Quid dans ce cas de l’inaptitude causée par des agissements de harcèlement moral, lesquels en réalité provoquent la rupture du contrat de travail ?
L’inspecteur du travail peut-il exciper lesdits agissements et refuser dans ce cas d’autoriser le licenciement du salarié protégé ?
En d’autres termes, l’inspecteur du travail dispose-t-il d’un pouvoir de contrôler la cause de l’inaptitude physique du salarié protégé ?

La réponse est non.
L’appréciation de la cause de l’inaptitude physique est l’apanage du juge.
Cela est critiquable, nous nous en expliquerons. Heureusement, l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur de travail n’empêche pas le salarié de se prévaloir des causes de son inaptitude, dans le cadre d’une action en justice.
L’arrêt rendu le 15 avril 2015 par la Chambre sociale de la Cour de cassation est l’occasion de revenir plus en détail sur le sujet (Cass. soc., 15 avr. 2015, n° 13-21.306 et n° 13-22.469, FS-P+B).

En l’espèce,

M. C. a été engagé par la société Mutuelle assurance de l’éducation en qualité d’attaché de direction, à compter du 29 septembre 2003.
Le 11 octobre 2004, ce salarié a été désigné délégué syndical par la Fédération CFE-CGC de l’assurance.
Placé en arrêt de travail pour maladie le 7 décembre 2004 jusqu’à sa mise en invalidité le 7 décembre 2007, il a été licencié pour inaptitude définitive en impossibilité de reclassement le 28 octobre 2008, après autorisation de l’inspecteur du travail donnée le 15 octobre 2008.
Contestant la validité de ce licenciement, M. C. a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir le paiement de diverses sommes.

La Cour d’appel s’est estimée incompétente pour statuer sur la demande de nullité du licenciement du salarié. En revanche celle-ci a jugé que les agissements dénoncés par le salarié étaient constitutifs de harcèlement moral.
Ce faisant, la Cour a condamné l’employeur à payer au salarié des dommages-intérêts au titre du harcèlement moral subit par lui.

L’employeur formait un pourvoi en cassation fondé en quatre moyens, notamment faisant grief à l’arrêt de l’avoir condamné à devoir payer une somme au salarié au titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
Le salarié formait également un pourvoi en cassation, reprochant à la Cour d’appel de s’être estimée incompétente pour statuer sur sa demande de nullité de licenciement.
Si la totalité des moyens soulevés par l’employeur était rejetée par la Chambre sociale, le pourvoi du salarié était quant à lui accueilli.

« Mais sur le premier moyen du pourvoi du salarié :
Vu la loi des 16-24 août 1790 et les articles L. 2421-3, L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1152-3 du Code du travail ;
• Attendu que pour se déclarer incompétente pour statuer sur la demande de nullité du licenciement du salarié, la cour d’appel énonce qu’en vertu du principe de séparation des pouvoirs, le juge judiciaire ne peut, lorsqu’une autorisation de licenciement a été accordée, apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement, qu’en l’espèce, l’autorisation administrative de licenciement pour inaptitude en date du 15 octobre 2008 n’a fait l’objet d’aucun recours devant le juge administratif, qu’ainsi, le salarié ne peut plus contester la validité de son licenciement en considérant que l’inaptitude prononcée a pour origine le harcèlement moral de son employeur ;
• Attendu cependant que dans le cas où une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l’administration du travail de vérifier que l’inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement ; qu’il ne lui appartient pas en revanche, dans l’exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d’un harcèlement moral dont l’effet, selon les dispositions combinées des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 du Code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail ; que, ce faisant, l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations ;
• Qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
• Et attendu que conformément à l’article 624 du Code de procédure civile, la cassation sur le premier moyen du pourvoi du salarié entraîne la cassation par voie de conséquence sur les troisième et quatrième moyens ;
Par ces motifs :
• Casse et annule, mais seulement en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de nullité du licenciement fondée sur le harcèlement moral et en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes d’indemnité de préavis, de solde de treizième mois, de dommages-intérêts pour perte de droits à la retraite, pour perte d’une chance de percevoir le remboursement de ses frais de santé à venir et pour perte de salaire pendant sept ans (...) »

I) L’absence de tout contrôle par la DIRECCTE de la cause de l’inaptitude, dans l’examen de la demande d’autorisation de licenciement du salarié protégé.

A) Un arrêt en droite ligne d’une résonance entre jurisprudence administrative et judiciaire déjà amorcée.

Récemment, le Conseil d’Etat a jugé :
« Si l’administration doit vérifier que l’inaptitude physique du salarié protégé est réelle et justifie son licenciement, il ne lui appartient pas, dans l’exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d’un harcèlement moral dont l’effet, selon les dispositions combinées des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 du Code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail. Ce faisant, la décision de l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié, s’il s’y estime fondé, fasse valoir devant les juridictions compétentes les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur »(CE, 20 nov. 2013, n° 340591 : JurisData n° 2013-026227 ; JCP S 2014, 1129, note C. Leborgne-Ingelaere, 2e esp.).

Le Conseil d’Etat a infirmé les solutions antérieures des juges du fond qui consistaient à considérer que l’inspecteur devait refuser son autorisation, s’il relevait au cours de son enquête des indices suffisamment significatifs de harcèlement moral en amont de la constatation de l’inaptitude (CAA Marseille, 11 juin 2013, req. 12MA02400 : JurisData n° 2013-013645 ;).

La Chambre sociale confirme également sa propre jurisprudence, au sein de l’arrêt commenté :
« Mais attendu que dans le cas où une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l’administration du travail de vérifier que l’inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement ; qu’il ne lui appartient pas en revanche, dans l’exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d’un harcèlement moral dont l’effet, selon les dispositions combinées des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 du Code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail ; que, ce faisant, l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations » (Cass. soc., 27 nov. 2013, n° 12-20.301).

B) Un contrôle administratif strictement défini et encadré.

En se penchant sur la terminologie adoptée, on relève que le principe rappelé par la Chambre sociale doit être analysé strictement. En effet, lorsqu’un salarié protégé fait l’objet d’un avis d’inaptitude, l’employeur doit classiquement tenter de le reclasser.

En la matière, la Cour de cassation est très exigeante avec l’exécution de cette obligation de moyen (renforcée). Le principe est que la validité du licenciement d’un salarié protégé non reclassé, à l’issue d’un avis d’inaptitude, ne peut plus être contestée devant le juge judiciaire.

Mais le juge judiciaire redevient compétent quand ledit salarié protégé décide de se prévaloir tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude, lorsqu’il attribue celle-ci à un manquement de l’employeur à ses obligations. Notamment en présence d’un harcèlement moral lui ayant été infligé.

Le rôle de l’administration est donc dévolu à la vérification du critère de réalité de l’inaptitude et également à la constatation de la justification du licenciement, lorsque le reclassement du salarié est impossible. Contrairement à l’analyse retenue par la Cour d’appel au sein de l’espèce commentée, le salarié n’avait pas à saisir le juge administratif pour contester la validité de son licenciement, dont l’inaptitude avait été causée par des agissements de harcèlement moral. L’autorité administrative ne dispose pas de ce pouvoir. C’est ce que rappelle la Chambre sociale dans cet arrêt.
Se fondant sur le visa de la loi des 16-24 août 1790 et des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 du Code du travail.

Évidemment, le principe de la séparation des pouvoirs interdit au juge judiciaire de se prononcer sur les questions à propos desquelles l’autorité administrative a pris position.
La rédaction de cet arrêt peut paraître ambiguë de prime abord sur la question de la nullité du licenciement du salarié protégé.
C’est sur cette question qu’il nous semble intéressant d’analyser plus en détail cet arrêt.

II) L’absence de toute possibilité pour le juge judiciaire, de remettre en question la validité comme le bien fondé du licenciement autorisé.

A) Une impossible annulation du licenciement par le juge judiciaire.

Lorsque l’inaptitude est manifestement liée à un harcèlement reconnu, le licenciement encourt la nullité et entraîne la réparation du préjudice subi de ce fait (Cass. soc., 12 mai 2010, n° 09-40.910 : JurisData n° 2010-006032 ; JCP S 2010, 1331).
La Cour de cassation considère donc comme nuls les licenciements prononcés pour inaptitude physique lorsqu’il est établi que cette inaptitude était consécutive à des actes de harcèlement (Cass. soc., 10 nov. 2009, n° 07-45.321 : JurisData n° 2009-050261. – Cass. soc., 10 nov. 2009, n° 08-41.497 : JurisData n° 2009-050431. – Cass. soc., 24 juin 2009, n° 07-43.994).

A cet égard, la résiliation judiciaire prononcée aux torts de l’employeur, en raison notamment de faits de harcèlement moral, produit également les effets d’un licenciement nul (Cass. soc., 20 févr. 2013, n° 11-26.560 : JurisData n° 2013-002715 ; JCP S 2013, 1250, note C. Leborgne-Ingelaere). Toutefois, dans le cas du licenciement d’un salarié protégé, on doit raisonner en deux temps.

En premier lieu, vis-à-vis de l’autorité administrative, le salarié protégé peut-il exciper les actes de harcèlement moral pour présenter une demande de nullité de son licenciement ?
La réponse est non. La cause de l’inaptitude n’ayant pas à être recherchée par l’inspecteur du travail, cette nullité ne pourra pas être sollicitée. Le juge administratif saisi d’une telle demande ne pourrait que la rejeter.

En second lieu, le juge judiciaire serait-il compétent pour statuer sur la demande de nullité ?
La réponse est non également. Depuis un arrêt prononcé le 15 novembre 2011 par la Chambre sociale, il est acquis que l’autorisation de licenciement accordée par l’autorité administrative ne permet plus au salarié de contester la cause ou la validité de son licenciement en raison d’un harcèlement (Cass. soc., 15 nov. 2011, n° 10-18.417 : JurisData n° 2011-025136. – Cass. soc., 15 nov. 2011, n° 10-30.463 : JurisData n° 2011-025132).
Cette solution est conforme au principe constitutionnel de séparation des autorités administrative et judiciaire.

Ainsi, le salarié qui invoque une situation de harcèlement moral qui serait la cause de son licenciement pour inaptitude ne peut pas demander la nullité de son licenciement sur ce fondement.
En effet, hormis le cas où le juge administratif jugerait, pour certaines causes bien particulières (par exemple une inaptitude en lien avec l’exercice du mandat de représentation éventuel…) que la décision de licencier serait illégale et que l’employeur s’en affranchirait en licenciant quand même, le juge judiciaire ne peut statuer sur la validité du licenciement autorisé par l’autorité administrative.
Cela signifie que contrairement au salarié lambda, le salarié protégé harcelé ne peut pas solliciter sa réintégration (puisque la nullité du licenciement ne peut pas être prononcée).

C’est une vraie difficulté en ce que cela constitue une véritable inégalité entre le salarié protégé et salarié non protégé, en défaveur du premier. Le salarié protégé peut toutefois prétendre à la réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat de travail, en sollicitant des indemnités.

B) La réparation étendue des préjudices subis par le salarié protégé.

Selon la Cour de cassation, dans la même ligne que celle tracée par le Conseil d’État, l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires, tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude, lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations. Cette solution s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure.

Dans les arrêts de novembre 2013, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat rappellent en effet que « le salarié peut demander réparation du préjudice résultant du harcèlement moral » (Cass. soc., 15 nov. 2011, n° 10-18.417 : JurisData n° 2011-025136. – Cass. soc., 15 nov. 2011, n° 10-30.463 : JurisData n° 2011-025132).

Toute la difficulté est de déterminer l’étendue du préjudice pouvant être réparé. L’arrêt confirme qu’au-delà du préjudice subi au titre du harcèlement moral, celui résultant de la perte d’emploi peut aussi être indemnisé. Ceci étant il faut que le harcèlement soit caractérisé.

Si les plaideurs ne peuvent obtenir ni la nullité de leurs licenciements, ni l’absence de cause réelle et sérieuse de celui-ci, l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi peut être demandée. Il s’agit quand même là d’un mécanisme bien artificiel et la solution peine à être juridiquement satisfaisante.

Au travers de l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi, le juge statue en réalité sur le bien fondé du licenciement prononcé, y compris sur sa validité lorsqu’il reconnaît le harcèlement moral infligé au salarié.

Pour terminer, on relève que la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel seulement en ce que la Cour d’appel s’est déclarée incompétente pour statuer sur la demande de nullité du licenciement fondée sur le harcèlement moral. Cette précision est très ambigüe et doit être expliquée à l’aune du moyen au pourvoi présenté par le salarié.

Le moyen au pourvoi du salarié ne vise pas une annulation fondée sur la base de l’article L. 1152-3 du Code du travail (bien que le texte figure au visa de la décision commentée) mais en raison du fait que le signataire de la lettre de licenciement ne disposait pas du pouvoir nécessaire pour le faire. L’inspecteur du travail n’avait donc pas pu prendre en compte cette situation et la lettre a été nécessairement établie après l’autorisation administrative !
D’où la nullité du licenciement évidente en l’espèce (en sus de la reconnaissance du harcèlement moral).

A vrai dire, la formulation de la décision rendue par la Cour de cassation, qui reproche (au visa de la loi des 16-24 août 1790 et des articles L. 2421-3, L. 1152-1 à L. 1152-3 du Code du travail) à la Cour d’appel de s’être déclarée incompétente pour statuer sur cette demande de nullité peut particulièrement surprendre.
Il aurait été préférable que la Cour régulatrice opte pour une rédaction moins obscure. Il serait également préférable d’accorder à l’autorité administrative, le pouvoir de contrôler la cause de l’inaptitude afin que la nullité du licenciement puisse être accordée au salarié protégé.

Sur un plan juridique et sur un plan d’équité, cette évolution serait véritablement à apprécier.

David MASSON Avocat au barreau de GRASSE Associé-Gérant de la SELARL DMA www.davidmasson-avocat.fr
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