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Diffamation : la seule signification de conclusions en l’absence d’adversaire constitué n’est pas un acte interruptif de prescription. Par Jonathan Elkaim, Avocat.
Parution : lundi 4 janvier 2016
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S’il est une matière qui requiert la plus grande prudence, c’est bien celle de la diffamation.

Le très récent jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance le 16 décembre dernier en donne un nouvel exemple.

Définie et visée aux articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, elle constitue l’allégation d’un fait précis portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’autrui au regard d’un fait précis.

L’atteinte à l’honneur sera retenue lorsque l’allégation a pour but de viser une personne en soutenant qu’elle a ou aurait pu commettre un délit ou un crime.

L’atteinte à la considération fait quant à elle référence à l’atteinte à la réputation, laquelle doit s’articuler avec la liberté d’expression.

C’est d’ailleurs à raison des impératifs entourant la sauvegarde de la liberté d’expression qu’une procédure en diffamation est encadrée dans des délais de prescription très courts.

L’article 65 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 dispose en effet que :

« L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait ».

Trois mois donc, ou devrait-on dire seulement, pour éviter les pièges retors d’une prescription que la jurisprudence applique strictement.

S’agissant plus précisément de l’interruption de cette prescription, la Cour de cassation aime à rappeler que seuls les trois premiers mois suivant la commission de l’infraction au droit de la presse dérogent au droit commun et suppose que l’acte initiant les poursuites se réfère aux exigences des articles 50 et 53 de la loi du 29 juillet 1881 (Cass.crim, 17 février 2015 n°13-88129).

Par la suite, une telle prescription peut être interrompue par le biais de tous actes de poursuite ou d’instruction de droit commun pourvue que celui-soit régulier.

Autant de règles qui doivent être strictement suivies par le demandeur sous peine de voir son action prescrite.

C’est précisément le sens du jugement rendu par la 17ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris rendu le 16 décembre dernier.

En l’espèce, Monsieur B. a, par exploit du 1er juillet 2015, assigné à jour fixe le directeur de publication du site internet les inrocks.com ainsi que la société Editions Indépendantes, éditeur dudit site, sur le fondement de la diffamation, à la suite de la mise en ligne, tant sur le site éponyme que sur les réseaux sociaux, d’un article mentionnant l’allégation selon laquelle il « aurait commis des vols dans l’appartement de Charb ».

Cette assignation ayant été placée le 8 juillet 2015, la prescription était donc interrompue jusqu’au 8 octobre 2015 conformément à l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881.

En l’absence de constitution de l’avocat des défendeurs, le conseil de Monsieur B. a pris soin de transmettre au tribunal des conclusions « interruptives de prescription  » le 23 septembre 2015 afin d’interrompre de nouveau le délai de prescription.

Pour autant le conseil des défendeurs s’est constitué le 5 novembre 2015 et a sollicité par conclusions en réponse la prescription de l’action de Monsieur B depuis le mois d’octobre 2015.

Le tribunal devait donc se prononcer sur le point de savoir si la signification de conclusions auprès d’une juridiction avant le délai de prescription pouvait constituer un acte de procédure régulier de nature à interrompre un tel délai.

Le Tribunal de Grande Instance répond clairement par la négative.

La juridiction rappelle en effet que la partie poursuivante ne peut laisser s’écouler un délai de plus de trois mois sans manifester « par un acte de procédure régulier, son intention de continuer l’action engagée, faute de quoi la prescription est acquise ».

Ainsi et même s’il n’est pas « indispensable » que l’acte de procédure soit porté à la connaissance de la partie adverse, cet acte doit néanmoins « avoir date certaine et être régulier ».

Or, et ainsi qu’en dispose l’article 815 du Code de procédure civile, des conclusions constituent un acte régulier, de nature à interrompre le délai de prescription posé par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors que celles-ci ont pu être « notifiées dans la forme des notifications entre avocats ».

Dès lors, et en ce cas précis, le seul envoi de conclusions au tribunal en l’absence de toute notification à un conseil « régulièrement constitué  » ne pouvait avoir un effet interruptif de prescription.

Une telle solution conduit néanmoins à s’interroger sur sa faisabilité dans la mesure où le conseil des défendeurs s’est constitué postérieurement au délai de prescription.

Dès lors et si aucun adversaire n’a pu constituer avocat, quelle solution reste-il au demandeur pour éviter la prescription de son action en diffamation ?

La 17ème chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris semble apporter un élément de réponse.

Dans son jugement du 16 décembre dernier, la juridiction reprochait en effet au demandeur ne pas avoir signifié aux défendeurs « eux-mêmes » un acte de procédure « quelle que soit sa dénomination, qui aurait manifesté son intention de poursuivre l’action  ».

Ainsi, et à défaut de pouvoir signifier un acte au conseil d’un défendeur, le Tribunal de Grande Instance de Paris encourage désormais les demandeurs à signifier leurs écritures directement aux défendeurs.

Ce jugement invite par conséquent à la plus grande prudence.

Jonathan ELKAIM Avocat au Barreau de Paris