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L’usage des armes par les forces de l’ordre nécessairement limité par la légitime défense. Par Thibaud Claus, Avocat.
Parution : jeudi 21 janvier 2016
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L’utilisation de leur arme à feu de service par les policiers et les gendarmes est régulièrement au cœur de l’actualité. Peuvent-ils faire usage d’une arme à feu sur une personne fonçant sur un barrage ? Peuvent-ils tirer sur un fuyard ?

Le tir par arme à feu est en effet encadré par un ensemble de textes juridiques trop souvent mal connus et galvaudés.

Avant d’envisager une éventuelle réforme, il convient en conséquence d’en rappeler les règles et leurs applications concrètes par les juridictions.

1. Le rejet de l’utilisation d’une arme létale aux fins d’interpellation.

L’utilisation d’une arme et les blessures occasionnées par celle-ci caractérisent des infractions, y compris pour les forces de l’ordre. Celles-ci se différencient en fonction des blessures provoquées entre les violences volontaires aggravées par l’usage d’une arme, les violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner et l’homicide volontaire.

Ces infractions sont établies par des lois. Aussi, en vertu des règles relatives à la hiérarchie des normes, seule une loi ou un texte supérieur peut permettre de se soustraire à une infraction pénale caractérisée.

Ce principe est repris par l’article 122-4 du Code pénal :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives […]. »

Cet article évoque également les règlements dans le cas des contraventions.

Or, contrairement à ce qui a pu être soutenu, les forces de l’ordre ne bénéficient pas d’un texte général justifiant la contrainte ou la violence dite légitime.

Ils doivent, pour ne pas encourir de sanction pénale, entrer dans une des catégories d’irresponsabilité pénale légalement établies et délimitées.

Ainsi, les policiers et les gendarmes utilisent leur arme à feu dans deux cadres juridiques principaux : l’interpellation et leur défense, ou celle d’autrui.

Dans le premier cas, c’est l’article 73 du Code de procédure pénale qui autorise l’interpellation dans les situations d’infractions flagrantes.

Cet article n’est pas spécifique aux forces de l’ordre, toute personne est en effet autorisée à un interpeller un individu venant de commettre une infraction.

Cependant, il est exigé que l’usage de la force soit nécessaire et proportionné.

Il a ainsi été jugé que l’usage d’une arme à feu sur une personne en fuite est disproportionné et engage donc la responsabilité pénale des forces de l’ordre (Cass. Crim. 18 février 2003, Pourvoi N° 02-80095).

En conséquence, les policiers et les gendarmes ne peuvent faire feu sur un individu en fuite, ni sur un malfaiteur n’étant pas agressif à leur égard ou à l’égard d’autrui.

L’interpellation, en tant que telle, ne peut donc pas justifier l’utilisation d’une arme à feu sur personne.

2. La légitime défense, cause d’irresponsabilité pénale délimitée.

Le second cas d’utilisation de la contrainte par les forces de l’ordre concerne la légitime défense.

Prévue par l’article 122-5 du Code pénal, il est rappelé que :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »

C’est dans ce cadre juridique, qui ne leur est pas spécifique, que les policiers peuvent utiliser leur arme.

Cette utilisation doit avoir comme objectif leur défense ou celle d’autrui.

De même, elle n’est pas sans limite. L’utilisation d’une arme doit également être nécessaire et proportionnée.

La nécessité limite l’usage en tant que tel. Etait-il nécessaire de faire feu ou non ? L’usage d’un autre moyen était-il possible ?

La proportionnalité concerne les modalités de l’usage d’une arme. Quelle partie du corps a-t-elle été visée ? Combien de coups ont été tirés ?

Ces critères sont appréciés au cas par cas par les juridictions au vu des éléments d’enquête.

Il convient donc de se préserver de tout jugement hâtif pris sur la base d’informations parcellaires voir inexactes. Il ne doit pas être oublié que de tels dossiers peuvent contenir plusieurs centaines de cotes relatives aux actes d’enquête et l’éventuelle irresponsabilité doit être jugée au vu de l’ensemble de ces éléments.

Cependant, en théorie, il pourrait donc être répondu que les forces de l’ordre peuvent faire feu sur une personne leur fonçant dessus avec un véhicule mais ne peuvent tirer sur un fuyard les ayant évités.

De même, les principes de nécessité et de proportionnalité peuvent autoriser un tir mortel dès le premier coup de feu si la vie du policier ou d’un tiers en dépend.

Ainsi, un tir mortel semble pourvoir être justifié y compris dans certain cas de fuite où un risque grave continu d’exister. Il est notamment possible d’imaginer un tir mortel sur une personne venant de commettre un attentat et fuyant une arme à la main, même s’il n’est pas en position de tir.

Enfin, il ne faut pas oublier que les jugements restent des appréciations qui comportent nécessairement une part de subjectivité avec des différences d’interprétation en fonction des juges.

La Cour d’assises de Seine-Saint-Denis, en son délibéré du 15 janvier 2016, a ainsi estimé que le tir dans le dos par un policier était justifié au visa de la légitime défense. Le parquet a cependant interjeté appel de cet arrêt.

Concernant les gendarmes, ceux-ci bénéficient d’un texte spécifique pour l’usage de leur arme à feu en service.

C’est l’article L. 2338-3 du Code de la défense qui encadre l’usage de la contrainte :
« Les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne peuvent, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée que dans les cas suivants :
1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés ;
2° Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
3° Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de " Halte gendarmerie " faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des
armes ;
4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt. »

Il sera tout d’abord relevé que ce texte ne concerne pas exclusivement l’usage des armes à feu létales mais de la force armée.

L’utilisation d’une arme létale en direction d’un individu étant l’usage extrême de la contrainte, l’ensemble des situations listées ne peuvent justifier un tir potentiellement mortel.

Dans la pratique, les juges exercent le même contrôle à l’égard des policiers et des gendarmes. Ce sont également les critères de nécessité et de proportionnalité de la légitime défense qui permettront de justifier ou non l’usage d’une arme à feu par un gendarme.

Pour exemple l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 12 mars 2013 (Pourvoi N° 12-82683) :
« qu’il y avait lieu de constater que le mis en examen devait bénéficier de la cause d’irresponsabilité pénale, prévue à l’article 122-4, alinéa 1, du Code pénal, résultant de l’application de l’article L. 2338-3 du Code de la défense, dès lors qu’il a été établi, qu’en raison des circonstances de l’espèce, l’usage de son arme de service par le gendarme était absolument nécessaire pour contraindre le conducteur du véhicule, qui avait commis des infractions graves et refusé, à plusieurs reprises, d’obtempérer aux ordres d’arrêt des gendarmes dans des circonstances dangereuses pour leur sécurité ».

Ainsi, l’encadrement législatif actuel de l’usage des armes à feu par les policiers et les gendarmes semblerait répondre aux impératifs de la préservation de la vie humaine et d’efficacité des forces de l’ordre.

Cet état du droit régulièrement critiqué, souvent par méconnaissance, appellerait pourtant pour certain à une réforme.

3. L’improbable réforme de l’utilisation des armes à feu par les forces de l’ordre.

Une proposition de loi a été déposée en 2015 par des députés de l’opposition et un projet de loi serait actuellement à l’étude au sein du gouvernement.

Il est notamment évoqué une plus grande flexibilité dans l’utilisation des armes par les forces de l’ordre ou une présomption de légitime défense à leur égard.

Ces deux points semblent pourtant juridiquement exclus.

L’utilisation d’arme à feu est en effet une atteinte à la personne pouvant être mortelle.

Or, le droit à la vie et à la protection de son intégrité physique est un principe fondamental, notamment protégé par l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Les textes nationaux et internationaux exigent en outre une protection effective de ce droit fondamental.

Ainsi, une loi venant apporter des contours flous ou trop peux protecteurs à l’utilisation des armes à feu serait sanctionnée, notamment par le Conseil constitutionnel français au regard du principe de sureté des personnes et de l’exigence de textes de loi clairs et précis.

Concernant l’éventuelle mise en place d’une présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre, elle ne semble juridiquement pas plus probable.

En effet, cela reviendrait à faire supporter la charge de la preuve du défaut de nécessite et de proportionnalité sur le citoyen.

Or, celui-ci étant dépourvu de moyen d’enquête et faisant face à une institution étatique, la preuve pourrait être impossible à rapporter.

Une telle situation serait très probablement sanctionnée, notamment, par la Cour européenne des droits de l’homme.

Cette dernière a en effet statué dans un sens similaire concernant le respect de l’intégrité physique des personnes placées sous contrainte, et notamment en garde à vue.

Dans de tels cas, les forces de l’ordre supportent la charge de la preuve de ne pas avoir blessé le gardé à vue, y compris s’il s’est automutilé (CEDH TOMASI c. France, 27 août 1992, Requête N° 12850/87).

Cette position est reprise par la Cour de cassation et notamment dans son rapport annuel de 2007 :
« la Cour européenne persiste à édicter une présomption de causalité qui aboutit à un renversement de la charge de la preuve au détriment de l’Etat défendeur (v. également l’arrêt de principe du 4 décembre 1995, Ribitsch c. Autriche, Req. n° 18 896 /91). »

Ainsi, renverser la charge de la preuve par une présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre serait très certainement sanctionné notamment par le droit européen.

En conséquence, il est fortement probable que la réforme de l’utilisation des armes par les forces de l’ordre n’aura pas lieu où se limitera à des modifications sémantiques sans conséquence juridique.

Thibaud CLAUS Avocat au Barreau de Lyon Spécialiste en droit pénal www.claus-avocat-lyon.com
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