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L’ère de l’auto-juridication a commencé.
Parution : jeudi 4 août 2016
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Dans le même temps que la société se judiciarise, le Droit s’ouvre à de nouveaux acteurs, au-delà des professions règlementées. Dans d’autres domaines, chaque citoyen se renseigne déjà directement sur internet, pour ses placements ou sa santé. Ils sont de plus en plus nombreux à faire de même pour les questions de droit.
Défendons ici la thèse que la judiciarisation de la société ne vient pas tant des avocats que d’un changement sociétal directement induit par internet : le citoyen est désormais connecté, informé, revendicatif, pour défendre sa dignité et ses droits.
Le monde des acteurs du Droit va en être bouleversé chaque jour un peu plus.
Article initialement publié en février 2016.

Bien entendu nous lisons tous – et Le Village de la Justice participe à ces écrits – que les start-up du droit concurrencent et émulent à la fois les métiers du droit, que les technologies vont émerger et rendre disponible l’accès au droit de façon moins coûteuse, plus rapide, plus concurrentielle aussi. Ces nouveaux acteurs [1] sont les troublions du droit, et sont parfois décrits comme des héros révolutionnaires qui vont secourir les citoyens. Ou bien comme des chevaliers noirs détruisant la valeur ajoutée du droit et mettant en danger leurs clients, c’est selon.

Ne soyons pas dupes. Cette transformation qui s’opère sous nos yeux [2] est bien plus large et fait fi des acteurs : pour le citoyen, la révolution est plutôt dans la prise en main de son « destin juridique ». Jusqu’ici il passait par de l’information et des échanges sur des forums, mais de plus en plus souvent l’information juridique qualifiée ira vers le "consommateur" de droit, accompagnée de services.

Le nouveau citoyen est acteur de son destin juridique.

1. Le « nouveau citoyen » est internaute, connecté, il est donc informé et se pose beaucoup de questions. Qu’il trouve sur internet les bonnes réponses ou non, il n’accepte plus de « rater quelque chose » et de se faire duper par mésinformation. De plus, il peut être bien plus vindicatif qu’auparavant, drapé de ses droits maintenant connus ou supposés (après tout, ne nous plaignons pas, depuis le temps qu’on lui assène que nul n’est censé ignorer la loi…). Il est donc acteur de son destin juridique et n’a plus besoin d’avoir rendez-vous avec un avocat ou un notaire pour avoir un avis, ni même de contracter quoi que ce soit auprès d’une start-up.

2. Le droit lui-même pousse le citoyen à devenir acteur : les actions collectives de toutes sortes fleurissent et les médias en répandent l’odeur de promesses de recours, que les citoyens-consommateurs apprécient car elles valorisent leurs droits d’individus.
Bien avant cela, la justice de proximité fut aussi un signal fort lancé à la société que le droit devenait accessible, plus rapide, moins coûteux et surtout se généralisait à de faibles montants en jeu.
Autre exemple de prise de pouvoir : il se développe un vrai mouvement d’écriture participative des lois (comme la Loi pour une République Numérique en 2015, et des membres du Village de la Justice avait même déjà tenté cette expérience il y a dix ans).

On pourrait développer le parallèle avec l’auto-médication, véritable lame de fond du marché de la santé, en pensant aux enjeux, risques et opportunités… Oui le mouvement est le même, avec une différence de taille : le financement de la Justice est très majoritairement privé (hors AJ donc). Rien n’arrêtera donc les citoyens dans leur souhait d’appréhension du droit. L’émergence de nouveaux acteurs n’est finalement que la conséquence d’un nouveau marché (solvable) appelé à se développer, qui de ce fait attire les convoitises, mais aussi initiatives des avocats innovants.

Le « capital confiance » auprès des consommateurs de droit est la clé.

Mais la problématique est commune aux acteurs traditionnels et nouveaux entrants : pour émerger et survivre demain, il faudra accroître sa visibilité et son « capital confiance » auprès des consommateurs de droit, qui cherchent à reprendre le pouvoir (de savoir, de décider). Car il n’est pas question d’imaginer que l’on puisse pratiquer le Droit en parfaite autonomie, sans juriste, lequel deviendra de plus en plus un "accompagnateur juridique partenaire" [3].

A noter : "Judiciarisation" vs "Juridicisation" et "Auto-juridication"...

"Les quasi homonymes "judiciarisation" et "juridicisation" (...) provoquent parfois une certaine confusion.
- La "juridicisation", dérivé du mot juridique, désigne le phénomène de la propagation du droit et des solutions juridiques à un plus grand nombre de domaines de la vie sociale et économique.
- Elle conduit notamment, par voie de conséquence, à la "judiciarisation", dérivé du mot judiciaire, qui est le prolongement du bras de la Justice, la multiplication des mécanismes judiciaires, l’intervention accrue des tribunaux dans les différends qu’occasionne nécessairement la vie collective. (...) La judiciarisation est la tendance des justiciables à confier au système judiciaire la gestion de tous leurs différends et le règlement de tous les problèmes sociaux."
Définitions proposées par : le site Termium plus

- L’ "autojuridication" est un nouveau mot créé par imitation du terme « automédication » (illustrant ainsi le parallèle entre le droit et la santé, mais nous avons effleuré les limites d’un tel rapprochement simpliste mais imagé). Nous aurions pu utiliser le mot "auto-juridicisation", mais plus difficile à mémoriser ! "Autojuridication" semble donc l’emporter depuis quelques années.

En complément...

Nicolas Molfessis, professeur à l’université Panthéon-Assas, expliquait déjà en 2012 ce mot et le phénomène, qui désormais prend de l’ampleur avec l’offre étendue de sites internet traitant de droit :

Rédaction du village

[1Parfois issus de la profession d’avocat elle-même.

[2Sous nos yeux amicaux, car au Village de la Justice, nous croyons en la capacité d’adaptation des métiers du droit - nous travaillons à leur nécessaire information depuis près de 20 ans ! - et qu’il y aura de la place pour tout le monde du moment que les pratiques sont de qualité.

[3Les avocats candidats au Prix de l’innovation du Village de la Justice se nomment souvent des "chefs de projets".

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