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Expatriation au Portugal : un nouveau paradis fiscal ? Par Georges-David Benayoun et Marjolaine Martin, Avocats.
Parution : mercredi 27 janvier 2016
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Le Portugal séduit de plus en plus de contribuables français, principalement des retraités, de par un climat agréable, une proximité culturelle, un coût de la vie inférieur à la France, une faiblesse des prix de l’immobilier, une proximité géographique avec la France (seulement deux heures d’avion) et depuis 2009 une fiscalité très attrayante.

En effet, par un décret-loi en date du 23 septembre 2009, le Portugal a reconnu le statut fiscal de résident non habituel qui permet de bénéficier d’un taux spécial d’imposition pour certains revenus de source portugaise et de bénéficier d’exonérations sur les revenus de source étrangère.

Ainsi, les personnes devenues résidentes fiscales portugaises depuis le 1er janvier 2009 et qui ne bénéficiaient pas de ce statut au cours des cinq précédentes années, peuvent bénéficier du statut de résident non habituel pendant une période de dix ans.

Afin de simplifier les démarches et faciliter l’accès à ce statut, le gouvernement portugais a adopté une circulaire le 3 août 2012 qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2013. L’objectif pour le Portugal est d’attirer bon nombre de retraités de toutes nationalités afin que leurs dépenses soutiennent la croissance. Ainsi, les nouveaux résidents s’installant en tant que propriétaires ou locataires pourront bénéficier d’une exonération d’impôt sur les revenus de source étrangère.

Selon la Chambre de commerce et d’industrie franco-portugaise, en 2014, ce sont près de 7 000 français qui se sont installés au Portugal, dont 80 % de retraités, soit trois fois plus qu’en 2013. Ce flux n’est pas prêt de cesser. En effet, la Chambre de commerce et d’industrie franco-portugaise prévoit que d’ici à fin 2016, environ 20 000 ressortissants français devraient s’installer au Portugal.

1- Les critères de détermination de la résidence fiscale

En matière de résidence fiscale, c’est seulement dans la mesure où une même personne est considérée comme domiciliée dans chacun des deux Etats par application de chacune des législations internes que les critères qui permettent de déterminer le pays de la résidence au sens conventionnel sont utilisés.

Il convient dès lors de se demander si compte tenu des circonstances du transfert de domicile fiscal, la législation interne française considérera un contribuable comme résident ou non-résident fiscal de France.

Il convient de noter qu’en application de l’article 4 B du CGI une personne est considérée comme ayant son domicile fiscal en France lorsqu’elle se trouve dans l’une des situations suivantes :
‐ la personne a son foyer en France ou son lieu de séjour principal en France ;
‐ la personne exerce en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu’elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ;
‐ la personne a le centre de ses intérêts économique en France (principaux investissements, lieu d’où il tire la majeure partie de ses revenus).

Pour l’application des dispositions de l’article 4 B, 1° -a du CGI, le foyer s’entend du lieu où le contribuable habite normalement et a le centre de ses intérêts familiaux, sans qu’il soit tenu compte des séjours effectués temporairement ailleurs en raison des nécessités de la profession ou de circonstances exceptionnelles.

Conformément aux dispositions de l’article 4 B-1 c du CGI, les personnes ayant en France le centre de leurs intérêts économiques (principaux investissements, centre des activités professionnelles, majeure partie des revenus) sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France.

En application du droit fiscal portugais (article 16 du code de l’IRS), est fiscalement résident du Portugal, le contribuable qui répond aux critères suivants :
-  résider au Portugal plus de 183 jours au cours d’une année civile ou disposer d’une habitation permanente au Portugal au 31 décembre ;
-  faire partie du personnel navigant d’une compagnie aérienne ou navale dont le siège est établi au Portugal ;
-  exercer à l’étranger des fonctions publiques au service de l’Etat portugais.

Lorsqu’une même personne est susceptible d’être qualifiée de résidente fiscale de France et du Portugal, l’article 4 de la convention fiscale franco-portugaise du 14 janvier 1971 tranche les questions de double imposition.

En application de l’article 4 de la convention, une personne est considérée comme résidente d’un Etat lorsqu’en vertu de la législation de cet Etat, elle est assujettie à l’impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue.

Lorsqu’une personne est un résident des deux Etats, sa situation est réglée de la manière suivante :
a) Cette personne est considérée comme un résident de l’Etat où elle dispose d’un foyer d’habitation permanent ; si elle dispose d’un foyer d’habitation permanent dans les deux Etats, elle est considérée comme un résident de l’Etat avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ;
b) Si l’Etat où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou si elle ne dispose d’un foyer d’habitation permanent dans aucun des Etats, elle est considérée comme un résident de l’Etat où elle séjourne de façon habituelle ;
c) Si cette personne séjourne de façon habituelle dans les deux Etats ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun d’eux, elle est considérée comme un résident de l’Etat dont elle possède la nationalité ;
d) Si cette personne possède la nationalité des deux Etats ou si elle ne possède la nationalité d’aucun d’eux, les autorités compétentes des Etats tranchent la question d’un commun accord.

Par conséquent, toute personne devenant résidente fiscale portugaise pourra s’inscrire en tant que résident non habituel, en attestant ne pas avoir été résident fiscal portugais au cours des cinq dernières années, en application de la circulaire du 3 août 2012.

2- Le statut de résident non habituel

Afin de pouvoir bénéficier du statut de résident non habituel, il convient de remplir les conditions suivantes :
-  Ne pas avoir résidé au Portugal durant les cinq années précédant la demande d’application du régime ;
-  Séjourner plus de 183 jours par an, soit six mois et un jour, au Portugal ;
-  Relever du système privé.

Il n’est pas nécessaire d’obtenir un visa de résidence pour s’installer au Portugal. En effet, il est possible de séjourner 180 jours par an au Portugal en demandant une autorisation de 90 jours à compter de la date d’expiration de la première période de 90 jours.

Pour pouvoir résider au Portugal au-delà du délai de 180 jours, les résidents non portugais doivent demander un permis de séjour. Dans ce cas, il est remis au bénéficiaire un certificat d’enregistrement pour une durée de cinq ans.

Le statut privilégié de résident non habituel s’applique pendant une période de dix ans.

Après ce délai, le régime de droit commun portugais de l’impôt sur le revenu des personnes physiques s’applique de plein droit. Les résidents non habituels supporteront ainsi le barème progressif de l’impôt sur le revenu réservé aux personnes physiques portugaises.

Il existe cinq tranches d’imposition sur le revenu au Portugal, allant de 14,5 % à 48 % :
-  Moins de 7000 euros : 14,5 %
-  Entre 7000 et 20 000 euros : 28.5 %
-  Entre 20 000 et 40 000 euros : 37 %
-  Entre 40 000 et 80 000 euros : 45 %
-  Au-delà de 80 000 euros : 48 %

Toutefois, il est à préciser qu’il n’existe ni prélèvements sociaux, ni ISF, ni droit de succession au Portugal.

Enfin, il est à noter que si les expatriés retournent vivre dans leur pays d’origine, ou ailleurs, et qu’ils reviennent au moins cinq ans après, ils pourront de nouveau bénéficier de ce statut.

3- Conséquences fiscales du statut de résident non habituel

3-1- Sur les revenus de source portugaise

Les revenus professionnels qu’ils proviennent d’une activité salariée ou indépendante, de source portugaise perçus par un résident non habituel sont imposés au taux préférentiel de 20 % au Portugal, dès lors qu’ils se rapportent à une activité scientifique, artistique ou technique « à haute valeur ajoutée ».

Un décret du 7 janvier 2010 définit ces activités « à haute valeur ajoutée » comme étant notamment les professions d’architectes, ingénieurs, auditeurs et conseils fiscaux, médecins, dentistes, professeurs universitaires, archéologues, biologistes, professions libérales, cadres supérieurs, artistes, sculpteurs, acteurs, musiciens, peintres.

Les revenus professionnels ne rentrant pas dans cette catégorie d’activité dite « à haute valeur ajoutée » sont quant à eux soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu de droit commun.

3-2- Sur les revenus de source étrangère

-* Les retraites

En application de l’article 19 de la convention fiscale franco-portugaise du 14 janvier 1971, les pensions versées à un résident d’un Etat contractant, au titre d’un emploi antérieur dans le domaine privé, ne sont imposables que dans cet Etat.

Les pensions de retraite privées de source française d’un résident non habituel ne seront pas imposables en France et exonérées au Portugal. Elles échapperont donc à toute imposition pendant dix ans.

En revanche, les retraités de la fonction publique ne peuvent pas bénéficier du statut de résident non habituel, dans la mesure où les rémunérations et pensions versées par l’Etat, l’une de ses collectivités locales ou par l’une de leurs personnes morales de droit public sont imposables dans l’Etat de la source.
Ainsi, les pensions de retraite publiques restent exclusivement imposables dans l’Etat de l’organisme payeur.

-* Les salaires

En application de l’article 16 de la convention fiscale franco-portugaise, les salaires sont imposables exclusivement imposables au Portugal, sauf si l’activité salariée est exercée en France pour une durée supérieure à six mois au cours de l’année civile, auquel cas l’imposition est partagée.

Les salaires provenant d’activités « à haute valeur ajoutée » de source étrangère d’un résident non habituel sont exonérés d’impôt sur le revenu au Portugal, sous condition d’être effectivement imposés dans l’Etat de source.

Dans l’hypothèse où les salaires ne seraient pas imposés dans l’Etat de source, ils seront imposés au Portugal au taux de faveur de 20 %.

-* Les revenus fonciers ou plus-values immobilières

En application de l’article 6 de la convention fiscale franco-portugaise du 14 janvier 1971, les revenus provenant de biens immobiliers sont imposables dans l’Etat contractant où ces biens immobiliers sont situés.

De même, aux termes de l’article 14-1 de la convention fiscale franco-portugaise, les plus-values résultant de la cession de biens immobiliers sont imposables dans l’Etat de situation des biens.

Toutefois, il s’agit d’une imposition non exclusive. La double imposition est évitée par l’octroi d’une déduction d’impôt au Portugal correspondant au montant de l’impôt payé en France.

Il peut s’avérer fiscalement intéressant de céder l’ensemble de ses biens immobiliers en France, pour éviter une imposition en France des revenus fonciers, d’une part, et afin que l’administration fiscale française ne puisse pas contester la réalité de l’expatriation, d’autre part.

Les articles 11 et 12 de la convention franco-portugaise qui visent respectivement les dividendes et intérêts font l’objet d’une retenue à la source dans l’Etat qui les verse, au taux de 15 % et sont également imposés dans l’Etat de résidence.

Le statut de résident non habituel prévoit que les revenus de capitaux mobiliers (intérêts, dividendes, redevances, plus-values) de source étrangère sont exonérés d’impôt sur le revenu au Portugal, à condition qu’ils soient susceptibles d’être imposés dans l’Etat de la source. Il n’est donc pas nécessaire que ces revenus soient effectivement taxés à l’étranger, mais seulement qu’ils puissent l’être.

Ainsi, un résident non habituel qui détiendrait une assurance-vie en France supporterait une retenue à la source de 15 % lors du rachat. En revanche, si ce non-résident habituel a souscrit une assurance-vie au Luxembourg, celle-ci ne supportera pas de prélèvements à la source et par conséquent serait totalement exonérée d’impôt.

Dès lors, il s’avère particulièrement avantageux pour un retraité français qui obtient le statut de résident non habituel au Portugal de liquider l’ensemble de ses avoirs en France pour les placer dans une assurance-vie luxembourgeoise, puisqu’il serait alors exonéré d’impôt en France, au Luxembourg et au Portugal.

De plus, l’administration fiscale française ne pourrait plus remettre en cause la résidence fiscale puisque le contribuable n’aurait plus le centre de ses intérêts économiques en France, mais dans un autre Etat, en l’occurrence le Luxembourg.

4- Conséquences en matière d’ISF

En application de l’article 885 A du CGI, les personnes physiques domiciliées hors de France ne sont imposables à l’ISF qu’à raison de leurs biens situés en France.

Par biens situés en France, il convient d’entendre les biens meubles corporels ayant une assise matérielle en France ainsi que les biens immeubles ou droits réels immobiliers possédés en France.

Les placements financiers en France sont expressément exonérés en application de l’article 885 L du CGI.

Sont notamment considérés comme des placements financiers exonérés, les dépôts à vue ou à terme, les obligations, contrats d’assurance-vie, actions ou droits sociaux (hors titres de participation) ainsi que des comptes courants d’associés détenus dans une société ou une personne morale ayant en France son siège social ou le siège de sa direction effective.

Toutefois, il convient de noter que les titres de participation ne constituent pas, selon l’administration fiscale, des placements financiers et sont donc passibles de l’ISF.

En pratique, sont présumés titres de participation les titres représentant au moins 10% du capital d’une entreprise.

L’article 885 T ter du CGI prévoit que la valeur vénale des titres d’une société à prépondérance immobilière possédés par un non-résident à retenir pour le calcul de l’ISF est déterminée sans tenir compte des créances détenues, directement ou par l’intermédiaire d’une ou plusieurs sociétés interposées, par ce non-résident dans la société.

Instituée par l’article 40 de la loi 2011-900 du 29 juillet 2011, cette disposition est applicable depuis l’ISF 2012. Elle a été adoptée afin de faire échec aux montages par lesquels les non-résidents structuraient leur investissement immobilier en France par l’intermédiaire d’une SCI à laquelle ils consentaient des apports en compte courant. Ce schéma leur permettait de réduire la valeur imposable de leurs parts du montant de leur compte courant, alors même que ce dernier est un placement financier exonéré (s’agissant de non-résidents).

Dès lors, un contribuable résident fiscal portugais verra donc son imposition à l’ISF en France s’alléger voir disparaitre.

Il est à noter que l’ISF n’existe pas au Portugal.

5- Conséquences en matière de droits de succession

Au Portugal, il n’existe pas de droits de succession.

Conformément au droit commun portugais, la loi applicable à une succession est celle du pays dont le défunt avait la nationalité au moment de son décès.

Ainsi, si un résident fiscal portugais de nationalité française décède, sa succession s’ouvrira selon la législation française.

En l’absence de convention fiscale entre la France et le Portugal régissant les successions, le droit interne est applicable. Ainsi, il résulte des dispositions de l’article 750 ter du code général des impôts que lorsque les bénéficiaires de la succession résident en France, tous les biens du défunt, en France ou hors de France, sont imposables en France.

6- Conclusion

Le statut de résident non habituel étant très attrayant, le nombre de transfert de domicile fiscal au Portugal risque de s’accroitre fortement.

L’administration fiscale portera une vigilance particulière sur la réalité de l’expatriation. Ainsi, avant de prendre toute décision de transfert de domicile fiscal au Portugal, il convient de s’assurer de ne plus conserver de foyer fiscal en France et de pouvoir attester d’un séjour au Portugal de plus de 183 jours par an.

L’objectif du Portugal, qui a fortement subi la crise, est d’attirer principalement des retraités étrangers ayant un fort pouvoir d’achat, en leur promettant une double exonération de leur retraites privées.

Georges-David Benayoun Marjolaine Martin Avocats [mail->gdb@cbavocats.com]
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