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Taux effectif global erroné, TEG sans défense. Par Laurent Denis, Avocat.
Parution : mardi 2 février 2016
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Les éléphants de la banque font de la résistance, tentant de faire du droit neuf avec de vieux sujets bancaires. Le contentieux du taux effectif global (ou TEG) demeure tonique. Son chapitre entier dans l’ouvrage toujours inachevé des erreurs bancaires est sûrement bien mérité.

Prochainement remplacé par le TAEG, pour les crédits immobiliers, dans le sillage de la transposition de la directive « Mortgage Credits », sa pratique aura été marquée par de nombreuses erreurs de droit de la part des établissements de crédits.

La décision de la Cour de cassation, Chambre commerciale, en date du 12 janvier 2016 (n°14-15.203, sur Legifrance) ne fait pas exception à la difficulté, pour les banques ou pour leurs conseils, de défendre un TEG erroné. En dépit, dans le cas d’espèce considéré, d’une imagination toute dévouée au renouvellement des arguments du prêteur.

Alors que le TEG va disparaître, pour les crédits immobiliers, le 21 mars 2016, quelle belle idée d’inaugurer l’année 2016 avec ce rappel : tout comme l’éléphant dépité, un TEG erroné est décidément sans défense.

Résister : est-ce persévérer ? ou renoncer ? Alors que cette pétillante équation philosophique s’offre l’actualité, pour disparaître aussi vite des écrans, casquée et à vélocipède, elle s’invite également dans l’inusable débat sur la sanction du TEG erroné.

En droit, depuis 1966, le taux effectif global d’un crédit habite à l’article L. 313-4 du Code monétaire et financier (art. 3 de la Loi n°66-1010 du 28 décembre 1966, modifié notamment par la Loi n°79-596 du 12 juillet 1979, et Décret n°2002-927 du 10 juin 2002), lequel reproduit les articles concernés du Code de la consommation.

Le TEG est nécessairement présent au contrat, au visa de cet article L. 313-4 du Code monétaire.

Sa composition est définie : « dans tous les cas, pour la détermination du taux effectif global du prêt comme pour celle du taux effectif pris pour référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels  ».

Le TEG doit être mentionné dans le contrat de prêt (articles L.312-8 et L. 313-2 du même Code monétaire et financier et du Code de la consommation).

L’annexe de l’article R. 313-1 du Code monétaire et financier décrit les conditions mathématiques de sa validité juridique.

Toute erreur de TEG est fortement sanctionnée : privation du prêteur de son droit aux intérêts contractuels, calcul des intérêts dus sur la base du taux d’intérêt légal.

Avec cette décision du 12 janvier 2016, l’établissement prêteur perfectionne la protection de l’erreur de TEG, avec le recours pathétique à des raisonnements éculés, car déjà tranchés, mais en gratifiant l’observateur d’imaginatifs nouveaux moyens de droit.

Une PME a souscrit un prêt. La banque, producteur de ce crédit l’a distribué directement, sans l’appui de distributeurs bancaires, courtiers, mandataires et IOBSP. Le cas de figure canonique de l’acheminement du crédit dans l’économie. Contestant notamment le TEG, stipulé à 5,27 % erroné de 0,17 point (0,17 « % »), soit 5,44 % en réalité, l’entreprise obtient gain de cause en appel. L’établissement de crédit se pourvoit en cassation, avec créativité : sans succès, son pourvoi est rejeté.

Au chapitre du rappel du droit positif, la Cour de cassation rappelle que la sanction de l’erreur de TEG est sanctionnée par la substitution au taux d’intérêt contractuel initial du taux de l’intérêt légal. Sans surprise.

La Cour de cassation apporte d’utiles précisions, quant au taux légal alors applicable : celui en vigueur au jour de leur perception, ainsi que celui de l’année civile, pour les intérêts à échoir. La formulation de la cour d’appel de Versailles est précise : l’établissement de crédit est condamné « à restituer à la société […] les intérêts contractuels payés au titre de ce prêt, sous déduction des intérêts au taux légal en vigueur au jour de leur acquisition, seuls dus par la société […], […] dit que pour les mensualités à échoir du contrat de prêt, le taux légal en vigueur pour l’année civile correspondante doit être substitué au taux contractuel annulé ».

Les établissements bancaires dits coopératifs revendiquent un mode de relation dont l’essence ne serait pas seulement mercantile et financière. Voici une illusion vaine, qui ne trompe plus guère les clients, mais qui permet sans doute d’égayer le quotidien et de maintenir leurs employés dans la douce acceptation de leur condition commerciale, par ailleurs cernée d’objectifs à têtes multiples et de rémunération assortie, qui n’ont pas grand-chose de coopératifs. Si la coopération n’est plus qu’un fumeux slogan, les statuts juridiques demeurent : ces banques ordonnent l’acquisition de leurs parts sociales (les titres de leur capital) aux clients-emprunteurs, les convertissant ainsi en « sociétaires » autant qu’aux bienfaits de la banque coopérative. Elles espèrent ainsi d’eux, au terme de ce numéro de pure voltige verbale, un rapport plus patient avec la bouillonnante finance.

Chacun sait que l’emprunteur, par nature à sec de ressources financières, n’éprouve qu’une envie : se précipiter au guichet du coin pour acquérir sans délai des parts sociales de banque coopérative. Bien sûr, il n’en est rien. Leur vente est liée à celle du crédit. Le caractère imposé de la vente de parts sociales subordonnées à l’octroi du crédit n’est donc pas contestable.

S’agissant donc ici d’un établissement de crédit supposément coopératif, le coût de ces parts sociales entre dans le calcul du TEG. Dès lors que leur souscription est imposée par l’établissement prêteur comme condition de l’octroi d’un prêt, l’article L. 313-1 du Code de la consommation dicte leur ajout aux intérêts, pour fixer le taux effectif global du prêt.

Résister à l’intégration de la vente des parts sociales d’une banque coopérative au calcul du TEG était donc sérieusement inutile.

Il fallait donc enrichir le débat de nouveaux arguments.

Parmi les nouvelles idées développées en défense du TEG erroné, la banque avance que l’obligation d’indiquer le TEG pour les crédits souscrits par des professionnels porterait atteinte à la liberté de prestations de services ou à celle d’établissement dans l’Union européenne (articles 49 et 56 du Traité de Fonctionnement de l’Union européenne, pas moins). En effet, la banque n’hésite pas à soutenir qu’une telle obligation d’information la placerait en situation de désavantage par rapport à d’autres réglementations de l’Union, donc à ses camarades de jeu des pays en question.

Jetés trop tardivement dans la procédure, ces deux arguments sont jugés irrecevables. Leur examen mérite toutefois la plus grande attention.

L’inédit argument selon lequel le droit bancaire des entreprises devrait être calé sur les plus bas standards européens laisse sans voix. Il nécessiterait toutefois d’être démontré, la banque ne produisant rien de percutant qui prouverait un incontestable écart de protection des entreprises, dans leur relation bancaire de crédit, entre les différents pays de l’Union.

L’appel, de la part d’un établissement de crédit, à un droit bancaire « low cost », calibré sur le droit domestique de l’Union le moins-disant en dit long sur la vision de la relation des banques avec les clients, ici, spécialement, avec les entreprises.

Saisissante idée, également, que celle consistant à revendiquer ouvertement le droit de ne pas informer correctement le client, au prétexte qu’il est un professionnel, une PME, en l’espèce. Il est bien connu que l’information claire et loyale nuit gravement à la liberté de prestation de services (…). Et que tous les chefs d’entreprises sont des experts bancaires, pour lesquels toute information financière ou contractuelle serait superflue…

Pour quelle(s) raison(s) le professionnel, la TPE, la PME, auraient-ils moins de droits d’information pré-contractuels que les consommateurs ? Cette proposition inédite souligne que le renforcement continu de droits accordés aux consommateurs, non professionnels, ne doit pas faire oublier la nécessité de rehausser ceux des professionnels qui, bien souvent, ne relèvent pas des mêmes règles de droit.

Malgré les incantations, notamment statistiques, l’accès au crédit des TPE et des PME reste une incontestable difficulté. Cette situation nuit à leur développement, donc à l’activité économique et à l’emploi, enjeux d’ordre public économique. Des sujets aussi fondamentaux que la croissance et l’emploi résultent donc principalement de décisions et de pratiques de prêteurs privés. Le gouverneur de la Banque de France l’a même rappelé aux banques, pour les crédits de trésorerie, le 18 janvier 2016.

Le dessein de suggérer un droit bancaire inférieur pour les entreprises n’est, tout simplement, pas acceptable, y compris en essayant de le fonder sur du droit européen comparé. La cour d’appel de Versailles (la décision contestée date du 10 octobre 2013), avec la Cour de cassation rejettent, à très juste titre, cette spéculation juridique.

La banque, même coopérative, touche encore ses limites, cette fois dans la relation avec les entreprises. Les chefs d’entreprise qui, nombreux, entretiennent une relation de crédit avec leurs fournisseurs bancaires, de même que leurs associations professionnelles, garderont à l’esprit les développements qui précèdent, pour en apprécier toute la portée.

En matière bancaire, le droit des professionnels, des entreprises, petites ou grandes, doit plutôt être précisé et affirmé, que contesté ou ratiboisé. Les banques devraient être exemplaires, dans cette voie : coopératives.

Mais l’assaut juridique ne s’arrête pas à la tentative de doter l’entreprise d’un sous-droit bancaire. Pour défendre le droit aux intérêts d’un contrat au TEG erroné, la banque n’hésite pas à faire appel aux plus hautes libertés fondamentales.

La banque relève également que la substitution d’intérêts, du taux contractuel au taux légal, constituerait une atteinte lourde à un droit fondamental : son droit au respect des biens. Un tel droit est garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Traité STCE n°005), via son protocole additionnel, article 1(Traité STE n°009). Rien de moins.

Dans cette approche, l’établissement de crédit ne nie pas la fausseté du TEG, mais invoque la sanction « disproportionnée » de l’erreur, ou de la faute (?), commise par lui.

En effet, l’article 1 visé dispose : « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ».

Voilà de quoi donner tout de suite un peu d’altitude aux litiges sur le TEG.

Combien vaut la sanction d’une entorse lourde aux droits d’information pré-contractuels des consommateurs, des emprunteurs ? Participant à l’obligation pré-contractuelle d’information du professionnel (l’un des trois volets d’un ensemble composé par ailleurs de l’obligation, ou devoir, d’explication ou de mise en garde et de l’obligation de conseil en crédit, encore insuffisamment étendue), le taux effectif, TEG comme TAEG, est conçu pour permettre à l’emprunteur de comparer facilement des contrats de crédits entre eux.

Avec la plus ultime malice, la banque soutient que la sanction actuelle de l’erreur de TEG s’accompagne de l’absence de consentement de l’emprunteur au coût global du prêt.

En vain : «  attendu que, contrairement à l’allégation de la seconde branche du moyen, la sanction de l’erreur affectant le taux effectif global d’un prêt est la substitution au taux d’intérêt contractuel initial du taux de l’intérêt légal ; que cette sanction, qui est fondée sur l’absence de consentement de l’emprunteur au coût global du prêt, ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit de l’établissement de crédit prêteur au respect de ses biens garanti par l’article 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Il est vrai que cet article 1 du protocole STE n°009, protégeant le droit de propriété, est complété d’un second alinéa : « les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».

Le respect des biens des personnes, et de leur droit de propriété, est équilibré par les lois « nécessaires à l’usage des biens conformément à l’intérêt général ».

Telle est bien la jurisprudence régulant en 2016 le droit séculaire du prêteur à stipuler des intérêts, puis à en protéger la perception. La collecte des intérêts, dimension essentielle de l’opération de crédit, elle-même substantielle pour l’économie et pour l’intérêt général, ne peut être totalement laissée à la discrétion d’un opérateur privé, la banque. L’argent, bien public dont la gestion est fortement privée, ne peut être dépourvu des lois nécessaires à en fixer l’usage conforme au bien public.

Pour l’Alliance Coopérative Internationale (ACI), « une coopérative est une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement ».

La banque coopérative, qui nourrit l’ambition d’être une « entreprise où le pouvoir est exercé démocratiquement », voit d’un œil déjà moins démocratique la propriété des intérêts issus de ses contrats de prêt. Une banque ouvertement soucieuse de « promouvoir les intérêts de ses clients et sociétaires, et aussi de l’économie sociale plus généralement » devrait, de fait, montrer davantage de discernement dans les intérêts des crédits qu’elle entend réclamer à ces mêmes clients, y compris devant la Cour de cassation.

Le droit de percevoir des intérêts de crédit après la commission d’une faute civile au détriment de l’emprunteur ne peut donc être secouru par aucune liberté fondamentale, même supérieurement protégée.

Mais le soldat TEG est un fantassin précieux dans la collecte de chiffre d’affaires bancaire. Les enjeux financiers de ces questions juridiques sont immenses. Toute cette fébrilité bancaire ne change rien ; le TEG erroné mérite la sanction de la faute ou de l’erreur du professionnel bancaire. Les dispositions normatives européennes déterminent à présent le droit bancaire et financier, sans aucune considération ni secours de parlementaires nationaux qui désertent ces sujets, comme le montre l’indifférence générale dans la réforme européenne du crédit immobilier, réécrivant cette partie du Code de la consommation. Même en puisant de nouveaux arguments de nature européenne, la banque, au meilleur de son imagination toute coopérative, ne parvient pas à sauver le TEG.

Le contentieux de masse du TEG devient juridiquement plus sportif. Plus que jamais, la nécessité d’étendre l’obligation de conseil en crédits à tous les crédits et à tous les emprunteurs est illustrée par les nouveaux arguments juridique imaginés par les professionnels du droit du crédit, en défense de leurs propres erreurs.

La généralisation du conseil en crédits reste une urgence.

Alors que la Directive « Crédits immobiliers » ou « Mortgage Credit Directive » va réformer profondément les dispositions du Code de la consommation (articles L. 312-1, et suivants, R. 312-0 et suivants, de ce Code), remplaçant au passage le TEG par le TAEG et uniformisant ainsi les taux effectifs pour l’ensemble des prêts aux particuliers, la question de la conformité du calcul de ce taux effectif, quel qu’il soit, restera intacte.

L’exact calcul du taux effectif du contrat de crédit participe à l’information précise, claire et non trompeuse de l’emprunteur. Qu’il soit consommateur ou professionnel ne change naturellement rien à cet impératif, indispensable à l’écologie apaisée de l’activité bancaire.
Les banques peuvent encore se convertir sincèrement à la « bancologie » et participer à la transformation d’un secteur où elles ne sont plus les seuls professionnels.
Souhaitons que l’arrêt du 12 janvier 2016 marque aussi un coup d’arrêt aux concepts juridiques qui n’honorent ni la relation avec les clients, ni le droit bancaire.
La brousse est toujours plus forte que l’éléphant.

Laurent Denis www.endroit-avocat.fr
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