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Nouvelle loi sur la fin de vie : que faut-il retenir ?
Parution : vendredi 5 février 2016
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Onze ans après la loi Leonetti, une nouvelle loi sur la fin de vie a été promulguée le 2 février 2016. Son élaboration, entamée dès 2012, a été longue et la question de la fin de vie reste sensible. Le fantôme de l’euthanasie, toujours interdite à l’heure actuelle, plane toujours lorsque le sujet est ramené sur le devant de scène parlementaire ou médiatique.
Cette nouvelle loi vient notamment renforcer les droits du patient en fin de vie, en donnant par exemple un caractère incontournable aux directives anticipées, et instaure la « sédation profonde et continue », dans des conditions très strictes.
Quelles seront les conséquences de cette nouvelle loi ? La pratique nous le dira, mais nous avons demandé à deux auteurs du Village de la Justice, Valérie Desplanques, avocat, et Estelle Minatchy, juriste, de nous apporter les premières réponses.

La grande nouveauté de cette nouvelle loi est la mise en place de la « sédation profonde et continue », sous certaines conditions. Que pensez-vous de ces conditions, vous semblent-elles suffisantes, sans ambiguïté ?

Valérie Desplanques : Le texte a pour philosophie : « dormir pour ne pas souffrir avant de mourir » et le propos n’était pas pour les rédacteurs de la loi que soit ouvert un droit à la mort, à l’euthanasie ou à un suicide assisté. Il n’était absolument pas question de pouvoir proposer une sédation à but terminal mais d’associer à un arrêt des traitements de maintien de vie, dans les cas visés par la loi, une sédation profonde et continue afin d’éviter toute souffrance.

Valérie Desplanques, avocat (SCP Valérie Desplanques)

Sur le terrain, l’appréciation que devra faire l’équipe médicale pour savoir si tel cas correspond bien à un de ceux visés par la loi reste bien évidement une décision humaine et comme telle sujette à discussion. Mais la collégialité, qui « permet à l’équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions d’application prévues aux alinéas précédents sont remplies » [1], est un gage de sécurité.

En outre, si la nature bioéthique et l’importance sociétale de ces questions nécessitent un cadre juridique strict, il est important que l’appréciation des conditions d’application soit laissée au corps médical afin de permettre une certaine souplesse nécessaire à la matière.

Estelle Minatchy : Selon les termes de la loi, le patient atteint d’une affection grave et incurable se voit reconnaitre un droit à la sédation profonde lorsqu’il souhaite éviter toute souffrance. Cette possibilité lui est offerte dans deux cas : lorsqu’il présente une souffrance réfractaire aux traitements qui lui ont été administrés et lorsque sa décision d’arrêter ces traitements ferait naitre une souffrance insupportable.

La notion de sédation profonde, d’après les rapports de la Commission Sicard et celui du Comité consultatif national d’éthique, serait la recherche, par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’a la perte de conscience. Le but est de diminuer ou de faire disparaitre la perception d’une situation où la souffrance et la douleur ne peuvent être soulagées.

« Sédation profonde ou continue jusqu’à la mort ? »


Cependant, cette sédation profonde et continue reste très ambiguë et soulève la question de la conduite à tenir : sédation profonde ou continue jusqu’à la mort ? Quand passe-t-on de la sédation profonde au décès ? Aucune indication n’est donnée par le législateur sur la frontière entre l’état de perte de consciente et le moment ou le patient décède.

A votre avis, le droit du patient en fin de vie est-il renforcé par ces nouvelles dispositions ?

V.D. : Oui, en tout cas, c’est le but. L’article 3 tend à créer un droit nouveau à la sédation profonde et continue jusqu’au décès pour une personne malade dont le pronostic vital est engagé. L’article 4 de la loi [2] tend à renforcer le droit du malade à recevoir des soins destinés à soulager sa souffrance. Ces droits sont certes encadrés par des conditions de mise en œuvre bien précises mais ils constituent indéniablement une avancée. C’est au malade de décider ; certes sous contrôle.
Les rapporteurs de cette loi ont eu pour objectif premier de renforcer le droit du patient en fin de vie mais, on l’a déjà dit, il s’agit d’une loi consensuelle et il ne s’agissait pas de franchir la frontière pour certains inconcevable de la dépénalisation de l’assistance au suicide.

« C’est au malade de décider ; certes sous contrôle. »


Il faut par ailleurs considérer que les textes en ce domaine très sensible ne peuvent tout prévoir et qu’en tout état de cause, même à supposer un texte parfait, seule l’application qui en sera faite est importante pour le malade. Dans l’exercice de notre profession d’avocat, obtenir une décision de justice favorable pour notre client est notre but mais nous savons bien que cela est de peu d’intérêt si la décision ne peut recevoir exécution.

Estelle Minatchy, juriste

C’est la même chose pour une loi. Attendons de voir si les droits renforcés des patients en fin de vie pourront s’appliquer sur le terrain, ensuite des décrets d’application et ensuite de la mise en œuvre du plan triennal pour le développement des soins palliatifs annoncé par le gouvernement qui prévoit notamment que seront déployées dès 2016 sur l’ensemble du territoire, trente nouvelles équipes mobiles de soins palliatifs.

E.M. : Il faut envisager cette question du point de vue de la personne dont la perspective de devoir vivre jusqu’au terme ultime de sa vie dans un environnement médicalisé est insupportable.

Les droits du patient en fin de vie sont en effet renforcés : il dispose désormais d’un droit de mettre fin à sa vie, mais sous certaines conditions. La Cour européenne des droits de l’homme reconnaît à l’individu le droit de décider de quelles manières sa vie doit prendre fin, à condition qu’il soit en mesure de forger librement sa volonté. La nouvelle loi, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, vient introduire dans le droit français le droit pour le patient de terminer sa vie dans la dignité.
Par ailleurs, la loi donne également une force contraignante aux directives anticipées, destinées à faire connaitre les souhaits du patient en fin de vie. Aujourd’hui, toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le jour où elle serait hors d’état d’exprimer sa volonté, directives révocables à tout moment [3].

La loi traite uniquement de la fin de vie, mais sera-t-elle applicable aux cas similaires à Vincent Lambert, ou faudra-t-il attendre une nouvelle législation ?

V.D. : Cette question a été précisément posée lors des débats parlementaires. Pour tenir compte des cas d’individus atteints d’une pathologie qui n’engage pas leur pronostic vital à court terme (condition imposée par la loi), un amendement a été proposé pour que la mise en place d’une sédation soit conditionnée à la « constatation d’une impasse thérapeutique ».

Jean Leonetti, rapporteur, a émis un avis défavorable : «  On a le droit depuis la loi de 2002, d’interrompre des traitements de survie à la demande du patient ou bien lorsque l’on considère qu’il s’agit d’une obstination déraisonnable dans une procédure collégiale, c’est-à-dire quand les traitements sont inutiles, disproportionnés ou quand ils n’ont d’autre but que le maintien artificiel de la vie. C’est sur ce fondement que le Conseil d’Etat a jugé légale la décision médicale de mettre fin aux traitements de Vincent Lambert. Une souffrance réfractaire au traitement est en soi une impasse thérapeutique ». Ainsi pour les rédacteurs de la loi, les cas similaires à celui de Vincent Lambert sont bien régis par la loi.

« Cette nouvelle loi vient renforcer la prohibition de l’obstination déraisonnable. »


E.M. : La nouvelle loi s’applique à des hypothèses bien déterminées de fin de vie ou d’obstination déraisonnable, sans pour autant préciser nettement cette dernière notion. A cet égard, le Conseil d’Etat dans sa décision du 14 juin 2014 a relevé qu’aux termes de la loi, le traitement n’ayant « d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie » peut caractériser une obstination déraisonnable. Il rappelle que l’alimentation et l’hydratation artificielles dont fait l’objet Vincent Lambert constituent des traitements au sens de la loi du 22 avril 2005. Ce qui est intéressant dans cette nouvelle loi c’est qu’elle vient renforcer la précédente loi Leonetti qui prohibait déjà l’obstination déraisonnable pour les patients en fin de vie.

Si Vincent Lambert est concerné par la loi, il ne l’est que sur le terrain de l’obstination déraisonnable. A priori, la sédation profonde ne peut lui être reconnue, car elle est réservée aux patients en fin de vie, dont le pronostic vital est engagé à court terme, et ne concerne pas les personnes dans la fleur de l’âge dont l’existence se trouve accidentellement brisée. La fin de vie au sens de la loi Claeys/ Leonetti demeure donc toujours liée à l’âge ou à la maladie.

La nouvelle loi fait montre de l’intention du législateur de garantir la lutte contre l’obstination déraisonnable. Cependant, elle ne comble pas tous les vides juridiques. Certaines questions restent en suspens : dans les faits, comment considérer et caractériser un traitement d’obstination déraisonnable ?

Propos recueillis par Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice

[1Futur article L1110-5-2 du CSP.

[2Article L1110-5-3 du Code de la santé publique.

[3Article L. 1111-11 du Code de la santé publique.

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