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La modification du délai de validité des autorisations d’urbanisme par le décret du 5 janvier 2016. Par Victor de Chanville, Avocat.
Parution : mercredi 10 février 2016
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Le décret n° 2016-6 du 5 janvier 2016 vient modifier la durée de validité des autorisations d’urbanisme pour la porter à cinq ans, voire six ans pour les autorisations en cours de validité à la date de sa publication. Le commentaire de ces évolutions m’amène à revenir sur les principes régissant la péremption des autorisations d’urbanisme et sur les conséquences d’une telle situation, pouvant donner lieu à une condamnation pénale.

Les réformes en matière de droit de l’urbanisme continuent d’intervenir à un rythme effréné.

Ainsi, le début de l’année 2016 est bien rempli, avec notamment la refonte du Code de l’urbanisme en application de l’ordonnance du 23 septembre 2015 (laquelle ne fait pas l’objet du présent commentaire) et la modification des délais de validité des demandes d’autorisations d’urbanisme par le décret n° 2016-6 du 5 janvier 2016.

Le commentaire de ces dispositions est l’occasion de revenir sur les principes régissant la validité des diverses autorisations d’urbanisme et leur caducité.

Pour rappel, le gouvernement était déjà intervenu au sujet des délais d’instruction par le décret n° 2014-1661 du 29 décembre 2014 prévoyant que, par dérogation aux dispositions figurant aux premier et troisième alinéas de l’article R. 424-17 et à l’article R. 424-18 du Code de l’urbanisme, le délai de validité des permis de construire, d’aménager ou de démolir et des décisions de non opposition à une déclaration intervenus au plus tard le 31 décembre 2015 était porté à trois ans.

Le décret du 5 janvier 2016 est allé plus loin.

1/ Le nouveau délai de validité de droit commun

La dérogation est aujourd’hui devenue la norme en regard de la nouvelle rédaction de l’article R 424-17 du Code de l’urbanisme aux termes de laquelle :
« Le permis de construire, d’aménager ou de démolir est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de trois ans à compter de la notification mentionnée à l’article R. 424-10 ou de la date à laquelle la décision tacite est intervenue.
(...)
Les dispositions du présent article sont applicables à la décision de non-opposition à une déclaration préalable lorsque cette déclaration porte sur une opération comportant des travaux
 ».

Ainsi, le nouveau délai de validité de droit commun des permis de construire, d’aménager ou de démolir mais aussi des décision de non-opposition à une déclaration préalable concernant des travaux s’élève désormais à 3 ans.

Ces dispositions sont applicables aux autorisations en cours de validité à la date de publication du décret.

2/ Les nouvelles possibilités de prorogation du délai de validité

Le décret du 5 janvier 2016 a, de surcroît, modifié l’article R 424-21 du Code de l’urbanisme, ce texte disposant désormais que :
« Le permis de construire, d’aménager ou de démolir ou la décision de non-opposition à une déclaration préalable peut être prorogé deux fois pour une durée d’un an, sur demande de son bénéficiaire si les prescriptions d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet n’ont pas évolué de façon défavorable à son égard.

Pour les ouvrages de production d’énergie utilisant une des sources d’énergies renouvelables définies à l’article L. 211-2 du Code de l’énergie, la demande de prorogation mentionnée au premier alinéa peut être présentée, tous les ans, dans la limite de dix ans à compter de la délivrance de l’autorisation, le cas échéant après prorogation de l’enquête publique en application de l’article R. 123-24 du code de l’environnement ».

2a/ Passons rapidement sur la modification du 2ème alinéa de l’article R 424-21 relatif aux « ouvrage de production d’énergies renouvelables »

Le décret a élargi le champ d’application des ouvrages concernés par la possibilité de dix prorogations d’un an, concernant à l’origine seulement les éoliennes, à l’ensemble des ouvrages visés à l’article L 211-2 du Code de l’énergie.

Sont aujourd’hui concernés les ouvrages utilisant les énergies éolienne, solaire, géothermique, aérothermique, hydrothermique, marine et hydraulique, ainsi que l’énergie issue de la biomasse, du gaz de décharge, du gaz de stations d’épuration d’eaux usées et du biogaz.

2b/ En ce qui concerne la prorogation de la validité des permis de construire, d’aménager ou de démolir ou des décisions de non-opposition à une déclaration préalable, le Code de l’urbanisme autorise maintenant deux prorogations d’une durée d’un an au lieu d’une seule.

La prorogation est toujours soumise à une condition : l’absence d’évolution défavorable des prescriptions d’urbanisme et des servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet.

Il ressort de la jurisprudence qu’une telle évolution défavorable peut être caractérisée notamment en cas de modification du règlement du POS ou du PLU, de remise en vigueur du règlement général d’urbanisme après annulation du document d’urbanisme ou encore de contrariété avec un plan de sauvegarde et de mise en valeur.

En revanche, l’aggravation d’un risque ou les dispositions projetées d’un document d’urbanisme en cours d’élaboration ne doivent pas être analysées comme une évolution défavorable de la règle d’urbanisme au sens de l’article R 424-21.

Pour mémoire, la demande de prorogation doit être adressée par pli recommandé ou déposée à la mairie contre récépissé au moins deux mois avant l’expiration du délai de validité, la prorogation étant acquise à défaut de réponse dans les deux mois et prenant effet au terme de la validité de la décision initiale (articles R 424-22 et R 424-24 du Code de l’urbanisme).

Ici encore, les dispositions nouvelles sont applicables aux autorisations en cours de validité à la date de publication du décret.

3/ La majoration supplémentaire applicable aux autorisations en cours de validité

En troisième lieu, le décret du 5 janvier 2016 prévoit que, concernant les autorisations ayant « fait l’objet avant la date de publication du présent décret d’une prorogation dans les conditions définies aux articles R.* 424-21 à R.* 424-23 du Code de l’urbanisme ou de la majoration prévue à l’article 2 du décret n° 2014-1661 du 29 décembre 2014 susvisé, le délai de validité résultant de cette prorogation ou de cette majoration est majoré d’un an ».

Autrement dit, les permis ou décisions de non opposition à déclaration préalable en cours de validité (accordés en 2013, 2014 et 2015) et ayant déjà fait l’objet :

Dès lors, si la durée de validité des autorisations d’urbanisme accordées à compter du mois de janvier 2016 est de 5 ans au maximum (3 ans + 1 an + 1 an),
celles accordées en 2013, 2014 et 2015 peuvent rester valides pendant 6 ans :
leur durée de validité de 2 ans à l’origine a été majorée d’un an par le décret du 29 décembre 2014, puis d’une autre année par le décret du 5 janvier 2016, cela avec la possibilité d’obtenir deux prorogations d’un an chacune.

Notons qu’une fois les travaux démarrés ils ne peuvent pas être interrompus pour un délai supérieur à une année, cette règle posée par l’article R 424-17 n’ayant (pour l’instant ?) pas encore été modifiée.

4/ Rappel des principes et conséquences de la péremption d’une autorisation

Soulignons qu’à défaut de commencement des travaux dans le délai légal (commençant à courir à partir de la notification de la décision par courrier recommandé ou de l’intervention d’une décision tacite) mais également d’interruption d’une durée supérieure à un an (même si le délai initial de validité de 3 ans n’est pas expiré), la décision doit être considérée comme périmée et, par suite, inexistante.

Or, les travaux mis en œuvre sur le fondement d’une décision atteinte de péremption sont considérés comme réalisés sans autorisation et constituent une infraction pénale pouvant donner lieu au prononcé, par le tribunal correctionnel, d’une condamnation à une amende mais aussi à la remise en état des lieux par la démolition du bâti jugé irrégulier.

4a/ En cet état, il sera d’abord rappelé qu’il appartient au pétitionnaire (la personne ayant sollicité l’autorisation d’urbanisme) d’établir la date de commencement des travaux.

La preuve peut en être rapportée par tout moyen, par exemple un compte rendu de chantier, des factures de matériaux et d’entreprises ou artisans, des attestations ou des témoignages (d’entrepreneurs, d’ouvriers, de voisins, de connaissances etc) et bien entendu, par un constat d’huissier.

Je ne peux d’ailleurs, comme souvent, que recommander de faire constater le commencement des travaux par un huissier lorsque les travaux sont entrepris peu avant l’expiration du délai de validité et qu’une difficulté future est envisageable compte tenu d’un conflit avec un voisin ou avec la Commune, de l’existence d’un contentieux ou d’infractions antérieurs, etc.

Si un tel constat d’huissier n’a pas été dressé et qu’une difficulté surgit par la suite, il est souhaitable de se procurer plusieurs éléments de preuve convergents, en donnant la priorité à ceux émanants d’intervenants à la construction concernée dont la force probante est supérieure aux attestations des connaissances ou de la famille, lesquelles ne sont toutefois pas à négliger et constituent des indices complémentaires intéressants.

4b/ D’autre part, il est notable que tous les travaux et actes ne sont pas suffisants à interrompre le délai de péremption : ils doivent être en lien direct avec l’objet de l’autorisation d’urbanisme, indispensables à sa mise en œuvre et d’une ampleur suffisante.

Sont en ce sens exclus par la jurisprudence :
- les travaux de faible importance (déblaiement ou préparation du terrain, terrassement sans fondations, défrichement, débroussaillement, etc),
- les travaux préparatoires (élargissement d’un chemin, décapage du terrain, etc),
- les travaux dépourvus de lien avec l’autorisation (relatifs par exemple à une précédente tranche d’un projet, autorisée par une décision distincte),
- parfois, les travaux analysés comme ayant pour seul objectif de faire échec à la péremption, manifestant ainsi en quelques sortes une intention frauduleuse (ce qui peut concerner les travaux entrepris quelques jours avant la péremption de la décision et interrompus peu après).

En revanche, la jurisprudence considère comme étant de nature à interrompre le délai de péremption les travaux :
- de confortation du sol du terrain d’assiette nécessitant l’utilisation d’engins lourds,
- de démolition d’une certaine importance et indissociables des travaux autorisés par le permis,
- de terrassement et de réalisation de fondations puis de dallages.

4c/ Notons que le délai de validité peut faire l’objet :

- d’une suspension, en particulier en cas de recours contre la décision d’urbanisme devant la juridiction administrative (article R 424-19 du Code de l’urbanisme) mais parfois (assez rarement tout de même) consécutivement à un événement de force majeure ayant empêché le commencement des travaux ; le délai recommence ensuite à courir en tenant compte du temps écoulé avant la suspension ;
- d’une interruption, en cas de commencement des travaux ou de reprise après qu’ils ont été arrêtés mais aussi lorsque l’arrêt des travaux résulte du fait de l’administration (par exemple : interruption prononcée irrégulièrement, retrait illégal du permis, intervention sur les réseaux publics faisant obstacle au commencement de l’exécution des travaux) ; dans ce cas, à la différence de la simple suspension, un nouveau délai recommence à courir lorsque la cause d’interruption a pris fin.

4d/ Pour terminer, dans le cas où des travaux sont entrepris sur le fondement d’une autorisation périmée ou, du moins, considérée comme telle par l’administration (observation étant faite que la caducité est automatique et n’implique pas une décision de l’administration), il sera d’abord dressé un procès verbal d’infraction par la police municipale, la gendarmerie ou la DDT (article L 480-1 du Code de l’urbanisme).

Ensuite, le maire, le tribunal correctionnel, ou le juge d’instruction prononceront l’interruption des travaux (article L 480-2 du Code de l’urbanisme).

Il est même possible pour un tiers de solliciter le prononcé d’une telle interruption devant le juge des référés du tribunal de grande instance (sur le fondement de l’existence d’un trouble manifestement illicite prévu par l’article 809 du Code de procédure civile).

L’interruption peut bien entendu être contestée, selon les cas devant le tribunal administratif, le tribunal correctionnel ou la cour d’appel. Elle prend fin, évidemment, si les poursuites pénales n’aboutissent pas.

Maître Victor de CHANVILLE Avocat au Barreau de Marseille www.dechanville-avocat.fr
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