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L’ubérisation de notre société vers une révolution fiscale ? Par Nathalie Aflalo, Avocat et Wilma Batonon, Fiscaliste.
Parution : mardi 9 février 2016
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L’économie collaborative ou l’ubérisation de la société, couvrent une réalité multiple, volonté de mieux dépenser, de consommer mieux et moins cher, mais également elle permet de se procurer un complément de revenus, d’augmenter son pouvoir d’achat.

Airbnb, Drivy, leboncoin, pour ne citer qu’eux sont les composantes de cette nouvelle économie qui prospère grâce à l’innovation numérique. Néanmoins et au-delà des raisons diverses qui animent les particuliers qui participent de ce système, les revenus issus de cette économie collaborative sont imposables.

Or, ces derniers sont peu déclarés et échapperaient donc à la fiscalisation.

Pour y remédier, certaines préconisations, dont la dernière en date, un rapport remis le 8 février 2016 par le député Pascal Terrasse au ministre Emmanuel Macron. Comment réguler au mieux ce mouvement et l’intégrer à notre économie classique ? Parmi les points évoqués, un qui nous concerne, la fiscalisation de ce flux économique.

Pas de nouveau statut en perspective, mais des questions auxquelles répondre qui permettront de définir et d’imposer lesdits revenus. Il s’agira de déterminer le caractère accessoire, professionnel ou non de l’activité constitutive de revenus, revenus habituels d’appoint. Est-ce notre résidence principale que nous allons louer à titre exceptionnel ou est-ce une résidence secondaire louée à titre habituel ?

Les réponses à l’ensemble de ces questions existent dans notre Code général des impôts en vigueur, et sont détaillées ci-après.

I- Une activité commerciale ou non exercée à titre habituelle

Tout contribuable exerçant une activité professionnelle dans un but lucratif en accomplissant de manière habituelle les opérations constitutives de cette activité, est imposé sur les revenus qu’il en tire. C’est donc le caractère habituel et constant ainsi que le but lucratif recherché dans l’exercice de l’activité qui fonde l’imposition.

La définition du caractère habituel d’une activité pose de grandes difficultés. En effet, elle a donné lieu à une jurisprudence abondante. Ni les textes de loi ni la jurisprudence ne définissent avec précision la notion « d’ activité exercée à titre habituelle ».

En règle générale, le caractère habituel d’une activité semble résulter de la répétition pendant plusieurs années des opérations qui la caractérisent ou alors de la brièveté des délais qui séparent certains achats de leur revente.

Toutefois, dans certains cas, la jurisprudence n’a pas retenu cette notion « d’habitude » alors même que des opérations ont été réalisées de manière fréquente. Dans un arrêt de la cour d’appel administrative de Paris (n°97-1311), les juges n’ont pas retenu le caractère habituel de l’exercice d’une activité professionnelle de loueur de bateau en retenant la seule convention qui avait été passée entre le propriétaire du bateau et la société de location alors même que la gestion locative a duré cinq ans et qu’elle s’est traduite au cours de cette période par une pluralité d’opérations de location.

En effet, selon le rapport sur l’économie collaborative de la commission des finances du Sénat du 17 septembre 2015 cette notion n’implique pas forcément « une répétition fréquente des actes de vente et peut couvrir des actes peu nombreux mais périodiques ». Il semblerait donc que le critère déterminant pour considérer qu’une activité est exercée de manière habituelle ne soit pas la durée pendant laquelle cette activité est exercée mais plutôt le caractère fréquent et récurrent de l’exercice de l’activité.

Ainsi, le caractère habituel d’une activité commerciale ne saurait être déduit du seul nombre d’opérations d’achat-revente. L’appréciation des critères d’exercice habituel d’une activité et du but lucratif résulte donc de l’examen au cas par cas des circonstances de fait dans lesquelles les opérations sont réalisées.

De ce fait, pour déterminer le caractère habituel d’une activité, l’administration fiscale et la jurisprudence utilisent des faisceaux d’indices en prenant en compte plusieurs critères :
– la fréquence des opérations
– les délais qui séparent chaque opération d’achat-revente
– la quantité d’articles vendus
– l’importance financière des opérations

La société actuelle doit faire face à une révolution de l’économie bouleversée par la démocratisation de l’Internet haut débit, des smartphones ou encore de la géolocalisation. En effet, on assiste au développement sans cesse croissant de nombreux modes alternatifs afin de contourner les systèmes classiques existant notamment, le développement des sites Internet proposant des transactions entre particuliers.

Aujourd’hui, chacun a la possibilité de créer et de devenir le chef de sa propre mini entreprise. C’est l’essor de la consommation collaborative. Ainsi, chacun peut vendre des biens (des objets d’occasion sur LeBonCoin, eBay), un service (un trajet de covoiturage sur Blablacar), louer un appartement ou une chambre (via Airbnb), louer sa voiture (via Drivy) ou encore se déplacer un peu partout en France à prix abordable (via les applications comme Uber ou Heetch qui détrônent les taxis traditionnels). On parle de l’ubérisation de la société.

Lorsque ces activités sont exercées de manière fréquente, les revenus perçus sont en principe imposables au titre de l’impôt sur le revenu.

A titre d’information complémentaire, et s’agissant de vente en ligne de biens d’occasion, via e-bay, leboncoin, videdressing … il convient de savoir que le Code pénal impose à tous les vendeurs professionnels proposant à la vente des objets mobiliers usagés ou acquis auprès des particuliers de tenir un livre de police, article 327-1 du Code pénal.

Par suite, tout particulier soumis à cette obligation doit effectuer une déclaration préalable à la préfecture ou la sous-préfecture dont dépend son établissement principal, article R 321-1 du Code pénal.
Un manquement à ces obligations est susceptible d’entraîner une mise en cause pénale pour suspicion d’exercice d’un travail dissimulé par dissimulation d’activité économique, délit prévu par les articles L 143-3, L 320, L 324-9 à 11 et L 326-3 du Code du travail et réprimé par l’article L 362-4 et 5 du même Code.

Fiscalement en cas de contrôle, l’activité peut être qualifiée d’activité occulte au sens des articles L169 et L 176 du Livre des Procédures Fiscales, impliquant une majoration des droits supplémentaires de 80%.

II- Comment déclarer les revenus tirés de ces nouvelles activités ?

Tout comme les professionnels, le critère d’imposition pour les particuliers au titre de l’exercice de leur activité de vente de services, de biens, est le caractère habituel et récurrent de l’activité.

Ainsi, la loi de finances pour 2016, soumet désormais aux sites de location ou de vente entre particuliers l’obligation d’adresser à leurs utilisateurs, au mois de janvier de chaque année, un récapitulatif des transactions qu’ils ont réalisées par leur intermédiaire.

Cette mesure vise simplement à permettre aux personnes qui se livrent à ces nouvelles formes d’activité de déclarer plus facilement les revenus qu’ils en tirent auprès des services fiscaux. Toutefois, ces sites n’ont pas l’obligation de communiquer ces informations à l’administration fiscale.

Cependant, dans le cas où aucune déclaration spontanée de revenu n’est effectuée par le contribuable, les services fiscaux n’ont aucun moyen d’avoir connaissance de ces revenus parallèles. En effet, selon le rapport de la commission des finances du Sénat sur l’économie collaborative, « les revenus de la consommation collaborative, pourtant imposables au titre de l’impôt sur le revenu, ne sont que très marginalement déclarés ». L’administration fiscale estime à plusieurs millions d’euro le montant des revenus tirés de ces nouvelles formes d’activités qui échappent chaque année à toute imposition.

III- Quelles propositions ?

Afin de faire face au développement de ces nouvelles formes d’activité et pour pallier le manque à gagner pour l’administration fiscale, la commission des finances propose dans son rapport sur l’économie collaborative de septembre 2015, un certain nombre de mesures.

En règle générale, ces nouvelles formes d’activité proposant des transactions entre particuliers s’opèrent via des sites Internet ou des applications dédiées à cet effet. Puisqu’en principe les transactions se font sur Internet, elles sont de plus en plus numérisées.

Ainsi, la commission des finances propose une déclaration des revenus à la source transmise directement par les plateformes. De ce fait, les services fiscaux pourront directement prélever l’impôt dû sur les revenus de la consommation collaborative. Cette mesure vise à permettre au fisc de contrôler un temps soit peu ces activités et pouvoir éviter que tous les revenus tirés de ces formes d’activité n’échappent à l’impôt.

Toutefois, tous les sites proposant des transactions et des mises en relation entre particuliers ne proposent pas de paiement en ligne. C’est le cas du site LeBonCoin. Malgré la proposition de la commission des finances, les utilisateurs de ces sites internet pourraient continuer d’échapper à toute imposition sur les revenus qu’ils pourraient tirer de leur activité.

L’objectif de ce rapport étant de rendre plus efficient le recouvrement de l’impôt, il convient également de tenir compte des charges supportées par les utilisateurs de ces nouveaux modes de vie au même titre qu’une entreprise classique. Ainsi, le rapport prévoit une franchise de 5000 euros en dessous de laquelle le professionnel particulier entrepreneur de la consommation collaborative serait exempté de toute imposition.

Le rapport Terrasse, quant à lui, contient 19 propositions dont un tiers concerne la protection sociale des « travailleurs des plateformes » et leurs relations avec les employeurs.

Parmi les propositions fiscales, il est préconisé d’imposer aux plateformes la transmission à l’administration fiscale des revenus dégagés par leurs utilisateurs. Désormais, si la mesure était acceptée, il ne serait plus possible d’échapper à l’imposition, une sorte de transmission automatique des données à l’administration fiscale, à l’instar de l’échange automatique bientôt mis en œuvre entre les Etats à des fins fiscales.

Ainsi, cette mesure aurait pour avantage de d’appréhender cette masse imposable tout en respectant l’équité avec les revenus provenant de l’économie traditionnelle.

A titre d’exemple, la ville de Paris a obtenu d’Airbnb la collecte de la taxe de séjour (la taxe de séjour est payé par le vacancier au logeur, hôtelier ou propriétaire qui la reverse à la commune). Ainsi et à partir du 1er octobre 2015, Airbnb a procédé à cette collecte.

Encore une fois, la volonté de restaurer l’équité entre les acteurs de cette nouvelle économie collaborative avec ceux de l’économie traditionnelle, en l’espèce ceux du secteur hôtelier, semble être la voie, réconcilier l’ensemble des acteurs de notre économie. La révolution fiscale n’est pas pour demain.

Nathalie Aflalo, Avocat, Barreau de Paris 126, Boulevard Haussmann, 75008 Paris, www.aflalo-avocat.fr [->avocat.aflalo@yahoo.fr]
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