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Accès au droit : professionnels, il faut vulgariser !
Parution : lundi 15 février 2016
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Simplifier le droit pour en faciliter l’accès : un objectif qui n’est pas nouveau, mais qui est difficile à initier. C’est pour y parvenir que l’Association pour la vulgarisation de l’information juridique et l’éducation au droit (AVIJED) s’est associée à l’organisation québécoise Educaloi. Lors de leur colloque « Droit clair », le 4 février 2016 à La Sorbonne, 32 intervenants ont expliqué à près de 200 participants pourquoi la vulgarisation du droit était nécessaire et comment y arriver. Il s’agit pour les professionnels, de toute la francophonie, d’adopter de nouvelles habitudes et un nouveau savoir faire acquis auprès d’autres experts.

Le Village de la Justice en était partenaire et décrypte pour vous les enjeux.

Simplifier le droit, tout un art.

Un art, voire une science. Car simplifier le droit, le rendre accessible à un public novice, demande une totale révision des habitudes et des pratiques actuelles des professionnels du droit. Il faut remettre le justiciable, quel qu’il soit, au centre de la rédaction des documents juridiques, des réglementation ou des décisions de justice.

Les experts sont unanimes : le premier point indispensable est de prendre en compte le destinataire. Avocats, notaires ou fonctionnaires de justice vont devoir changer leur façon de penser avant de changer leur façon de faire. C’est en tout cas ce qu’implique le « design de l’information » enseigné par Eric Kavanagh, professeur à l’Université de Laval. Une matière complexe, qui demande de prendre en compte de très nombreux éléments pour mieux réfléchir à la meilleure façon de transmettre l’information juridique. Le professionnel doit se mettre à la place de son destinataire, pour savoir ce dont il a besoin. Il doit aussi prendre en compte son environnement, ses capacités de compréhension, ses émotions, et connaître également les mécanismes de l’attention ou de mémorisation. Des méthodes étrangères aux juristes, mais qu’il faut acquérir, d’après le professeur québécois, pour casser les codes actuels : « Il faudrait concevoir une formation d’introduction au design de l’information juridique, pour établir des bases de connaissances et de bonnes pratiques ».

"Comment concevoir des lois, des contrats et des contenus juridiques clairs", premier thème du colloque "Droit clair"

Quant à la rédaction, il y a aussi beaucoup de mauvaises habitudes à bannir. Il faut écrire court, des phrases simples, avec une idée par phrase. Ne pas utiliser des syntaxes compliquées, des abréviations incompréhensibles ou des expressions archaïques (adieu les locutions latines !). « Le but n’est pas de faire de la communication jolie, mais de la communication efficace, a ainsi expliqué Olivier Beaujean, juriste et formateur chez le site belge Droits quotidiens [1]. Et un texte juridique est efficace si le lecteur trouve rapidement l’information, la comprend correctement et mémorise le message ». Les effets de style ne font que brouiller le message, et le rendre incompréhensible pour le justiciable. Hugues Bouthinon-Dumas, professeur de droit à l’ESSEC, insiste ainsi sur le fait qu’« il ne faut pas hésiter à répéter. C’est souvent pour éviter une répétition qu’on va employer un langage compliqué. L’approximation est tolérable, dans un contexte, pour une rédaction claire et efficace ».

Et le texte écrit n’est pas la seule alternative : schéma, image, tableau, … quel format sera le plus pertinent pour le destinataire ? D’autres outils sont ainsi à la disposition des juristes pour s’assurer que le message (juridique) est bien passé. Il faut donc, en clair, faire preuve de pédagogie.

La vulgarisation liée à l’enjeu de l’accès au droit.

Le but n’est pas seulement de bousculer les habitudes : simplifier le droit est la première étape pour garantir un véritable accès au droit aux justiciables. « Nous devons faire reconnaître le droit fondamental du justiciable de comprendre, ou au moins de lui donner les moyens de comprendre les règles qui entourent son quotidien, de faire valoir ses droits, ou de respecter ceux de son voisin » a insisté Sabra Ghayour, présidente de l’AVIJED. Et ce rôle incombe en premier lieu aux professionnels du droit, « les détenteurs du savoir juridique, a confirmé Nathalie Roy, directrice générale d’Educaloi. Nous avons la responsabilité d’agir, d’accompagner le citoyen et de lui tracer un ou plusieurs chemins pour qu’il puisse sortir du labyrinthe ».

Près de 200 participants ont assisté au colloque.

Un travail qui ne se fera qu’en profitant des compétences d’autres métiers et d’autres experts. Le but de « Droit clair » est de s’ouvrir à d’autres compétences, d’autres pratiques, d’autres pays. Une initiative soutenue par le ministère de la Justice. « L’objectif est la mise en place d’un réseau de communication clair et efficace du droit, et de fédérer aussi bien les professions du droit que celles qui travaillent auprès du public, souligne Karine Fofou-Crèche, chargée de coopération au ministère de la Justice. Il faut ouvrir la justice aux personnes les plus vulnérables, puisque si la justice est comprise, elle est de fait mieux suivie et les décisions sont mieux assimilées par les justiciables ».

Certains professionnels adhèrent déjà à cette vision. Salima Camara Maillefer, traductrice juridique, explique ainsi les enjeux que représente la simplification du droit pour sa profession : « Mon défi en tant que traducteur est d’adapter ma terminologie juridique. Est-ce que je dois rester cantonnée à l’archaïsme du langage juridique ? Ou est-ce que je dois plus clairement expliquer le texte ? La question de la cible est aussi importante pour moi, car tout dépend de mes clients : ma traduction est-elle pour un juriste, ou est-elle destinée à de l’information juridique ? »

Problématique qui intéresse également nos voisins, comme Laureline Nootens, juriste et chargé de projet belge chez eWBS : « Le citoyen ne devrait pas avoir à lire les 40 lois et décrets d’exécution, mais pouvoir obtenir l’information dont il a besoin, quelle démarche il doit effectuer et comment la réaliser. Et c’est pareil pour l’agent administratif qui traite sa demande : il doit avoir une vue claire sur ce qu’il peut proposer comme service aux usagers, sans devoir lui-même maitriser tous les aspects juridiques ». Reste ensuite à trouver les bons modèles, adaptés à chaque système. « Le système belge fait que certaines choses qui marchent dans d’autres pays comme la Suède ou le Canada, ne pourraient pas fonctionner en Belgique. Nous devons donc trouver notre propre approche, des outils, des méthodes ».

Un long chemin à parcourir pour les juristes français...

Malgré toutes ces bonnes résolutions, les professionnels du droit français ont encore un long chemin à parcourir. Si le ministère de la Justice a débuté les premiers changements, avec la réforme Justice du XXIème siècle ou la mise en place du site service-public.fr, les juristes ont du retard par rapport à d’autres pays francophones. « Il y a un décalage entre la maturité de cette réflexion dans des pays comme la Belgique ou le Québec et ce qui se passe en France, constate Hugues Bouthinon-Dumas. Un effort a été fait du côté des pouvoirs publics, tout au moins il y a une prise de conscience sur la piètre qualité de la loi et de la réglementation ou sur le caractère relativement insatisfaisant du processus de codification à droit constant qui a été engagé. En revanche, je ne sens pas de prise de conscience générale au sein de la population des professionnels du droit pour s’engager résolument dans la voie de la simplification du langage juridique ».

Pourquoi une telle frilosité ? Un désintérêt ? Une méconnaissance du problème ? Selon le professeur de droit, « c’est dû, j’imagine, à des intérêts professionnels. Je pense que beaucoup de professionnels du droit voient la simplification du langage juridique comme une menace, notamment les avocats, mais aussi les notaires, même s’ils sont en principe un peu plus protégés dans leur domaine d’activité ».

Des initiatives d’accès aux professionnels existent déjà, notamment avec les consultations gratuites dispensées par des avocats, ou des notaires avec le mouvement « Conseil du coin ». Mais il faut également donner accès à la connaissance, afin que chaque citoyen puisse enfin comprendre les lois qu’il n’est censé ignorer.

Clarisse Andry Rédaction du Village de la justice