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Sortir du piège de la défiscalisation : vraies et fausses solutions. Par Jacques Gobert, Avocat.
Parution : jeudi 25 février 2016
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Beaucoup s’accordent à penser que l’immobilier français vit sous la perfusion de la défiscalisation. Les derniers avatars des lois de défiscalisation n’échappent pas à la règle : Duflot, Pinel, CensI, Bouvard…

Perfusion ayant un effet inflationniste sur les prix de l’immobilier neuf locatif d’habitation, les résidences gérées les résidences de tourisme… Dans ce type d’investissement, les conséquences, pour l’acquéreur emprunteur, peuvent être encore plus dramatiques.

On s’attachera ici, à aborder uniquement le risque de l’accident pouvant affecter l’exécution des contrats de promotion, de construction, de maîtrise d’œuvre d’entreprise.

Prenons l’exemple d’un acquéreur à crédit d’un appartement destiné à l’habitation vendu « sur plans. »

Depuis assez longtemps, déjà, l’acquéreur dans l’immobilier neuf est protégé par la législation sur les ventes en l’état futur d’achèvement (VEFA) et plus récemment, par la législation sur les ventes d’immeubles à rénover (VIR).

Au sens de l’article préliminaire du Code de la consommation, l’acquéreur emprunteur doit être considéré comme un consommateur, dès lors que l’acquisition se fait par une personne physique.

L’acquisition par une personne morale (SCI, SARL de famille) est considérée le plus souvent par les tribunaux, comme n’étant pas couverte par le Code de la consommation. Mais ce point de vue est contesté.

L’acquéreur en VEFA est plutôt bien protégé par la législation française, puisqu’on sait que le déblocage final du prix ne peut intervenir qu’au moment de la livraison du bien, et que le paiement du prix, et donc le déblocage du prêt, se fait suivant des étapes successives prévues par la loi.

Toutefois, les acquéreurs d’immobilier découvrent, après coup, que les promesses locatives qui étaient avancées lors de la commercialisation de leur bien s’avèrent irréalistes : le loyer ambitionné s’avère très inférieur à la réalité, la rentabilité affichée est illusoire, les charges de copropriété excessives, le marché locatif, en réalité, absent…

Ces consommateurs (à condition qu’ils jouissent bien de cette qualité, ce qui est très souvent contesté par les banques) se trouvent acculés bien souvent à faire face à une impasse de trésorerie dramatique les mettant, eux et leur famille dans de grandes difficultés.

Les pouvoirs publics, dans certains cas, se sont récemment émus de cette situation, et notamment, le secrétariat d’état au tourisme, s’agissant du grave problème des résidences gérées… Mais aucune mesure d’envergure n’a été prise pour remédier aux dérives de cette économie dynamisée par la défiscalisation, et durablement dynamitée par les appétits des acteurs de la filière.

Les tribunaux parviennent à corriger dans certains cas les abus les plus criants.

Pour tenter de sortir de ces impasses, certains tribunaux ont été sollicités sur le fondement de l’article 312-19 du Code de la consommation. A première vue, ce texte protecteur du consommateur, vient compléter utilement dispositions issues des législations sur la VEFA et la VIR.

Certains voient même, dans cette disposition, une sorte de panacée permettant aux investisseurs malheureux, de trouver, en invoquant ce texte, le moyen d’échapper au paiement de leur crédit jusqu’à la fin du litige qu’ils ont noué.

Tel est loin d’être le cas. C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation [1].

En l’espèce, un acquéreur-emprunteur n’ayant pas été livré de son bien, par une société civile de construction-vente, d’un immeuble en l’état futur d’achèvement, a assigné son vendeur et son organisme de financement, la BNP, en suspension de l’exécution de son contrat de prêt. Il exposait, notamment, qu’il ne pouvait louer l’appartement dont les revenus étaient destinés à financer les échéances du prêt. Qu’il se trouvait dans une situation financière très difficile.

La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 6 juin 2013, a rejeté la demande de suspension du contrat de prêt et a condamné l’emprunteur à des dommages et intérêts.

La Cour de cassation a, par un arrêt du 18 décembre 2014, cassé cette décision. Elle estime que la cour d’appel ne pouvait rejeter la demande de l’emprunteur car le « …seul fait d’avoir à rembourser les échéances du contrat de prêt ne caractérise pas un accident affectant son exécution … et qu’il ne fournissait aucun élément d’ordre économique, relativement à sa situation de nature à fonder la suspension du contrat de prêt ».

La Cour de cassation a en revanche considéré que l’acquéreur était en droit de bénéficier de l’art 312-19 du Code de la consommation, et donc de la suspension du prêt jusqu’à la solution du litige, dès lors qu’il prouvait l’existence d’une contestation ou d’un accident affectant l’exécution de son contrat de construction.

Selon la Cour de cassation, en effet, l’accident ne se conçoit, par exemple, qu’en cas de litige qui affecte la construction en raison, par exemple, d’une erreur d’implantation, d’un défaut de construction majeur ou d’un défaut de livraison du bien, et en l’espèce, d’un défaut de livraison du bien…

En d‘autres termes, en aucun cas l’article 312-19 du Code de la consommation n’est susceptible de venir au secours de l’investisseur en défiscalisation, victime d’une opération économique désastreuse, qui se limite, par exemple, à invoquer l’absence de marché locatif, le prix excessif de l’immobilier, la non obtention de l’avantage fiscal promis, le surfinancement bancaire, le défaut de rentabilité, l’irrespect des dispositions de la loi Scrivener, etc.

Affirmer le contraire serait tromper une nouvelle fois le consommateur en lui faisant naître un espoir illusoire, alors que de vraies solutions existent…

Me PION - Me JERVOLINO - Me BAYLOT - Me MORABITO Cabinet GOBERT ET ASSOCIES Avocats Associés www.gobert-associes.fr Tel : 04 91 54 73 51

[1Cour de cassation chambre civile 1 Audience publique du jeudi 18 décembre 2014 N° de pourvoi : 13-24385 Publié au bulletin

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