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Expertise CHSCT et délai de contestation de l’employeur. Par Gilles Courtois, Juriste.
Parution : lundi 29 février 2016
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Selon un arrêt rendu le 17 février 2016 par la Cour de Cassation, l’action de l’employeur en contestation de l’expertise décidée par le CHSCT n’est soumise, en l’absence de texte spécifique, qu’au délai de prescription de droit commun de l’article 2224 du Code civil.

La question du recours à l’expertise par le CHSCT connaît une actualité jurisprudentielle particulièrement importante.
C’est ainsi que le Conseil Constitutionnel, sur QPC, a le 27 novembre 2015, déclaré inconstitutionnel l’article 1er de l’article L 4614-13 du Code du travail qui mettait les frais de l’expert mandaté par le CHSCT à la charge de l’employeur.

Dans l’arrêt de la Cour de Cassation, est posée la question du délai laissé à l’employeur pour agir en contestation du bien fondé d’une expertise CHSCT.

Un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail décide, en décembre 2011, de recourir à une expertise pour risque grave et désigne, par suite, un expert. A la suite d’une réunion extraordinaire tenue un mois plus tard, le CHSCT accepte, tout en maintenant sa demande d’expertise, de différer sa mise en œuvre dans l’attente de l’issue d’un audit diligenté par l’employeur.
Deux mois plus tard, les conclusions de l’audit indiquent qu’aucun risque avéré n’a été identifié. Malgré cela, les membres élus du CHSCT votent à l’unanimité leur souhait de lancer l’expertise pour risque grave. En juin 2012, l’employeur va procéder à la saisine du TGI afin de contester la nécessité de l’expertise et de voir annuler la décision du CHSCT d’y recourir.

La cour d’appel de Lyon, par arrêt en date du 13 décembre 2013, va débouter l’employeur de sa demande et déclarer irrecevable son action en contestation de l’expertise décidée par le CHSCT.
Suivant un raisonnement déductif, la cour d’appel, tout en soulignant que la contestation d’un employeur sur la nécessité d’une expertise ordonnée par le CHSCT n’est pas enfermée dans un délai défini, va rappeler, d’une part, que l’article R. 4614-19 du Code du travail précise que le président du TGI est appelé à statuer en urgence sur les contestations de l’employeur relatives à la nécessité de l’expertise et, d’autre part, que l’article R. 4614-20 du Code du travail prévoit que le président statue en la forme des référés.

Prenant appui sur ces deux articles, les juges du fond en déduisent que la contestation élevée par un employeur portant sur la délibération du CHSCT de recourir à une mesure d’expertise doit être réalisée à bref délai.

L’employeur va alors se pourvoir en cassation.

L’employeur, à l’appui de son pourvoi, va arguer de 3 points :

1 : L’action de l’employeur en contestation de la nécessité d’une expertise ordonnée par le CHSCT n’est enfermée dans aucun délai particulier ;

2 : Les actions personnelles et mobilières se prescrivant par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Dès lors, en considérant que l’action de l’employeur en contestation de la nécessité d’une expertise ordonnée par le CHSCT, qui est de nature personnelle, devait être engagée à bref délai, la cour d’appel a violé les articles L. 4614-13 du Code du travail et 2224 du Code civil.

3 : En considérant que l’action de l’employeur en contestation de la nécessité d’une expertise ordonnée par le CHSCT devait être introduite à bref délai, la cour d’appel, qui a apporté au droit d’accès au juge une restriction qui n’est prévue par aucun texte et est imprécise, a violé l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentale. La question du recours à l’expertise par le CHSCT connaît une actualité jurisprudentielle particulièrement importante.

La Cour de cassation va casser l’arrêt de la cour d’appel en affirmant « que l’action de l’employeur en contestation de l’expertise décidée par le CHSCT n’est soumise, en l’absence de texte spécifique, qu’au délai de prescription de droit commun de l’article 2224 du Code civil ». Il faut donc en déduire que l’employeur dispose d’un délai de cinq ans pour agir en contestation d’une expertisé décidée par le CHSCT.

Une telle solution ne doit pas tromper. Par cet arrêt, la Cour de cassation appelle expressément le législateur à se saisir de la question. L’appel semble avoir été entendu puisque l’avant-projet de loi « El Khomri » lève quelques zones d’ombre.

Il prévoit que lorsque le juge judiciaire serait saisi d’une contestation portant sur la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, l’étendue ou le délai de l’expertise, il devrait statuer en premier et dernier ressort dans les 10 jours suivant sa saisine. Par ailleurs, la saisine de l’employeur aurait pour effet de suspendre l’exécution de la décision du CHSCT jusqu’à l’expiration du délai de pourvoi en cassation. Cependant, ce projet de loi laisse toujours en suspens la question du délai dont dispose l’employeur pour contester une expertise décidée par le CHSCT.

En l’état actuel, l’employeur dispose d’un délai de cinq ans pour agir en contestation d’une expertise décidée par le CHSCT. Au regard de l’urgence de certaines expertises, notamment en matière de santé ou de risques graves, un tel délai pour agir est pour le moins inadapté.
Des améliorations sont à souhaiter.

Gilles Courtois Juriste droit social