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Eclairage sur les différentes fonctions du référé. Par Baptiste Robelin, Avocat.
Parution : lundi 29 février 2016
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Derrière leur apparente diversité, les procédures de référé remplissent pour l’essentiel trois fonctions : ordonner des mesures conservatoires, des mesures préparatoires et des mesures d’anticipation d’un procès au fond.
Cette vue synthétique des fonctions du référé permet de mieux comprendre l’utilité de cette procédure originale, qui occupe une place de premier plan en procédure civile en raison de sa célérité et de son efficacité.

Le référé est un dispositif judiciaire permettant un examen rapide, voire immédiat, du contentieux.
La procédure est orale, et la décision est le plus souvent rendue à juge unique par le président de la juridiction saisie.

Les référés répondent généralement à trois fonctions :

Ces trois fonctions se retrouvent dans l’ensemble des hypothèses prévues par les articles 808 et 809 du Code de procédure civile (et par les textes identiques s’agissant de juridictions autres que le tribunal de grande instance [1] ) ainsi que pour l’essentiel des référés spéciaux prévus par la loi.

1. Les référés prévus par l’article 808 du Code de procédure civile

Selon ce texte :
« Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ».

L’article prévoit donc deux conditions alternatives (absence de contestation sérieuse ou existence d’un différend) et une condition cumulative, l’urgence.

a) L’urgence

L’urgence est caractérisée chaque fois « qu’un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur » [2].

C’est un standard juridique, relevant de l’appréciation souveraine du juge du fond [3]. Il a par exemple été jugé que relevait de l’urgence :

-  les mesures visant à faire cesser les désordres affectant le gros-oeuvre d’un immeuble, susceptibles de blesser les passants [4] ;

-  la demande de désignation d’un administrateur pour une société dont le fonctionnement était paralysé en raison de la mésentente des associés [5] ;

-  ou encore, la demande d’une entreprise n’ayant pas reçu de livraisons suffisantes d’un fournisseur, afin d’être autorisée à s’approvisionner auprès d’autres partenaires [6].

Les conditions de l’urgence sont appréciées par le juge à la date où il rend sa décision, que ce soit en première instance ou en appel [7].

b) L’absence de contestation sérieuse

La contestation sérieuse s’apprécie selon l’évidence des droits revendiqués par chacune des parties [8]. A ce titre, on a coutume de dire que le juge des référés est le juge de l’évidence.
Une contestation sérieuse survient lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur suscite un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite.

Il y aura ainsi contestation sérieuse chaque fois que la décision nécessite pour le juge d’avoir à interpréter les termes d’un contrat, à trancher la question de la propriété d’un bien [9], ou à interpréter l’intention des parties [10].

La contestation doit toutefois être « sérieuse ». Le juge des référés est donc tenu de passer outre une contestation superficielle ou dilatoire [11].

À titre d’illustration, ont été jugées comme ne soulevant aucune contestation sérieuse : la remise des clés d’un appartement dont le prix a été payé [12], l’expulsion du preneur en application d’une clause résolutoire prévue au bail [13] ou l’allocation d’une provision dans le cas où l’obligation avait fait l’objet d’une reconnaissance de dette [14].

A noter que le juge des référés ne peut tirer l’existence d’une contestation sérieuse s’agissant de l’interprétation de la loi qu’il lui appartient d’appliquer dans tous les cas, sauf à commettre un déni de justice [15].

A noter également que le juge des référés ne tranche pas une contestation sérieuse lorsqu’il statue sur sa compétence [16] ou lorsqu’il se prononce sur la fin de non-recevoir tirée d’un prétendu défaut de qualité à agir en référé [17].

c) L’existence d’un différend

En cas d’urgence, et quand bien même une contestation sérieuse serait élevée par les parties, le juge des référés dispose du pouvoir d’ordonner des mesures, dès lors qu’elles sont justifiées par l’existence du différend opposant les parties.

Sous cette hypothèse, le juge va pouvoir ordonner des mesures conservatoires et d’attente, avant qu’il ne soit statué sur le fond du litige. La pratique révèle une assez grande variété des mesures ordonnées comme étant justifiées par un différend.

Il peut s’agir de la désignation d’administrateurs judiciaires d’une personne morale [18], de mise sous séquestre d’un bien ou d’actions [19], de la suspension de travaux de construction d’un immeuble [20], ou encore, de l’octroi d’un droit de visite d’un enfant pour un parent [21].

2. Les référés prévus par l’article 809 du Code de procédure civile

Ce texte comporte deux alinéas distincts :
« Le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».

Ici encore le juge des référés détient des pouvoirs face à deux situations alternatives, selon qu’il existe ou non une « contestation sérieuse » : il peut en ce cas prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent « soit pour prévenir un dommage imminent », soit pour « faire cesser un trouble manifestement illicite ».

A contrario, si l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut allouer une provision au créancier ou ordonner l’exécution d’une obligation de faire.

a) Le dommage imminent

Le juge des référés peut intervenir s’il se trouve saisi par le demandeur d’un risque imminent de dommage, c’est-à-dire, un « dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer » [22].

La mission du juge des référés consiste alors à empêcher qu’une situation irréversible ne se crée, évitant ainsi l’irréparable. L’urgence est donc sous-jacente au dommage imminent, de même que l’illicéité.

Par exemple, le juge des référés sera compétent pour ordonner des travaux en urgence, pour éviter l’effondrement d’un immeuble, constituant un péril imminent [23].

Inversement, le juge des référés pourra sur ce fondement ordonner la suspension de travaux de construction d’un édifice, jugeant que la perte d’ensoleillement pour les immeubles voisins constituait un dommage imminent qu’il y avait lieu de prévenir en référé [24].

Que ce soit en première instance ou en appel, le juge est tenu de se placer, pour ordonner ou refuser des mesures conservatoires ou de remise en état, à la date à laquelle il prononce sa décision [25].

b) Le trouble manifestement illicite

Le trouble manifestement illicite peut se définir comme « toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit » [26].

Le trouble manifestement illicite procède donc de la méconnaissance d’une norme obligatoire.

Constituent par exemple un trouble manifestement illicite une discrimination fondée sur l’âge d’un salarié [27], ou encore, le refus d’un associé de voter une modification de l’objet statutaire de la société l’empêchant de fonctionner conformément à son objet réel [28].

Le cas le plus fréquent du recours au juge des référés sur ce fondement, est celui de l’expulsion d’un immeuble, d’occupants sans droit ni titre [29].

c) Les mesures qui peuvent être ordonnées

Les mesures qui peuvent être prises sont de deux ordres selon ce texte : conservatoires, et de « remise en état ».

À titre d’illustration, les mesures conservatoires ou de remise en état peuvent être ordonnées afin de prévenir des actes de concurrence déloyale [30], de suspendre les effets d’un préavis de grève [31], ou encore d’interdire des opérations commerciales entreprises en violation de la loi [32].

Parmi les mesures de remise en état, on peut mentionner le retrait d’une affiche de film [33], l’obligation imposée à l’éditeur d’une revue d’occulter des visages photographiés clandestinement [34], l’arrêt des émissions d’une radio non autorisée [35] ou des mesures propres à faire cesser la diffusion de propos diffamatoires sur Internet [36].

On notera qu’il a même été admis sur ce fondement que le juge pouvait ordonner le paiement d’une somme provisionnelle, en dépit de l’existence d’une contestation sérieuse, s’il s’agissait de faire cesser un trouble manifestement illicite (en l’espèce, le non-paiement de salaires) [37].

d) Provision dans les cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable

Dans son second alinéa, l’article 809 du Code de procédure civile énonce que, si l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président peut accorder une provision au créancier, cette allocation ne devant pas être considérée comme préjudiciant au fond [38].

L’article 809 du Code de procédure civile ne prévoit pas l’urgence, cette condition ayant été expressément écartée par la Cour de cassation [39] .

Ici encore, pour accorder une provision, le juge des référés ne peut trancher une contestation sérieuse sur l’interprétation des actes ou des pièces.

On retrouve le plus souvent cette procédure en matière contractuelle, lorsqu’il s’agit d’obtenir le paiement d’une somme d’argent, ou l’exécution d’une obligation de faire (délivrer, céder, autoriser, donner…).

On retrouve également de nombreuses hypothèses en matière de responsabilité civile. Ainsi, si le juge des référés ne peut condamner une partie à l’allocation de dommages-intérêts, puisque ce serait préjudicier au principal [40], il peut en revanche allouer une provision à la victime d’un accident, ou d’une faute délictuelle, et ce, même s’il s’agit d’une faute pénale, dès lors que la culpabilité de l’auteur n’est pas sérieusement contestable, et que la décision ordonnée en référé est par nature, provisoire [41].

3. Principaux référés prévus par la loi

A côté des cas de référés généraux fondés sur les articles 808 et 809 du Code de procédure civile, il existe une kyrielle de référés spéciaux prévus par différents textes de loi, dans pratiquement tous les domaines du droit.

Il n’est pas question ici d’en dresser une liste exhaustive. Toutefois, si l’on s’attarde sur les cas les plus connus, on retrouve rapidement derrière l’apparente diversité des textes, les mêmes fonctions générales : ordonner des mesures provisoires, conservatoires ou d’anticipation.

Il en est ainsi par exemple de l’article 145 du Code de procédure civile qui permet à tout intéressé, « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige » de demander sur requête ou en référé « les mesures d’instruction légalement admissibles  ».

Sur ce fondement, au titre duquel l’urgence n’est pas requise, sont généralement ordonnées toutes les mesures en vue de la collecte ou de l’obtention des preuves qui permettront au demandeur d’initier le cas échéant un procès au fond.

S’agissant des cas où le référé a pour fonction de faire cesser un trouble manifestement illicite, anticipant sur la décision à venir au fond, on peut citer notamment les cas des articles 9 et 9-1 du Code civil, qui permettent au juge des référés d’ordonner toute mesure de nature à faire cesser une atteinte à la vie privée ou à la présomption d’innocence du demandeur.

On peut citer également l’article L. 4732-1 du Code du travail, qui permet au juge des référés, en cas de risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique d’un travailleur, d’ordonner toute mesure de nature à faire cesser ce risque.

Il en va de même de l’article L. 131-35, alinéa 4, du Code monétaire et financier, qui prévoit que le juge des référés peut être saisi en cas d’opposition irrégulière à un chèque pour ordonner la levée de l’opposition , ou encore de l’article L. 141-15 du Code de commerce, qui permet au juge des référés d’ordonner la mainlevée de l’opposition faite par un créancier au paiement du prix de la vente d’un fonds de commerce.

On voit ainsi que les référés, qu’ils soient prévus par des textes spéciaux ou non, ont peu ou prou toujours les mêmes finalités essentielles, permettant d’assurer efficacement et rapidement la protection des parties et le déroulement des procès.

Me Baptiste Robelin - Avocat au Barreau de Paris NovLaw Avocats - www.novlaw.fr (English : www.novlaw.eu)

[1Comme par exemple, les articles 872 et 873 du CPC pour les tribunaux de commerces, ou encore 848 et 849 du CPC pour le tribunal d’instance.

[2R. Perrot, Cours de droit judiciaire privé, 1976-1977, p. 432.

[3Com. 24 juin 1986, Bull. civ. IV, no 145.

[4TGI Paris, 28 oct. 1974 : Gaz. Pal. 1975, 1, p. 78.

[5CA Paris, 22 mai 1965 : JCP G 1965, II, 14274 bis.

[6Cass. 2e civ., 11 juill. 1974 : Bull. civ. 1974, II, n° 229.

[7Cass. 3e civ., 5 oct. 1976, no 75-13.645, Bull. civ. III, no 330.

[8Cass. 1re civ., 28 juin 1965 : Bull. civ. 1965, I, n° 429.

[9Cass. com., 20 juill. 1983 : Bull. civ. 1983, IV, n° 233.

[10Cass. 3e civ., 6 janv. 2009, n° 08-12.436 : JurisData n° 2009-046479.

[11Cass. 1re civ., 19 déc. 1989 : Bull. civ. 1989, I, n° 394.

[12TGI Mâcon, 29 mai 1973 : Gaz. Pal. 1973, 2, p. 619 ; RTD civ. 1973, p. 803, obs. Hébraud.

[13Cass. 3e civ., 9 nov. 1976 : D. 1977, inf. rap. p. 86.

[14TC Bobigny, 15 janvier 2016, RG 2015R00510.

[15Cass. soc., 24 nov. 1998, n° 96-44.111 : JurisData n° 1998-004699.

[16TGI Nanterre, 10 févr. 1988 : Gaz. Pal. 1988, 2, p. 509.

[17Cass. soc., 22 juin 1993 : JCP G 1993, IV, 2164

[18Cass. 1re civ., 20 janv. 1976 : Bull. civ. 1976, I, n° 24 ; JCP G 1976, IV, 85.

[19Cass. 1re civ., 17 oct. 1980

[20Cass. 3e civ., 11 juin 1974 : Bull. civ. 1974, III, n° 246.

[21Cass. 1re civ., 1er févr. 1983 : Bull. civ. 1983, I, n° 46.

[22Cass. com., 13 avr. 2010, n° 09-14.386 : JurisData n° 2010-003991 ; Procédures 2010, comm. 222, obs. R. Perrot.

[23Cass. 3e civ., 30 nov. 1976, no 75-15.508, Bull. civ. III, no 435.

[24Cass. 3e civ., 23 oct. 1991, no 89-19.604, Bull. civ. III, no 247.

[25Cass. com., 23 oct. 1990, no 88-12.837, Bull. civ. IV, no 252.

[26H. Solus et R. Perrot, préc. n° 1289. - Cass. com., 1er mars 1994 : D. 1995, somm. p. 61, obs. Lacabarats.

[27Cass. soc., 18 févr. 2014, n° 13-10.294 : JurisData n° 2014-002705.

[28Cass. com., 4 févr. 2014, n° 12-29.348 : JurisData n° 2014-001765.

[29CA Agen, 1re ch., 13 juin 2006, no 617-06.

[30Cass. 2e civ., 9 mars 1978 : JCP G 1978, IV, 152.

[31TGI Créteil, 30 juill. 1987 : Gaz. Pal. 1987, 2, p. 488

[32Cass. soc., 13 juin 2007, n° 06-18.336

[33CA Paris, 26 oct. 1984 : JCP G 1985, II, 20452

[34CA Paris, 19 nov. 1986 : Gaz. Pal. 1987, 1, p. 18.

[35CA Colmar, 2 oct. 1985 : Gaz. Pal. 1986, 1, somm. p. 38.

[36Cass. 1re civ., 13 mars 2007, n° 06-10.983

[37Cass. soc., 17 mars 2010, n° 08-45.288.

[38Cass. 3e civ., 18 févr. 1976, no 75-10.133, Bull. civ. III, no 72.

[39Cass. 1re civ., 4 nov. 1976, no 75-14.617, Bull. civ. I, no 330.

[40Civ. 3e, 26 avr. 1984 ; JCP 1984. IV. 210

[41Civ. 2e, 17 janv. 1990, Bull. civ. II, no 12.

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