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Saisie immobilière : la divisibilité de la prescription. Par Pierre Masquart, Avocat.
Parution : lundi 7 mars 2016
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Le 11 février 2016, la première chambre civile de la Cour de cassation est revenue, par quatre arrêts, sur la solution dégagée par ses arrêts de 2014 et 2015, modifiant ainsi le point de départ de la prescription biennale applicable au crédit immobilier accordé par un organisme de crédit à un particulier consommateur.

Ainsi, dorénavant, à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité.

Il faut rappeler les différents épisodes qui ont conduit à cette nouvelle solution.

1er épisode : les crédits immobiliers constituent de services financiers

Depuis un arrêt du 28 novembre 2012 (Cass. 1re civ, 28 nov. 2012, n°11-26.508, Bull. I, n°247) confirmé par un arrêt du 9 avril 2014 (Cass. 1re civ, 9 avril 2014, pourvoi n° 12-27.614) de la première chambre civile de la Cour de cassation, il est tenu pour acquis que les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par les professionnels, de sorte que la prescription biennale mentionnée à l’article L. 137-2 du Code de la consommation est applicable à de tels crédits immobiliers.

Toutefois, la question du point de départ du délai de prescription restait entière, dans la mesure où l’article du Code de la consommation n’est pas explicite sur ce point. Plusieurs évènements ont alors été retenus par les tribunaux et cours d’appel pour fixer le point de départ du délai de prescription : la déchéance du terme, le premier incident de paiement non régularisé, la connaissance d’une situation irrémédiablement compromise du débiteur.

2ème épisode : le point de départ se situe à la date du premier incident de paiement non régularisé

Par un arrêt du 10 juillet 2014 (Cass. 1re Civ., 10 juillet 2014, n°13-15.511) confirmé par un arrêt du 16 avril 2015 (Cass. 1re Civ., 16 avril 2015, n° 13-24.024), la première chambre civile de la Cour de cassation a clarifié la situation en jugeant, au visa des articles L. 137-2 du Code de la consommation et 2224 du Code civil que « le point de départ du délai de prescription biennale prévu par le premier de ces textes se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit, dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé ».

Cette solution a ainsi aligné le point de départ de la prescription sur celui de la forclusion. La première chambre civile de la Cour de cassation étant visiblement animée par une logique de traitement identique des règles assurant la protection des consommateurs. Fixer le point de départ du délai de prescription à compter de la date du premier incident de paiement non régularisé et non à compter de la date de déchéance du terme permettait d’éviter que le prêteur maîtrise le point de départ du délai.

Toutefois, cette solution se heurtait à plusieurs critiques.

Tout d’abord, pour certains auteurs, « cette solution (…) est un véritable piège pour les créanciers qui, avant le développement de cette jurisprudence, pouvaient bénéficier de la prescription quinquennale. Ils doivent donc veiller à réaliser dans les deux ans un acte interruptif de prescription. Ce dernier doit acter tout incident de paiement, c’est-à-dire tout non-paiement d’une échéance d’un crédit et ne doit surtout pas accorder des délais sans réagir » (D. Legeais, RTDCom. 2014, p. 675).

Ensuite, au sein même de la Cour de cassation, les solutions étaient divergentes. En effet, cette solution n’était pas partagée par la chambre commerciale de la Cour de cassation qui, sans doute plus sensible aux intérêts des banques, considère que le délai de prescription court à compter de la déchéance du terme ou du terme du prêt (Cass. Com., 10 juin 2008, n°07-18.519 ; Cass. Com., 16 juin 2009, n°08-15.235).

Par ailleurs, cette solution, qui conduisait à refuser de prendre en compte la déchéance du terme donnait une portée plus importante qu’ils ne devraient avoir aux incidents de paiements, alors que la déchéance du terme est la seule date à laquelle la créance est intégralement exigible. Plusieurs cours d’appel ont souligné l’effet déterminant de cette déchéance du terme sur la créance de remboursement du prêt : « S’agissant d’un délai de prescription, et non de forclusion, le point de départ du délai de deux ans est la date à laquelle la créance dont le recouvrement est poursuivi est devenu totalement exigible », soit la date de la déchéance du terme (CA Nîmes, 28 mars 2013, n° 12/01296 ; CA Lyon, 12 septembre 2013, n°13/02026).

Enfin, les organismes de crédit estimaient que cette solution permettait à certains emprunteurs d’échapper trop facilement à la rigueur de leurs engagements contractuels…

La question se posait donc de savoir si cette solution protectrice de l’emprunteur allait pouvoir ainsi perdurer…

3ème et dernier épisode en date : La divisibilité de la prescription

Par quatre arrêts du 11 février 2016 (Cass. 1re Civ., 11 février 2016, n°14-28.383, n°14-27.143, n°14-22.938 et 14-29.539), publiés sur son site et promis à la plus large diffusion (PBRI), la Cour de cassation revient sur la solution dégagée par ses arrêts précités de 2014 et 2015 et énonce que, à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité :

« A l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéances successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité ».

Appliquant cette nouvelle solution, la Cour de cassation juge ainsi, dans un des arrêts du 11 février 2016, qu’une Cour d’appel méconnaît les articles L. 137-2 du Code de la consommation, ensemble les articles 2224 et 2233 du Code civil, en retenant que, le premier incident de paiement non régularisé se situant le 1er mars 2011, la prescription était acquise avant la délivrance du commandement de payer du 21 mai 2013, alors que la déchéance du terme avait été prononcée le 14 novembre 2011.

Cette nouvelle solution tient compte de la nature de la créance, divisible ou non, pour déterminer ses effets sur la portée de la prescription.

La divisibilité de la créance en matière de crédit immobilier est alors fondée, par la première chambre de la Cour de cassation, sur l’article 2233 du Code civil qui prévoit que « la prescription ne court pas (…) 3° à l’égard d’une créance à terme, jusqu’à ce que ce terme soit arrivé ».

La première chambre civile de la Cour de cassation en déduit qu’en cas de pluralité d’échéances de remboursement, chacune des échéances impayées doit se voir reconnaître un point de départ de prescription propre. En d’autres termes, la dette globale porte sur le remboursement du capital et le paiement des intérêts, mais elle est divisée en échéances convenues par les parties, constituant autant de termes successifs de la dette.

C’est en ce sens que la première chambre civile de la Cour de cassation s’était déjà prononcée, au visa de l’article 2233 du Code civil, en jugeant qu’à l’égard « d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance » (Cass. 1re Civ., 28 juin 2012, pourvoi n°11-17.744).

Toutefois, il faut souligner que la première chambre civile de la Cour de cassation avait pourtant approuvé récemment une cour d’appel qui n’avait pas fait de distinction selon les échéances (Cass. 1re Civ., 26 novembre 2014, pourvoi n°13-27.447)…

En tout état de cause, avec ces arrêts du 11 février 2016, la première chambre civile de la Cour de cassation revient sur la solution dégagée par ses arrêts de 2014 et 2015 et retient une solution qui apparaît moins conforme à l’objectif de protection du consommateur face aux organismes de crédit.

Pierre Masquart, avocat au Barreau de Paris www.masquart.immo
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