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Facebook et compétence française : les errements de la cour d’appel. Par Charles Herzecke, Juriste.
Parution : lundi 14 mars 2016
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La cour d’appel de Paris confirme la compétence du juge français pour un litige relatif à la désactivation d’un compte Facebook. La clause attributive de juridiction en faveur du juge californien contenue dans les conditions générales du site est abusive et réputée non écrite. Cette décision n’est cependant pas à l’abri de critiques dues au raisonnement des juges d’appel.

Selon Victor Hugo : « En art point de frontière ». Pas si sûr pour le juge français…

Tout d’abord, un rapide rappel des faits : le demandeur à l’instance a ouvert un compte Facebook le 15 octobre 2008. Après avoir publié sur son mur une photo de l’œuvre « L’origine du monde » de Gustave Courbet, son compte a été désactivé par la firme américaine. Il assigne alors la société Facebook Inc. devant le juge français pour la réactivation de celui-ci. Cette dernière soulève devant le juge de la mise en état une exception d’incompétence au profit de l’Etat de Californie. En effet, lors de la création d’un compte sur le réseau social, les conditions générales stipulent à l’article 15, qu’en cas de conflit, les litiges seront portés «  exclusivement devant un tribunal américain du Northern District de Californie ou devant un tribunal d’État du comté de San Mateo… » [1].

Le juge de première instance fait droit aux demandes de l’utilisateur en déclarant abusive la clause attributive de compétence au profit des juridictions californiennes et décide que le tribunal de grande instance de Paris est compétent pour statuer sur le litige [2].

Facebook Inc. interjette appel. L’arrêt est rendu par la cour d’appel de Paris le 12 février 2016.

I- L’utilisateur de Facebook est un consommateur

La société Facebook défend que le contrat conclu lors de l’inscription n’est pas un contrat de consommation en raison de la gratuité du service. L’internaute, quant à lui, soutient qu’il est un consommateur dès lors qu’il ne s’était pas servi du réseau social pour une activité de photographe, son seul métier étant celui d’enseignant, comme l’indiquait son profil Facebook.

La cour d’appel adopte une autre approche en se ralliant au juge de première instance. Selon celle-ci, la société américaine a pour activité principale de proposer un service de réseau social mondial et en retire des bénéfices importants via notamment les applications payantes et les ressources publicitaires de sorte que sa qualité de professionnel ne saurait être contestée. Elle ajoute que le contrat souscrit est un contrat d’adhésion sans aucune latitude de négociation. Par cette démonstration, la cour retient être en présence d’un contrat de consommation liant l’utilisateur à la société Facebook.

II- La clause attributive de juridiction est abusive

Les conditions générales d’utilisation indiquent qu’en cas de litige avec l’utilisateur du réseau social, les litiges seront portés devant le juge californien.

La cour d’appel de Paris ne souhaite pas reconnaitre cette clause. En effet, elle se rallie une nouvelle fois au juge de première instance en considérant que la clause attributive de compétence que fait « signer » Facebook à l’ouverture d’un compte est abusive. Selon le juge français, cette clause oblige le souscripteur à saisir une juridiction particulièrement éloignée et à engager des frais disproportionnés par rapport à l’enjeu économique du contrat souscrit. Cette obligation serait de nature à dissuader le consommateur d’exercer toute action devant les juridictions californiennes, théoriquement compétentes.

Afin d’écarter l’application de cette clause, elle cite les articles L.132-1 et R.132-2 du Code de la consommation. Ces dispositions définissent comme abusives les clauses « créant au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » ou « ayant pour objet de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice  ».

De plus, la cour souligne la présence d’une agence de la société Facebook en France, disposant de ressources financières et humaines suffisantes afin d’être représentée devant les juridictions françaises.

La cour d’appel de Paris juge ainsi que la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales d’utilisation est abusive et réputée non écrite.

III- Le juge français est le juge compétent

L’espèce présentait un caractère d’extranéité du fait de la conclusion d’un contrat entre la société américaine et un citoyen français. Dès lors, les règles du droit international privé ont vocation à déterminer la compétence juridictionnelle.

Le juge français est saisi après le 1er mars 2002 concernant une matière commerciale : c’est donc le Règlement 44/2001 du Conseil de l’Union Européenne du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit Règlement Bruxelles 1) qui trouverait à s’appliquer. Cependant, ce n’était pas le cas en l’espèce.

La cour d’appel fait application des articles 15 et 16 du Règlement Bruxelles 1 pour statuer en faveur de la compétence du juge français. L’article 15 prévoit que lorsque le cocontractant du consommateur n’est pas domicilié sur le territoire d’un Etat membre, mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un Etat membre, il est considéré, pour les contestations relatives à leur exploitation, comme ayant son domicile sur le territoire de cet Etat. Ainsi, Facebook est considéré, dans le cadre de ce litige, comme étant domicilié en France.

De plus, l’article 16 donne la possibilité au consommateur de saisir soit les tribunaux de l’Etat membre sur le territoire duquel est domicilié son cocontractant soit les tribunaux sur le territoire duquel il est lui-même domicilié. De là découle la compétence du juge français, éligible sur ces deux fondements.

Le recours à ces articles du règlement apporte une solution parfaite pour ce litige, dans l’optique de protection du consommateur, leitmotiv des instruments européens. Si ces instruments sont souvent mis de côté car incompris par les juridictions, au mépris de la hiérarchie des normes, on assiste ici à un coup raté de la cour d’appel, qui y fait référence alors qu’il ne fallait pas.

Cette affaire est l’occasion d’illustrer la particularité du droit international privé européen. Le règlement Bruxelles 1 est un instrument méthodique et respecte un cheminement procédural, presque mathématique. Les dispositions relatives au consommateur s’appliquent seulement après avoir déterminé l’applicabilité de l’instrument puis avoir fait application de la compétence d’attribution (article 23 sur la prorogation de compétence), renvoyant à l’application impérative de l’article 17 et sa section relative aux litiges concernant un consommateur. A défaut de clause attributive de juridiction, c’est la compétence générale de l’article 2 (juge du domicile du défendeur) qui s’applique.

Le nœud du problème ici est que la clause attributive de compétence désignait le tribunal d’un Etat situé hors de l’Union Européenne et que le défendeur était domicilié dans un Etat tiers. Le règlement prévoit seulement les cas dans lesquels la clause attributive de juridiction désigne un tribunal d’un Etat membre.

Or, la jurisprudence Corek Maritime [3] de la Cour de justice de l’Union européenne impose que la clause attributive de juridiction désigne un Etat membre pour que le règlement s’applique. Si jamais le doute subsistait, il est désormais levé.

Le règlement évincé, c’est donc le droit français qui doit régir les règles de compétence applicables à l’espèce.

Les dispositions relatives aux clauses abusives dans les contrats de consommation sont d’ordre public [4] et le juge est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une telle clause [5]. C’est ainsi que, par référence au droit de la consommation français à défaut du droit européen, la clause donnant compétence au juge californien est écartée.

En théorie, c’était l’article L.141-5 du Code de la consommation qui aurait pu fonder la compétence du juge français pour trancher le litige. En effet, cet article offre la possibilité au consommateur de saisir la juridiction du lieu où il demeure au moment de la conclusion du contrat ou de la survenance du fait dommageable. Ainsi, le juge français est compétent pour statuer sur le litige : c’est pourquoi la cour d’appel retombe ici sur ses pieds.

La solution du litige semble dangereusement s’apparenter à un cocktail : les éléments pertinents sont mélangés afin d’obtenir le résultat attendu, à savoir la compétence du juge français pour protéger ses consommateurs. Mauvaise nouvelle, il monte à la tête.

Si la liberté contractuelle semble ici s’effriter, c’est une décision favorable et compréhensible en faveur des internautes. En s’inscrivant gratuitement au réseau social, il est peu probable que ceux-ci aient l’impression d’entrer dans une relation contractuelle avec Facebook.

En réalité, qui possède l’envie, voire le courage (sauf pour rédiger un article) de lire les conditions d’utilisation pouvant être acceptées par un banal clic ?

Quand il s’agit d’ester en justice, il est évident que les moyens à déployer ne sont pas les mêmes pour la société Facebook que pour un simple particulier pour qui la Californie n’est pas un trajet quotidien. Bonne nouvelle donc pour les internautes français.

Un pourvoi reste cependant possible pour Facebook afin de faire respecter sa clause attributive de juridiction. Affaire à suivre car une victoire à terme du géant californien forcerait l’internaute français à aller défendre sa cause de l’autre côté de l’Atlantique.

En définitive, quand il s’agit de photographier la peinture de Courbet, le juge français ferme ses frontières, contredisant Victor Hugo, mais pour le bien des internautes français (y compris les fans d’anatomie).

Juriste https://twitter.com/HerzeckeCharles http://www.linkedin.com/pub/charles-herzecke/55/649/755

[1Déclaration des droits et responsabilités https://fr-fr.facebook.com/legal/terms .

[2TGI Paris, 4ème ch., 2ème section, 05 mars 2015.

[3CJUE, 9 novembre 2000, C-387/98.

[4Article L.313-16 du Code de la consommation.

[5CJUE, 04 juin 2009, C-243/08.