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Comment demander l’arrêt de l’exécution provisoire d’une décision de justice ? Par Baptiste Robelin, Avocat.
Parution : mercredi 16 mars 2016
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L’exécution provisoire est une décision accessoire prononcée par le tribunal ayant statué en première instance, autorisant la partie qui a obtenu gain de cause à poursuivre l’exécution du jugement rendu contre son adversaire en dépit de l’appel qu’il aurait interjeté.
Efficace pour celui dont les prétentions sont accueillies, elle peut s’avérer dramatique pour la partie perdante. Non seulement l’exécution provisoire peut avoir pour elle des conséquences irréversibles, mais elle peut en outre craindre que le bénéficiaire de l’exécution provisoire ne soit pas en mesure de lui restituer les sommes perçues en cas d’infirmation du jugement de première instance.
Il convient donc de s’arrêter sur les moyens offerts au débiteur pour solliciter l’arrêt ou l’aménagement de l’exécution provisoire en cause d’appel.

I. Les conditions pour solliciter l’arrêt de l’exécution provisoire en cause d’appel

1. Compétence exclusive du premier président de la cour d’appel

L’arrêt de l’exécution provisoire est prévu par l’article 524 du Code de procédure civile [1]. En vertu de ce texte, le premier présent de la cour d’appel est seul compétent pour statuer sur l’arrêt de l’exécution provisoire. En pratique, l’action est introduite devant lui par voie d’assignation en référé, et peut également, au vue de l’urgence, l’être en référé d’heure à heure [2].

Le premier président de la cour d’appel est également seul compétent pour arrêter ou aménager l’exécution provisoire portant sur des dommages-intérêts alloués par le tribunal statuant sur l’action civile en matière pénale, conformément à l’article 515-1 du Code de procédure pénale.

En revanche, le premier président de la cour d’appel n’a pas compétence pour ordonner l’arrêt de l’exécution provisoire ordonnée en cours d’appel par le conseiller de la mise en état [3]. La demande de suspension formée devant lui sera alors déclarée irrecevable [4].

A noter que depuis le décret n°2014-1338 du 6 novembre 2014, les décisions du premier président ne sont plus susceptibles de pourvoi en cassation, comme le prévoit le nouvel article 525-2 du CPC.

2. Cas d’ouverture pour solliciter l’arrêt de l’exécution provisoire

a. Exécution provisoire « interdite par la loi »

C’est la première hypothèse prévue par l’article 524 du CPC.
Les cas d’une telle interdiction sont rares. À titre d’exemple, on peut citer le cas en matière de publicité foncière, où l’exécution provisoire est interdite quant à la décision qui statue sur le refus du dépôt ou le rejet de la formalité provenant du conservateur des hypothèques [5].
On peut également citer un arrêt de la Cour de cassation dans lequel un bâtonnier saisi en matière d’honoraires avait assorti sa décision de l’exécution provisoire. Après avoir rappelé que seul le président du tribunal de grande instance peut rendre la décision exécutoire, la cour relève que la suspension de l’exécution provisoire devait être ordonnée comme contraire à la loi [6].

b. Le risque de « conséquences manifestement excessives » de l’exécution provisoire

C’est ici que se loge l’essentiel du contentieux.
L’appréciation de la qualification des conséquences manifestement excessives de l’exécution provisoire relève du pouvoir d’appréciation souverain du premier président [7].
La Cour de cassation rappelle que la charge de la preuve de ce risque pèse sur le débiteur.

Le plus souvent, il est possible de distinguer deux situations : soit l’exécution provisoire s’avère excessive pour le débiteur eu égard à sa situation financière.
Soit elle réside dans le risque pour le créancier de la décision de ne pas pouvoir rendre les sommes qu’il a perçues si la décision était infirmée.
C’est ce que résume un arrêt très clair de la Cour de cassation rappelant que, pour être ordonnée, l’arrêt de l’exécution provisoire doit être justifiée au regard du risque « d’entraîner pour la débitrice des conséquences manifestement excessives eu égard à ses facultés de paiement ou aux facultés de remboursement du créancier » [8].
En considération de la situation économique du débiteur, la suspension de l’exécution provisoire d’un jugement a ainsi été ordonnée lorsque « le débiteur ne dispos[e] d’aucun patrimoine lui permettant de faire face au paiement des condamnations prononcées » [9].

De même, a été considérée comme ayant des conséquences manifestement excessives l’exécution provisoire d’une condamnation risquant d’entraîner un « grave retentissement » sur l’activité de la société condamnée, sa « cessation d’activité » [10] ou son « redressement judiciaire » [11], alors que « les plafonds bancaires du débiteur étaient atteints, voire dépassés » [12].

L’arrêt de l’exécution provisoire a encore été ordonné en cas de « menaces sérieuses sur la pérennité de l’emploi des salariés » du débiteur, alors qu’ « à l’inverse, la santé financière du créancier, puissant groupe international, ne risquait pas d’être affectée par l’arrêt de l’exécution provisoire » [13].

À cet égard, pour espérer obtenir gain de cause dans une telle procédure, le débiteur aura intérêt à produire le maximum de pièces relatives à sa situation comptable : bilans, attestations d’experts-comptables ou de banquiers, registre des salariés démontrant le risque pesant sur les emplois de l’entreprise, etc.

À côté des hypothèses liées aux questions de solvabilité, ont été jugées de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives :
-  la publication dans un journal corporatif d’un jugement déclarant l’appelant coupable de contrefaçon [14] ;
-  la suppression d’une terrasse commerciale sur un passage indivis avec remise en état des lieux, alors que l’activité dans une salle exigüe durant la belle saison ne pouvait suppléer la suppression de la terrasse [15] ;
-  ou encore, la vente d’un mobilier saisi en conséquence d’un jugement de condamnation [16].

En matière d’expulsion, les tribunaux analysent également avec beaucoup d’attention la situation du demandeur à l’arrêt de l’exécution provisoire. Seront ainsi pris en considération, les charges de famille, l’éventuel handicap des intéressés, les frais de déménagements [17], etc.

À noter qu’il est possible pour le premier président de suspendre l’exécution provisoire sur un point seulement de la décision, et de la maintenir sur un autre. Il peut par exemple énoncer que la réintégration d’un salarié aurait des conséquences manifestement excessives sur l’entreprise, tout en refusant de suspendre l’exécution provisoire sur le montant des indemnités allouées en première instance [18].
Il semble enfin que le premier président puisse se borner à accorder des délais de grâce, disposant de la possibilité de fractionner dans le temps le paiement d’une condamnation pécuniaire lorsque les circonstances rendent cette mesure nécessaire [19].

c. Effets de l’ordonnance qui arrête l’exécution provisoire

L’ordonnance du premier président qui arrête l’exécution provisoire ne produit d’effet que pour l’avenir : elle n’a pas d’effet rétroactif [20].
Le premier président ne saurait donc remettre en cause les effets des actes d’exécution accomplis ou les paiements effectués antérieurement à sa décision [21].

Autrement dit, il ne saurait accorder l’arrêt de l’exécution provisoire lorsque cette exécution est « consommée » [22].
Sur ce point, il existe une particularité en matière de saisie-attribution contestée devant le juge de l’exécution. En effet, dès lors que le paiement est différé jusqu’à la purge des contestations de la saisie, l’exécution du jugement pourra toujours faire l’objet d’une demande d’arrêt de l’exécution provisoire alors que les saisies sont en cours [23].

3. Les cas où l’arrêt de l’exécution provisoire est exclu

Avant le décret n° 2004-836 du 20 août 2004 modifiant l’article 524 du CPC, la règle absolue était que l’exécution ne pouvait pas être arrêtée quand l’exécution provisoire était de plein droit, principe qui était d’ailleurs régulièrement rappelé par la Cour de cassation [24].

S’agissant des cas où l’exécution provisoire est de droit, on rappellera l’article 514 du CPC :
« Sont notamment exécutoires de droit à titre provisoire les ordonnances de référé, les décisions qui prescrivent des mesures provisoires pour le cours de l’instance, celles qui ordonnent des mesures conservatoires ainsi que les ordonnances du juge de la mise en état qui accordent une provision au créancier ».

Aujourd’hui, le dernier alinéa de l’article 524 du CPC dispose que :
« Le premier président peut arrêter l’exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l’article 12 et lorsque l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives ».

Il est donc possible de demander l’arrêt de l’exécution provisoire dans les cas où sont réunies deux conditions alternatives et une condition cumulative.
Il faut qu’il y ait violation manifeste :
-  soit du principe du contradictoire ;
-  soit de l’article 12 du Code de procédure civile ;
-  et qu’en outre, l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.

De telles hypothèses seront très rares en pratiques.

II. L’aménagement de l’exécution provisoire

1. Compétence du juge saisi

Si l’exécution provisoire a été ordonnée en première instance, le premier président de la cour d’appel est encore seul compétent pour statuer sur l’aménagement de l’exécution provisoire, selon l’article 524 du CPC.
En revanche, si l’exécution provisoire a été ordonnée en cause d’appel par le conseiller de la mise en état, ce dernier aura cette fois seul le pouvoir de l’aménager, conformément à l’article 523 du CPC.

2. Les pouvoirs d’aménagement

a) La constitution d’une garantie

Au lieu d’arrêter l’exécution provisoire purement et simplement, le premier président, ou le conseiller de la mise en état, peuvent subordonner l’exécution à la constitution d’une garantie conformément à l’article 517 du CPC :
« L’exécution provisoire peut être subordonnée à la constitution d’une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations ».

Ils peuvent également ordonner des substitutions de garantie, conformément à l’article 522 du CPC :
« Le juge peut, à tout moment, autoriser la substitution à la garantie primitive d’une garantie équivalente ».

Sur ce point, une réponse ministérielle a confirmé la possibilité pour le magistrat compétent d’ordonner de nouvelles garanties que celles qui avaient été fixées en première instance, d’ordonner leur mainlevée ou de les aménager [25].

En ce qui concerne la substitution d’une garantie à une autre, la jurisprudence décide que la demande est subordonnée à la justification d’une modification survenue dans la situation du débiteur depuis la décision [26].

b) La consignation

Ce pouvoir est reconnu par les articles 524, 519 et 521 alinéa 2 du CPC. La consignation constitue souvent un remède lorsqu’il existe un risque portant sur les facultés de remboursement du bénéficiaire de l’exécution provisoire [27].

c) Aménagement dans les cas où l’exécution provisoire est de droit

Il faut enfin considérer les cas d’aménagement de la décision lorsque l’exécution provisoire est de droit, conformément à l’article 524 alinéa 3 du CPC, lequel dispose :
« Lorsque l’exécution provisoire est de droit, le premier président peut prendre les mesures prévues au deuxième alinéa de l’article 521 et à l’article 522 ».

C’est-à-dire, selon l’article 521 alinéa 2 du CPC :
« En cas de condamnation au versement d’un capital en réparation d’un dommage corporel, le juge peut aussi ordonner que ce capital sera confié à un séquestre à charge d’en verser périodiquement à la victime la part que le juge détermine ».

Et l’article 522 du CPC :
« Le juge peut, à tout moment, autoriser la substitution à la garantie primitive d’une garantie équivalente ».

L’aménagement de l’exécution provisoire de droit ne concerne donc que des mesures pécuniaires, ces textes ne prévoyant que des mesures de séquestre ou de consignation de fonds [28].

À noter qu’en matière d’exécution provisoire de droit, la possibilité d’aménagement prévue par l’article 521 du CPC n’est pas subordonnée à la condition que cette exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives [29].

III. Les sanctions en cas de non-respect de l’exécution provisoire

A côté des possibilités pour la partie perdante de tenter de solliciter l’arrêt ou l’aménagement de l’exécution provisoire, il convient de la mettre en garde sur les conséquences résultant de la violation de l’exécution provisoire.
Concrètement, le débiteur qui ne s’exécute pas à titre provisoire conformément à la décision de première instance, risque de perdre la possibilité que son affaire soit entendue en cause d’appel.

C’est ce que prévoit l’article 526 du CPC :
« Lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d’appel, décider, à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision.
Le premier président ou le conseiller chargé de la mise en état autorise, sauf s’il constate la péremption, la réinscription de l’affaire au rôle de la cour sur justification de l’exécution de la décision attaquée »
.

Cette radiation du rôle est une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours. La radiation n’aura toutefois pas lieu dans deux hypothèses :
-  lorsque l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ;
-  lorsque l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision.

Le terme « conséquences manifestement excessives » renvoie aux analyses vues plus haut.
Conséquence de cette radiation, l’affaire se trouve bloquée et ne pourra être remise au rôle que sur autorisation du magistrat et sur justification de l’exécution de la décision attaquée.

Bien que le texte ne le prévoit pas expressément, la Cour de cassation a admis qu’une exécution partielle de la décision attaquée puisse suffire à permettre la réinscription au rôle, à condition qu’elle soit significative [30].

Au cas où l’affaire resterait radiée, se profilent les conséquences éventuelles d’une péremption d’instance, dont le délai de deux ans commence à courir à compter de la notification de la décision ordonnant la radiation.

La radiation ne sera interrompue que par un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter, conformément à l’article 1009-2 du CPC.

Me Baptiste Robelin - Avocat au Barreau de Paris NovLaw Avocats - www.novlaw.fr (English : www.novlaw.eu)

[1ci-après CPC

[2L’exposant doit en ce cas se faire autoriser par voie de requête préalable.

[3Dans les conditions des articles 525 et 525-1 du CPC.

[4Cass. 2e civ., 9 oct. 1991 : Bull. civ. 1991, II, n° 247 ; JCP G 1991, IV, 427.

[5L’alinéa 3 de l’article 26 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 déclare en effet que l’ordonnance du président n’est pas susceptible d’exécution provisoire

[6Cass. 2° civ., 18 juin 2009, n° 08-14.219, 08-14.856.

[7Cass. 2e civ., 11 juill. 1977, no 76-14.094, Bull. civ. II, no 184

[8Cass, Civ, 2, 10 septembre 2009, 08-18683.

[9Cass. 2e civ., 15 mai 2014 n°13-18.500.

[10CA Paris 6 mars 1985 Bull. avoués 1985 n°94 p.63 ; CA Paris, pôle 1, ch.5, 9 février 2011 n°10/22982.

[11CA Douai, premier président, 8 mars 2012 ; CA Rouen, réf. 3 sept. 1991.

[12CA, Aix en Provence, 14 décembre 2007, Jurisdata 2007-360007.

[13CA, Pau, 4 octobre 2006, n°063036.

[14CA, Paris, Ord. 21 janvier 1985 : Bull avoués, 1985, n°93, p.25.

[15CA, Nimes, 6 juillet 2011, n°11/00036.

[16CA, Paris, ord. 6 février 1985, 14 févirer 1985 et 22 mars 1985

[17CA, Reims, 28 sept. 2011 ; n°11/43 -16 ; CA, Bastia, 26 juillet 2011, n°11/00095.

[18Cass. soc., 28 mars 1984 : Bull. civ. 1984, V, n° 127 ; JCP G 1984, IV, 178.

[19CA Versailles, 29 mars 1989 : Gaz. Pal. 1989, 2, somm. p. 422

[20Cass. 2e civ., 24 sept. 1997, n° 94-19.485 : JurisData n° 1997-003777

[21Cass. 2e civ., 13 juin 2002, n° 00-15.852 : JurisData n° 2002-014748 ; Bull. civ. 2002, II, n° 132 ; Dr. et proc. 2002, p. 6.

[22CA Douai, 18 juill. 1892 : S. 1892, 2, p. 41. – CA Paris, 4 févr. 1964 : JCP G 1964, II, 13553 bis, obs. J.A.

[23Cass. 2e civ., 23 oct. 1996, n° 95-22.269 : JurisData n° 1996-004188.

[24Cass. 2e civ., 12 oct. 1988 : Gaz. Pal. 1989, 1, p. 378. – Cass. 2e civ., 5 mai 1993 : Bull. civ. 1993, II, n° 163

[25Rép. min. quest. n° 53507 : JCP G 1977, IV, 122.

[26CA Rennes, réf., 31 mars 1983 : Gaz. Pal. 1984, 1, p. 164, note Larher.

[27CA Rennes, réf., 26 juill. 1991 : JCP G 1992, II, 21925, note du Rusquec.

[28CA Versailles, 26 juill. 1988 : D. 1989, somm. p. 179, obs. Julien.

[29Cass. 2e civ., 23 janv. 1991 : Bull. civ. 1991, II, n° 26

[30Cass., ord., 17 déc. 1992, no 91-22.114, Bull. civ., no 15.

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