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Obligation de sécurité de l’employeur : un retour à la raison ! Par Magali Baré, Consultante.
Parution : jeudi 31 mars 2016
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L’obligation de prévention redevient le centre de l’obligation de sécurité. L’arrêt Air France du 25 novembre 2015 confirme l’assouplissement de la jurisprudence en matière d’obligation de sécurité de résultat observé en 2015.

Une obligation de sécurité qui semblait sans limites

En 2002, dans les arrêts « amiante », la Cour de cassation énonçait que le manquement à l’obligation de sécurité de résultat était caractérisé lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’avait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

La question des actions de prévention mises en œuvre par l’employeur était alors un élément central.

Une interprétation extensive et parfois contestable de ce principe considérera que si un accident se produit, c’est que l’employeur a nécessairement été défaillant.

Ainsi, en matière de harcèlement, le fait qu’un salarié soit victime d’agissements de harcèlement moral ou sexuel suffisait à faire condamner l’employeur quand bien même il prenait les mesures nécessaires une fois qu’il en était informé (Cass. Soc. 3 février 2010, n° 08-44019).

Allant plus loin, il a été considéré que le « sentiment d’insécurité » ressenti par le salarié sur son lieu de travail peut engager la responsabilité de l’employeur alors même que ce dernier a pris plusieurs mesures (Cass. Soc, 6 octobre 2010, n° 08-45.609).
Cette position avait pour conséquence de décourager les employeurs qui en déduisaient qu’ils avaient systématiquement tort quels que soient leurs efforts pour protéger leurs salariés.

Un infléchissement s’est fait sentir en 2015 avec les arrêts Fnac (Cass. Soc. 5 mars 2015, n° 13-26321) et Areva (Cass. Soc. 22 octobre 2015, n° 14-20173) concernant les réorganisations d’entreprise et la prévention des risques psycho-sociaux.

Dans l’arrêt Air France, la Cour de cassation va plus loin et donne une large publicité à sa décision (classée P+B+R+I) qui sera certainement publié dans le rapport annuel 2015.

La prévention revient au centre du jeu

Les faits sont les suivants : un salarié d’Air France, chef de cabine, était en transit à New York le 11 septembre 2001 et a vu les tours s’effondrer depuis sa chambre d’hôtel.

A son retour en France, il a été accueilli, comme tout l’équipage, par un personnel médical mobilisé pour assurer une présence jour et nuit et orienter éventuellement les intéressés vers des consultations psychiatriques.

Déclaré apte, lors de quatre visites médicales intervenues entre 2002 et 2005, il avait exercé sans difficulté ses fonctions pendant 5 ans. En avril 2006, alors qu’il partait rejoindre un vol, il a été pris d’une crise de panique qui a donné lieu à un arrêt de travail. Il saisit le conseil de prud’hommes en 2008 pour obtenir la condamnation de son employeur pour manquement à son obligation de sécurité après les attentats de 2001.

La Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel qui avait rejeté la demande du salarié au motif, notamment, que l’employeur avait pris en compte les éléments violents auxquels le salarié avait été exposé et mis en œuvre les mesures nécessaires.

L’attendu de principe qui fonde cette décision est parfaitement clair : « Mais attendu que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail ».

C’est donc un tournant majeur puisque l’on admet enfin que l’employeur puisse être entendu lorsqu’il a mis en place les actions nécessaires dans le respect des principes généraux de prévention.

Quel avenir pour l’obligation de sécurité ?

L’obligation générale de sécurité de l’employeur, inscrite dans le Code du travail, n’est en rien remise par cause par cette décision.

Seulement, il ne suffira plus qu’un risque se matérialise pour que l’employeur soit systématiquement considéré comme fautif. Sa responsabilité ne sera engagée que s’il n’a pas accompli toutes les diligences prévues aux articles L. 4121-1 (mesures générales de prévention) et L. 4121-2 (qui fixe les 9 principes généraux de prévention) du Code du travail.

Le message est clair : il en est fini de l’instrumentalisation de l’obligation de sécurité de résultat et les entreprises ont tout intérêt à s’employer à assurer l’effectivité de leur arsenal préventif.

En cas de litige, le document unique sera un outil central pour prouver aux juges du fond que les mesures nécessaires ont été mises en place, mais pas suffisant. Il faudra aller au-delà d’une justification formelle et montrer l’efficience de toute la chaine du management de la sécurité dans l’entreprise.

Nous voyons ce revirement de jurisprudence comme un retour aux sources : les arrêts de 2002 intégraient la prise en compte des mesures prises par l’employeur. On ne peut que saluer la mention des principes généraux de prévention des risques dans cet arrêt qui deviennent le fondement du bon accomplissement de l’obligation de sécurité de résultat.

En ce qui concerne le harcèlement moral, il faudra attendre les premières affaires soumises au contrôle de la chambre sociale de la Cour de cassation pour mesurer la portée de cette décision...

Magali Baré Consultante Cabinet IDée Consultants www.ideeconsultants.fr