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Article L.600-1-2 : l’approche sévère du Conseil d’Etat sur la notion d’intérêt à agir. Par Nicolas Fouilleul, Avocat.
Parution : vendredi 8 avril 2016
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L’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme a restreint, de manière importante, le périmètre des personnes susceptibles de contester un permis de construire. En effet, alors qu’auparavant la seule qualité de « voisin » était suffisante pour critiquer un permis de construire, cette circonstance aujourd’hui ne suffit plus. Désormais, le requérant devra prouver, pièce(s) à l’appui, que la construction projetée est de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’il occupe.

Aux termes de l’Article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme :
« une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales, ou leurs groupements, ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement, ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L.261-15 du Code de la construction et de l’habitation. ».

Dans sa décision du 10 Février 2016, le Conseil d’Etat considère qu’il résulte de ces dispositions qu’il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat précise que les écritures et les documents produits par l’auteur du recours doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet litigieux.

Ce considérant fait donc peser sur le requérant l’obligation de justifier, tant dans ses écritures que par les pièces qu’il produit, de son intérêt à agir contre le permis.

A l’examen des pièces du dossier, le Conseil d’Etat a considéré que pour justifier de leur intérêt à agir les requérants se sont bornés à se prévaloir de la qualité de « propriétaire de biens immobiliers voisins directs à la parcelle destinée à recevoir les constructions litigieuses » ; par ailleurs, les pièces qu’ils ont fournies à l’appui de leur demande établissent seulement que leurs parcelles sont mitoyennes pour l’une et en co-visibilité pour l’autre du projet litigieux.

En outre, le plan de situation sommaire des parcelles qui est produit ne comportait que la mention : « façade SUD fortement vitrée qui créera des vues ».

Enfin, à l’invitation du greffe du tribunal administratif d’apporter les précisions nécessaires à l’appréciation de l’atteinte directe portée par le projet litigieux à leurs conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de leur(s) bien(s), ils se sont bornés à produire la copie de leur attestation de propriété, ainsi que le plan de situation cadastral déjà fourni.

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat a donc opposé aux requérants le fait que leurs écritures n’avaient pas suffisamment insisté sur la notion d’intérêt à agir.

Adoptant une approche littérale et relativement sévère du texte, le Conseil d’Etat semble vouloir donner tout son sens à l’objectif poursuivi : éviter les recours abusifs.

Si l’on peut être satisfait de cette approche en ce qu’elle donne tout son sens à l’objectif poursuivi, en revanche l’on ne peut être que perplexe sur la rigidité de son application en ce qu’elle conduit à déclarer irrecevables des recours tout à fait sérieux et de bonne foi.

La présente décision en est un exemple topique, ce que n’a pas manqué de relever Aurélie Bretonneau elle-même, en sa qualité de rapporteur public de la présente instance, rappelant que le projet litigieux envisageait la construction d’un immeuble collectif de dix-huit logements sur deux étages, d’une hauteur de douze mètres en mitoyenneté des deux maisons d’habitation des requérants.

Des conclusions de Madame le rapporteur public, l’on retient :
« qu’on comprenait sans grandes difficultés que les troubles de jouissance qu’ils entendaient invoquer étaient, pour l’essentiel, liés à la vue qu’ils auraient depuis leurs propriétés sur l’immeuble à construire, et réciproquement ; mais ils ne prenaient pas véritablement le soin de l’écrire noir sur blanc dans le paragraphe qu’ils consacraient à leur intérêt pour agir ».

Cependant, il faut – selon Madame le Rapporteur Public -, pour donner sa pleine portée à l’article L.600-1-2, exiger que les requérants attestent d’une mitoyenneté, avec visibilité (lorsque c’est d’un préjudice visuel qu’ils se plaignent) suffisamment importante pour que cette atteinte à leurs intérêts soit caractérisée.

C’est en ce sens qu’Alexandre Lallet relevait dans ses conclusions (CE, 10 juin 2015, M. Brodelle et M. Gino, n° 386121) que les requérants auraient dû caractériser dans leurs écritures – photographie(s) pertinente(s) à l’appui – le préjudice visuel susceptible de leur être causé par le projet (parcelles distantes de 700 mètres du projet litigieux ce qui, en l’espèce, laissait un doute important sur l’existence et la consistance d’un aperçu sur le projet depuis la propriété des requérants).

En l’espèce, en revanche, comme le souligne Madame Bretonneau, les pièces produites devant le tribunal administratif attestaient d’une mitoyenneté sur toute la longueur de la parcelle, et d’une grande proximité des maisons d’habitation avec le projet suffisamment important quant à lui pour que l’existence d’un préjudice visuel soit quasiment évidente.

C’est ainsi qu’elle considérait que les productions des requérants étaient largement suffisantes « pour amorcer la pompe d’un dialogue sur l’intérêt pour agir ». A charge, le cas échéant, pour le défendeur de convaincre le juge que, compte tenu des caractéristiques particulières du projet (on peut penser par exemple à l’existence de très grands arbres masquant la vue), l’intérêt invoqué ne tenait pas. Elle concluait, enfin, que l’objectif poursuivi par l’article L.600-1-2, qui est de déterminer les intérêts pour agir artificiels, ne doit pas avoir pour corollaire des artifices procéduraux imposés par le juge aux requérants pour un intérêt pour agir qui va suffisamment de soi à la lecture du dossier pour ne leur être pas dénié sur le terrain de l’irrecevabilité manifeste.

L’article L.600-1-2, poursuit-elle, ne peut servir à dénier un intérêt pour agir que le juge aperçoit clairement au seul motif que le requérant n’a pas accompli suffisamment de diligences procédurales pour établir ce qui sautait aux yeux. En conséquence, un doute favorable aux requérants excluait toute possibilité de rejet par ordonnance. Nous souscrivons pleinement à cette analyse. Il conviendrait alors de voir dans les explications apportées par les tiers requérants une sorte de « présomption d’intérêt à agir », sachant que les dispositions de l’article L.600-1-2 n’imposent pas de mentionner l’intérêt à agir dans un titre précis. L’intérêt pour agir du ou des requérants est susceptible d’être énoncée tout au long de la requête et/ou dans les pièces annexées à cette dernière.

Il faut espérer que le Conseil d’Etat, même s’il fait preuve par cette décision d’une certaine rigidité, profite des prochains contentieux pour préciser les conditions d’application de l’article L.600-1-2.

Me PION - Me JERVOLINO - Me BAYLOT - Me MORABITO Cabinet GOBERT ET ASSOCIES Avocats Associés www.gobert-associes.fr Tel : 04 91 54 73 51