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Il est temps de réprimer en France la négation du génocide commis contre les Tutsi. Par Richard Gisagara, Avocat.
Parution : jeudi 14 avril 2016
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Le 7 avril, le monde commémorait pour la 22ème fois, le génocide perpétré en 1994 contre les tutsi au Rwanda. Avant, il y a eu la Shoah et le génocide commis contre les Arméniens pour ne citer que ceux reconnus par la loi ou le système judiciaire français.

Malgré cette reconnaissance, ces tragédies continuent à faire l’objet de falsification historique, de banalisation et d’apologie par des individus mal intentionnés. Il est temps de réprimer leur négation.

Le droit français réprime la négation du génocide. Mais cette répression souffre d’un péché originel et manque d’universalité.

Le péché originel :

Dans son ouvrage « Du négationnisme : mémoire et tabou » l’historien Yves Ternon écrivait en 1990 : « La négation est tissée avec le génocide. En même temps qu’il prépare son crime, l’auteur du génocide met au point la dissimulation de ce crime ».

C’est cet aspect que le législateur n’a pas pris en compte lorsqu’il a décidé d’introduire en droit français l’infraction de négationnisme. En effet, il l’a incorporée dans le droit de la presse au lieu de la mettre dans le code pénal, ce qui en fait un simple délit d’abus de la liberté d’expression au lieu de faire de cette infraction ce qu’elle est en réalité, à savoir une infraction de dissimulation du crime de génocide.

C’est cela qui me fait dire que la pénalisation du négationnisme en France souffre d’un péché originel. Dès sa naissance même dans le droit positif français, elle était déjà affectée de cette imperfection.

Le terme biblique « péché originel » est tout à fait approprié. C’est en effet dans ce livre sacré pour certains, que l’on trouve la trace de la première tentative de génocide. C’est en tout cas l’analyse qu’en fait Elie Weisel, rescapé de la Shoah et écrivain reconnu. Il a repéré le caractère génocidaire du meurtre fratricide d’Abel par son frère Caïn dont l’intention était d’éteindre toute la descendance de son frère. Dès qu’il a commis son crime, Caïn s’est empressé de le dissimuler en faisant disparaitre le corps de sa victime avec la complicité de la terre « qui a ouvert sa bouche pour avaler son sang », nous dit le texte biblique.

Depuis l’origine donc, le génocide s’accompagne de sa dissimulation. Celle-ci prend souvent la forme de la négation de ce crime. Ainsi donc la négation est l’accessoire ou le prolongement du génocide et des crimes contre l’humanité. La logique voudrait en conséquence que les deux infractions soient traitées ensemble dans le Code pénal. La négation ne devrait donc pas être traitée comme un simple délit de presse.

Malheureusement, c’est le cas en France puisque cette infraction est réprimée seulement par l’article 24 bis de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Cet article a été introduit par la loi dit Gayssot (Loi n°92-1336 du 16 décembre 1992).

Une infraction non universelle

Ce texte date de 1992, à l’époque où même l’infraction de génocide ne figurait pas encore dans le Code pénal. C’est le cas depuis lors et il est grand temps aujourd’hui d’opérer les changements qui s’imposent non seulement parce qu’il ne s’agit pas d’un simple abus de la liberté d’expression mais aussi et surtout parce que ce texte n’a pas une portée universelle.

En effet, cette répression ne vise que les crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945.

En d’autres termes, il ne concerne que la Shoah et les crimes nazis. Les autres génocides et crimes contre l’humanité ne sont pas concernés. A ce jour, on peut donc contester et nier allègrement le génocide commis contre les Tutsi au Rwanda ou le génocide commis contre les Arméniens. Le droit positif français ne le réprime pas.

Plusieurs tentatives ont été faites pour introduire cette répression mais aucune n’a abouti à ce jour. La plus avancée a donné lieu à une loi votée le 21 janvier 2012 par l’Assemblée nationale. Cette loi qui était intitulée « loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi » était rédigée de telle sorte qu’elle aurait eu comme résultat d’inclure seulement le génocide perpétré contre les Arméniens dans le champ des génocides dont la négation est réprimée. Les victimes Tutsi n’auraient pas pu s’en prévaloir.

Pourtant tout comme la Shoah, en France, le génocide perpétré contre les Tutsi est une vérité judiciaire, comme cela ressort de l’arrêt de renvoi No. 3644 rendu par la Cour de cassation, section réunie, le 8 juillet 2015. Il n’est donc pas contestable.

Cette loi, finalement, n’a pas vu le jour puisqu’elle a été censurée par le Conseil constitutionnel le 28 février 2012 au motif qu’ « en réprimant ainsi la contestation de l’existence et de la qualification juridique de crimes qu’il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication. »

En octobre dernier, réagissant sur la décision rendu le 16 octobre 2015 par le Conseil constitutionnel saisi par l’association Communauté rwandaise de France qui a pour objet, entre-autres, la lutte contre la négation et la banalisation du génocide commis contre les Tutsi, l’ancienne Garde des Sceaux et ministre de la Justice, Christiane Taubira, s’est engagée à intervenir rapidement pour apporter à la loi une modification qui devrait, en principe, permettre aux associations défendant les intérêts ou la mémoire des victimes du génocide commis contre les Tutsi de mieux lutter sur le plan judiciaire contre l’apologie du génocide car elles seront autorisées à engager des poursuites pénales en cas d’inaction du parquet, comme c’est le cas des associations défendant les intérêts ou la mémoire des victimes de la Shoah ou des résistants de la seconde guerre mondiale.

Juridiquement il s’agit seulement de l’apologie et pas de la négation. Mais sachant que l’apologie est aussi une arme utilisée par les négationnistes, l’on peut se dire que c’est déjà un avancement.

S’agissant de la négation, une nouvelle proposition de loi a été enregistrée par le bureau de l’Assemblée nationale en janvier 2016. Celle-ci se propose d’étendre la pénalisation de la négation à tous les génocides reconnus par la loi ou par les juridictions reconnues par la France. Cela devrait inclure donc le génocide perpétré contre les Tutsi.

Il semblerait également le gouvernement prépare aussi un texte dans ce sens qui serait intégré dans la loi intitulée « Justice du XXIème siècle » qui devrait être présentée avant la fin de l’année.

Aujourd’hui, 22 ans après la mort de la première victime, il est plus que temps que le législateur intervienne afin que la négation de ce génocide, qui a fait un million de morts, soit réprimée car elle constitue une injure ajoutée à la blessure des rescapés du génocide.

Richard Gisagara Avocat à la Cour - Versailles 01.34.24.10.77
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