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De l’équité inéquitable de l’article 700 du Code de procédure civile. Par Alain Manville, Avocat.
Parution : mercredi 11 mai 2016
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Il y a un paradoxe dans le Code de procédure civile : alors que les juges sont tenus de ne pas juger en équité mais selon les règles de droit, le Code de procédure civile, pour des raisons obscures qui ont des conséquences parfois inquiétantes, a laissé une lucarne où les juges peuvent s’adonner à leur sens plus ou moins exact de l’équité. En exemple l’arrêt de la cour d’appel de Basse-Terre du 21 mars 2016.

Des principes du procès équitable...

Si le droit n’est pas une science, il obéit à des règles strictes qui tiennent le jugement des juges dans un cadre qui les contraignent à ne pas se laisser à l’arbitraire de leur subjectivité. L’article 12 du Code de procédure civile en fixe le principe.
Les dispositions de l’article 13 de la CEDH au nom de l’équité imposent aux juges de juger de façon objective en se démettant de leur subjectivité. C’est l’un des piliers essentiels du procès équitable avec l’indépendance et la neutralité, la première indépendance requise pour le procès équitable étant celle du juge par rapport à sa propre subjectivité.

C’est la raison pour laquelle le principe de neutralité qui renvoie à l’absence de parti pris est étroitement lié à celui de l’objectivité.
Le Code de procédure civile a d’ailleurs prévu un garde fou contre la subjectivité des juges et leur possible parti pris en mettant à la disposition du justiciable des mécanismes qui lui permettent de se protéger contre un débordement ou un dérapage des juges.

Le dépaysement de l’article 47 du Code de procédure civile (CPC), la récusation de l’article 341 du CPC et la suspicion légitime de l’article 356 du CPC permettant à un justiciable d’échapper aux juges qu’il soupçonne ne pas être en mesure de juger selon les règles du procès équitable.
Les juges sont des humains et sont non seulement sujet aux erreurs mais également aux humeurs. Le législateur dans sa sagesse a donc prévu le moyen de se préserver des débordements affectifs (au sens spinoziste du terme) les juges, et contraindre leurs passions par des mécanismes permettant aux potentiels victimes de ces dérapages d’y échapper en s’adressant à d’autres juges, libres de la puissance de leur subjectivité.

Reste que subsiste dans notre droit un point noir qui remet en question l’efficacité de ces mesures préventives et qui ouvrent aux juges qui se départissent des principes du procès équitable toute l’attitude d’exercer l’arbitraire de leur inimitiés ou de leurs amitiés et d’abuser de leur pouvoir de juger.

...à la dérive inéquitable de l’usage de l’article 700 du Code de procédure civile.

C’est le domaine de l’article 700 du CPC qui s’applique devant toutes les juridictions et qui, parti d’un bon sentiment, laisse la porte ouverte à toutes les mauvaises humeurs.
Il s’énonce comme une déclaration des droits de l’homme qui voudrait dans un monde de grande inégalité manifeste introduire un peu d’humanité.
« Le juge condamne la partie tenu aux dépens ou à défaut la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » [1]

Cette ouverture au juge d’un pouvoir de juger selon l’appréciation que ce dernier fera de l’équité, les considérations économiques n’intervenant que très rarement, les juges ignorant le plus souvent la réalité économique du justiciable, peut devenir un moyen pour certains juges, rares mais ils existent, de sanctionner le justiciable ou l’avocat lorsque ce dernier a pu tenir des propos qui ont pu les déranger.

L’univers des motifs subjectifs est extensible à l’infini et rien ne nous protège contre cette trouée ouverte au sein du système de notre droit qui donne latitude d’exprimer librement sa subjectivité au nom d’une équité qui le plus souvent relève plus des affections de la passion que d’un calcul raisonnable prenant en compte la réalité du dossier et celles des honoraires qui ont pu être réclamés légitimement au justiciable par son conseil.
Vous pouvez donc ainsi avoir bataillé pendant dix ans de procédure et vous voir allouer une somme de 1.500 euros alors que par ailleurs un simple jeu de conclusions qui a emporté la conviction du juge peut conduire à un article 700 de 5.000 euros et plus.
Dans les eaux troubles de la fixation de l’article 700 du CPC, et c’est une expérience de nombreuses années d’exercice, ce dernier peut devenir une arme entre les mains de juges, oublieux de l’éthique de l’objectivité et de la neutralité.

L’article 700 du CPC et le principe de sa détermination par l’équité des frais irrépétibles peut se voir détourner de ses premiers motifs honorables.

Alors que dans de nombreux pays européens et sous le principe même du procès équitable, les frais irrépétibles obéissent à des règles objectives qui garantissent au justiciable qui a gagné son procès d’être en effet indemnisé des frais qu’il a dû engager pour faire valoir son droit et à celui qui l’a perdu de ne pas être assassiné par un article 700 exorbitant.

Aujourd’hui, on voit une augmentation des décisions de justice qui sont le prétexte pour certains juges de punir et d’imposer à l’encontre d’un justiciable (qui a simplement exercé son droit d’accès à un juge) une forme de répression silencieuse en lui faisant comprendre qu’il doit cesser d’importuner le confort moral de ceux qui rendent des décisions de justice.
L’équité est devenue aujourd’hui le prétexte du jugement moral, politique, idéologique ou de la simple hostilité ou susceptibilité de celui qui fixe le montant de l’article 700 du Code de procédure civile et le moyen d’un exercice contestable du pouvoir souverain du juge.

Il faut reformer l’article 700 du Code de procédure civile source de dérives de plus en plus nombreuses et mettre fin à cette poche de non droit qui réintroduit dans le procès ce que l’article 13 de la CEDH vise à interdire, l’arbitraire et la subjectivité humaine trop humaine des juges.
L’article 700 doit répondre à des critères objectifs minimaux en fonction de l’importance du contentieux, du travail accompli par les avocats et de l’honoraire raisonnable (en fonction de la valeur de l’heure moyenne de l’avocat) et non plus du bon ou mauvais vouloir du juge.

Le principe d’équité de l’article 700 du CPC sera rétabli lorsque l’article 700 ne sera plus livré au libre vouloir des juges mais encadré avec un minimum syndical que les juges ne pourront pas transgresser.

A l’heure où la justice a tombé le masque d’une fausse gratuité, il faut que le justiciable, qu’il soit la partie perdante ou la partie gagnante, soit certain d’être indemnisé ou de devoir indemniser à hauteur de ce qu’a coûté effectivement le procès qu’il a engagé. En sachant que les sommes qui seront fixées au titre de l’article 700 CPC sont le reflet d’une réalité économique objectivable et dont il pouvait mesurer le quantum et le coût en saisissant le juge.

Un exemple paradigmatique de cette dérive :

Dans un arrêt d’une cour d’appel rendue sur tierce opposition, la cour dont l’arrêt était sévèrement mis en cause a fixé un article 700 du CPC de 60.000 euros !!! condamnant ainsi un simple paysan colon menacé d’expulsion en raison de la décision qu’il critiquait et qui en avait fait un occupant sans droit ni titre.

Le principe lex dura sed lex ici n’a pas lieu d’être, car cet article 700 exorbitant est l‘expression d’un détournement du code de procédure civile.

C’est à de tels détournements qu’il faut mettre fin en reformant de façon radicale l’économie de l’article 700 du CPC en privant les juges de leur pouvoir de fixer selon leur arbitraire un tel poste d’indemnisation qui est essentiel au procès.

Retrouvez ci-dessous l’arrêt au format PDF :

Arrêt de la cour d’appel de Basse-Terre du 21 mars 2016

Cette décision de la cour d’appel de Basse-Terre est paradigmatique d’une pratique qui a tendance à se répandre. En l’espèce la cour s’attaque à un droit constitutionnel reconnu à chaque justiciable d’aller en justice.

Alain Manville, Avocat, Barreau de Fort de France.

[1Article 700 du Code de procédure civile : site Légifrance.

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