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La "blockchain" : une technologie en passe de bouleverser le monde du droit.
Parution : lundi 2 mai 2016
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La technologie blockchain [1] permet la création d’une infrastructure d’échange et de stockage décentralisée, transparente, sécurisée et à coût réduit.
L’utilité de ce nouveau protocole, légèrement abstrait de prime abord, ne laisse pas forcément apparaître l’immensité des bouleversements potentiels qu’il pourrait générer. Pourtant, chaque domaine impliquant un échange, une sauvegarde ou même une preuve pourrait être, in fine, impacté.

L’ubérisation de l’échange : description du protocole blockchain.

Cette « chaîne de bloc » - impossible à falsifier, puisqu’il faudrait avoir accès à plus de la moitié des serveurs de manière simultanée, constitue ainsi la base de données des échanges d’une application décentralisée.
Concrètement, une multitude des serveurs connectés au réseau conservent une copie d’une partie ou de la totalité des échanges effectués, tandis qu’un programme informatique fonctionne en continu pour traiter le flux des échanges. Une fois validés, les échanges sont inscrits dans un registre, formant un nouveau bloc, rendant le précédant impossible à modifier. Ainsi, le réseau est assez puissant pour s’auto-administrer.
Transparence, sécurité, gratuité, c’est l’ubérisation ultime de l’idée de l’échange, entre humains et/ou entre machines.

Une vitesse d’adoption élevée.

Il s’agit d’un changement de paradigme complet.
La vitesse d’adoption de la blockchain réside dans le transfert de confiance des utilisateurs. En effet, plus il y aura d’utilisateurs, plus le système sera difficile (concrètement impossible) à falsifier. Comme tout protocole basé sur la décentralisation, il est d’autant plus fiable qu’il n’y a de participants.
Certaines plateformes ont déjà montré que les utilisateurs étaient prêts pour un tel changement : sur Airbnb, ou Uber, les utilisateurs font davantage confiance au réseau. Il y a vingt ans, peu se risquaient à monter dans le véhicule ou à entrer dans la maison d’un inconnu...
Ce nouveau protocole d’échange participe au passage d’un modèle de confiance basé sur les entreprises ou institutions à un modèle basé sur un système et une communauté décentralisée. Ainsi les échanges sont désormais portés par la technologie blockchain et non plus par une entreprise ou une institution traditionnelle.

Quelle sera l’utilité de ce nouveau protocole d’échange et de stockage dans le domaine juridique ?

Les premiers domaines à muter seront la finance, les transferts de données, les systèmes de preuve de l’existant, la gestion des données, l’internet des objets, ou encore la communication inter machina. Dans un futur plus éloigné, les documents publics, le vote, la santé et les jeux seront probablement bouleversés.
La technologie blockchain permet la création d’une infrastructure d’échange et de stockage décentralisée, transparente, sécurisée et à coût réduit.
L’utilité de ce nouveau protocole, légèrement abstrait de prime abord, ne laisse pas forcément apparaître l’immensité des bouleversements potentiels qu’il pourrait générer. Pourtant, chaque domaine impliquant un échange, une sauvegarde ou même une preuve pourrait être, in fine, impacté.
Chaque nouvelle transaction est cryptée – constituant un bloc - puis envoyée dans un « livre des comptes », s’ajoutant aux blocs précédents, le tout stocké sur l’ensemble des serveurs participants au réseau.

S’agissant des aspects juridiques, quatre thématiques peuvent d’ores-et-déjà être soulevées :
- les contrats intelligents,
- la fraude fiscale et l’imposition,
- l’évolution des professionnels (avocats, notaire...)
- et le vote.

L’objet des contrats intelligents est de permettre un transfert automatisé de valeurs fondé sur des conditions mutuellement convenues (récurrence temporelle, occurrence d’un événement...), ce qui permet une désintermédiation des professionnels dans les processus de rédaction et d’exécution contractuelle.
Des sociétés comme Captain Contrat proposent déjà ce type de services avec un résultat satisfaisant. Il appartient aux avocats de s’adapter à cette nouvelle donne et de l’accompagner en se concentrant sur la réelle valeur ajoutée de la profession qui n’est plus la rédaction stricto sensu, mais la prestation de conseil qui l’entoure.

S’agissant de la fraude fiscale, la technologie blockchain pourrait bien complexifier la tâche de l’administration fiscale. Et même, potentiellement, pourrait un jour mettre fin au système social actuel, en rendant l’Etat impuissant pour lever l’impôt si les flux anonymes se généralisaient.
En pratique, le risque est que l’administration fiscale n’ait pas accès à ces données, incapable d’identifier les opérations en crypto-monnaie (tel que le bitcoin) réalisées par un contribuable sur un système de paiement parallèle, contrairement aux opérations financières courantes effectuées par les banques.

La technologie blockchain forcerait également les professionnels du droit à évoluer. Les notaires perdraient la preuve des actes (le premier cadastre blockchain est en cours de développement) ; les avocats le stockage, l’exécution et le contentieux contractuel...
Le rêve de la démocratie participative pourrait par contre bien trouver là une nouvelle application. Les initiatives sont déjà en train de se multiplier : FollowMyVote, PublicVote, V-initiative sont pionniers dans ce domaine.

Votes, référendums sur chaque mesure, textes de loi, les idées pourraient se multiplier à l’avenir, les freins du coût et de la fiabilité étant supprimés.

Vu le fort risque de transition des marchés, l’essentiel réside pour l’instant dans la stratégie d’adaptation des avocats afin d’être prêts à sauter le pas lorsque cela s’avèrera nécessaire.

Arnaud Touati, Avocat à la Cour, et Louis Larret-Chahine, Éleve Avocat, [Cabinet Alto Avocats->www.altoavocats.com]
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