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« Say on Pay » : une réforme inachevée et insuffisante pour assurer l’efficacité du principe ? Par Frédéric Guillaumond, Juriste.
Parution : jeudi 19 mai 2016
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Au cours de cette période chargée en assemblées générales ordinaires annuelles, des polémiques sur la rémunération des dirigeants sont survenues, comme elles le font de façon assez récurrente sur cette question.

Elles ont notamment concerné deux entreprises, qui, après avoir connu ces dernières années des difficultés économiques (Peugeot et Renault), ont affiché des résultats en progression.

Ainsi, le 29 avril 2016, l’assemblée générale ordinaire annuelle de Renault a rejeté la rémunération de Carlos Ghosn, contraignant le Conseil d’administration à se réunir à nouveau sur cette question.

Le Conseil d’administration a toutefois validé la rémunération attribuée, tout en diligentant une mission sur les évolutions utiles pour les années à venir.

La réponse au vote émis par l’assemblée pose la question de l’efficacité du principe du « say on pay », tel qu’il a été mis en place en France.

Pierre Gattaz, président du MEDEF, a d’ailleurs indiqué : « Quand des actionnaires d’une entreprise disent non (...), je pense que passer en force aussi rapidement me gêne » et « être très surpris » par la décision du Conseil d’administration « d’entériner une heure après [l’assemblée générale] sa décision malgré l’opposition de l’assemblée. Je suis un peu choqué en effet que l’on ait entériné aussi vite des conditions de rémunération »

Le principe du « say on pay » consiste à soumettre à l’assemblée générale ordinaire annuelle les éléments de la rémunération versée ou due au dirigeant au titre de l’exercice clos (part fixe, part variable, stock-options…), afin que les actionnaires se prononcent sur ceux-ci.

Ce principe a été introduit en juin 2013 par l’AFEP et le MEDEF dans le Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées, qui n’a toutefois pas intrinsèquement de valeur contraignante.

Cependant, les adhérents à l’AFEP et / ou au MEDEF ont été implicitement contraints de respecter les règles édictées.

Le Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées prévoit ainsi que la rémunération (et partant, sa soumission au vote) doit satisfaire aux principes suivants (article 23.1) :
-  exhaustivité ;
-  équilibre : correspondre à l’intérêt général de l’entreprise et être motivé ;
-  benchmark : être conforme au contexte d’un métier et d’un marché de référence ;
-  cohérence avec celle des autres dirigeants et salariés ;
-  intelligibilité ;
-  mesure : prendre en compte les pratiques du marché et les performances des dirigeants.

S’agissant de la rémunération fixe, le principe est qu’elle ne doit être revue qu’à échéances relativement longues (par exemple, 3 ans) et que sa progression doit être liée à des évènements affectant l’entreprise et tenir compte de l’ensemble des éléments de la rémunération, au regard de la performance.

Une évolution annuelle de la rémunération est toutefois possible.

Concernant la partie variable, les modalités doivent de la même façon être intelligibles et donner lieu à une information claire.

Toutefois, le vote n’est que consultatif ; en cas d’avis négatif, le Conseil d’administration doit alors, sur avis du Comité des rémunérations, délibérer lors d’une prochaine séance et publier immédiatement un communiqué sur les suites qu’il entend donner au vote des actionnaires.

Le fait que le vote soit seulement consultatif constitue la première limite au principe mis en place.

La seconde limite tient au fait que la décision des actionnaires ne porte que sur la rémunération passée.

En revanche, la mise en œuvre du principe « say on pay » a constitué une avancée vers plus de transparence à l’égard des actionnaires concernant la rémunération des dirigeants des sociétés cotées.

En pratique, le « say on pay » a donc un impact limité sur les rémunérations

Afin que la « politique de rémunération des entreprises soit déterminée de manière appropriée », estimant que les actionnaires « devraient avoir le droit de voter sur cette politique de rémunération », le Parlement européen a apporté des amendements, adoptés le 8 juillet 2015, à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires, et la directive 2013/34/UE en ce qui concerne certains éléments de la déclaration sur la gouvernance d’entreprise.

Aux termes de ce projet, il est prévu que « les États membres veillent à ce que les entreprises établissent une politique de rémunération des administrateurs et la soumettent à un vote contraignant de l’assemblée générale des actionnaires. Les entreprises ne versent de rémunération à leurs administrateurs que conformément à une politique de rémunération mise au vote lors de l’assemblée générale des actionnaires. Tout changement de la politique est mis au vote lors de l’assemblée générale des actionnaires et la politique est soumise en tout état de cause à l’approbation de l’assemblée générale au moins tous les trois ans.
Toutefois, les États membres peuvent prévoir que les votes de l’assemblée générale sur la politique de rémunération sont consultatifs. »

Le principe serait alors de conférer un caractère contraignant au vote, l’exception étant le vote consultatif.

Certains États membres, à l’instar de la France, ont déjà mis en place un vote consultatif, ce qui a eu le mérite d’instaurer au moins une plus grande transparence dans la communication sur les éléments de rémunération. Les États-Unis ont d’ailleurs fait de même.

La question se pose toutefois de savoir s’il ne pourrait pas s’agir d’un premier pas vers une uniformisation du droit pour évoluer vers un vote contraignant.

C’est en tout cas le chemin choisi par le Royaume-Uni, qui a initialement (en 2002) mis en place un vote consultatif, puis a adopté en 2013 un système plus contraignant (Enterprise and Regulatory Reform Act 2013), dont le Parlement européen semble s’être inspiré…

La réforme britannique a prévu un vote consultatif annuel sur les pratiques et un vote contraignant tous les trois ans sur la politique de rémunération, la rémunération des dirigeants devant évidemment être conforme à la politique de rémunération adoptée par les actionnaires.

Au vu des dernières polémiques, l’État français, par ailleurs premier actionnaire de Renault, devrait-il modifier la législation, comme l’a avancé le ministre de l’Économie ?

La question est posée. Le Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées a en tout état de cause offert aux actionnaires une plus grande transparence sur les éléments de rémunération des dirigeants des sociétés cotées.

Mais au regard des statistiques existant sur la question du vote des actionnaires à propos de la rémunération, il semble que ce qui importe aux actionnaires est davantage la légitimité (corrélation avec les résultats) de la rémunération que son montant, sauf réactions « épidermiques » de l’opinion publique et / ou politique.

Frédéric Guillaumond Avocat inscrit au Barreau de Lyon www.avocat-guillaumond.fr
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