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De l’absence d’effet d’une clause libératoire sur un contrat homologué par la Ligue professionnelle de football. Par Frédéric Guillaumond, Juriste.
Parution : vendredi 27 mai 2016
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A l’été 2015, Lassana Diarra s’est engagé avec l’Olympique de Marseille en signant un contrat d’une durée de quatre années, soit jusqu’en juin 2019.
Ce joueur, qui avait passé plusieurs mois sans jouer, en raison de difficultés avec son précédent club et employeur, a profité de la saison 2015 – 2016 pour se relancer et se faire remarquer par de nombreux clubs.
A tel point que Lassana Diarra souhaite aujourd’hui quitter l’Olympique de Marseille, et à ce titre, a mis en avant un argument supplémentaire significatif, s’ajoutant à ses qualités de footballeur : la possibilité d’être transféré sans que le club l’accueillant n’ait à régler une indemnité de transfert.

L’opération de transfert d’un joueur est une opération tripartite, nécessitant :
-  Un accord entre le joueur et son futur club,
-  Un accord entre les deux clubs concernés.

En effet, aux termes de l’article 264 de la Charte du football professionnel, relatif à la résiliation conventionnelle des contrats des joueurs professionnels pendant la période officielle des mutations, « l’accord des trois parties concernées est nécessaire. Cette résiliation donne lieu au versement par le nouveau club au club quitté d’une indemnité de mutation, dont le montant est fixé de gré à gré entre les deux clubs. »
Le principe est donc, en cas de transfert, qu’un accord doit être trouvé sur le montant de l’indemnité de transfert.

Or, en l’espèce, lors de la négociation du contrat, le joueur de football objet des présentes avait voulu que soit prévue la possibilité de son futur transfert sans indemnité.
Lassana Diarra et l’Olympique de Marseille ont conclu un contrat d’une durée de quatre années
Et ils ont signé un acte additionnel prévoyant l’absence d’indemnité de transfert. Ainsi, aux termes de ce contrat, le joueur disposait de la possibilité de quitter le club à son initiative, dans la mesure où aucun accord n’aurait à être recherché entre les deux clubs concernés. Il suffirait qu’il se mette d’accord sur les conditions salariales avec son futur club.
Lassana Diarra a ainsi cru pouvoir affirmer « je n’ai pas besoin de l’autorisation de l’OM pour quitter Marseille. »

Il est à noter que seul le contrat d’une durée de quatre années a été soumis à l’homologation de la Ligue professionnelle de football.
La confidentialité de l’acte additionnel contredisant les dispositions de l’article 264 de la Charte du football professionnel a en revanche été préservée.

L’article 202 du Règlement administratif de la Ligue professionnelle de football prévoit que « les dirigeants de clubs ne peuvent conclure un contrat contenant une "clause libératoire", prévoyant avant terme, en contrepartie d’une indemnité, la rupture de la relation contractuelle par l’un ou l’autre des cocontractants, une "clause résolutoire" ou une clause de résiliation unilatérale avec un joueur professionnel français ou étranger qu’il s’agisse du club ou du joueur ».

Les dispositions françaises se distinguent sur ce point des dispositions espagnole ou portugaise, qui prévoient des montants significatifs voire dissuasifs pour un Cristiano Ronaldo ou un Lionel Messi (buy-out clauses)
La question se pose donc de savoir si le fait de prévoir une clause libératoire, une clause résolutoire ou une clause de résiliation unilatérale sans indemnité de transfert (ou moyennant une indemnité égale à…zéro) est interdite au regard de la rédaction du Règlement administratif de la LFP.

Cette rédaction prévoit spécifiquement la prohibition des clauses libératoires avec indemnité préalablement fixée avant toute négociation de transfert.
Une analyse littérale du texte pourrait permettre de considérer qu’en raison de l’absence d’indemnité, une clause libératoire, une clause résolutoire ou une clause de résiliation unilatérale pourrait être valablement insérée dans le contrat.
Cela serait faire fi de l’esprit du texte, qui tend à assurer aux parties, et notamment aux clubs, une stabilité et une maîtrise dans la gestion contractuelle de leurs joueurs.
Aussi, la confidentialité gardée par les parties sur la contre-lettre n’était pas surprenante.

En revanche, la facilité avec laquelle les parties s’en sont affranchies l’est davantage au regard des sanctions attachées à la régularisation de conventions contraires aux textes.

L’article 257 de la Charte du football professionnel prévoit en effet que « toutes conventions, contre-lettres, accords particuliers, modifications du contrat non soumis à l’homologation dans les conditions prévues ci-dessus, et portés à la connaissance de la LFP » sont passibles des sanctions suivantes :
-  « Absence d’effet de ces conventions, contre-lettres, accords particuliers, modifications du contrat »
-  Pour le club et pour le joueur, une amende de 600 à 15 000 €,
-  « Sans préjudice d’autres sanctions pouvant aller de la suspension à la radiation du joueur et du ou des dirigeants signataires. »

Les amendes n’ont certes qu’une valeur symbolique, au regard des enjeux financiers ; mais tel n’est pas le cas de la sanction extrême que constituent la suspension ou la radiation.
Ainsi, lorsque les dirigeants marseillais estiment la valeur de l’international français à plus de 15 millions d’euros (i.e. le montant de l’indemnité de transfert à verser), leur position est conforme au règlement applicable, en indiquant publiquement une base de négociation aux clubs intéressés.
Au surplus, au regard de l’effet relatif des contrats, sans préjuger de la validité juridique de la contre-lettre, les clubs intéressés ne pourraient pas se prévaloir de l’accord conclu entre Lassana Diarra et l’Olympique de Marseille.

La dernière question qui se pose est de savoir si Lassana Diarra, qui ne peut considérer qu’il est libre de quitter l’Olympique de Marseille, peut reprocher à son employeur actuel de lui avoir fait signer un document dénué d’effet juridique et en tirer profit pour remettre en cause le contrat dûment homologué, en estimant que les deux contrats forment un tout indissociable.
Une piste de réflexion pourrait être fondée sur l’article 1131 du Code civil « L’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet » dans l’hypothèse où Lassana Diarra considérerait qu’il a signé le contrat homologué en considération de la contre-lettre lui assurant une possibilité de quitter le club sans indemnité de transfert.

La jurisprudence considère certes que l’adage nemo auditur propriam turpitudem allegans ne s’oppose pas à une action en nullité mais seulement à l’exercice des restitutions, mais elle juge également qu’il s’agit une nullité relative, qui ne peut être invoquée que par celui dont la loi qui a été méconnue tendait à assurer sa protection.
Or, le règlement administratif qui a été violé tend précisément à assurer la protection de l’Olympique de Marseille…
De sorte qu’en dehors d’un engagement moral pris par Vincent Labrune, dirigeant de l’Olympique de Marseille, rien ne semble devoir remettre en cause le fait que le club souhaitant enrôler Lassana Diarra devra s’accorder avec son employeur actuel sur le montant d’une indemnité de transfert.

Étant observé enfin que cet engagement moral du dirigeant sera difficile à respecter lorsque l’on connaît, d’une part, la nécessité pour l’Olympique de Marseille d’obtenir des rentrées financières et d’autre part, le contexte médiatique et populaire, qui ne comprendrait pas que le club se sépare de celui qui a été un des meilleurs joueurs marseillais au cours de la saison écoulée…

Frédéric Guillaumond Avocat inscrit au Barreau de Lyon www.avocat-guillaumond.fr