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Le droit du travail est-il responsable du chômage ? Par Magali Baré, Consultante.
Parution : vendredi 27 mai 2016
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Les partisans de la loi El Khomri considèrent sans l’ombre d’un doute que la diminution de la protection accordée aux salariés est le sésame pour permettre une baisse du chômage. Est-on certains que ces recettes fonctionnent ?

Les arguments, connus de longue date et abondamment relayés par différents canaux, peuvent être résumés ainsi : les entraves au licenciement, les protections accordées aux travailleurs, la complexité du Code du travail, sans oublier les interventions intempestives du juge, dissuadent les entreprises d’embaucher car elles les empêchent de réagir rapidement face aux fluctuations du marché. Et c’est cela qui favoriserait un chômage de masse persistant.

On assiste ainsi à un changement de rôle du droit du travail dont une des vocations premières était de protéger le salarié, considéré comme plus vulnérable et engagé dans une relation par nature déséquilibrée, en raison du lien de subordination inhérent au contrat de travail.

L’objectif aujourd’hui, c’est l’emploi. Entendu ici comme une finalité chiffrée. Et pour y parvenir, on diminue le statut auquel il donne accès. Il s’agirait, en effet, de la seule façon possible de permettre aux entreprises de recruter davantage et de mettre fin à la segmentation actuelle entre les « insiders », salariés en CDI, et les « outsiders », jeunes, seniors, chômeurs, qui peinent à accéder à un emploi stable.

Mais au fait, est-ce que ça marche ?

L’OCDE étudie de près ces mécanismes à travers des indicateurs mesurant le degré de rigueur de la Législation sur la Protection de l’Emploi (LPE) des pays membres. Pour ce faire, elle analyse l’ensemble des règles relatives à l’embauche et au licenciement en tenant compte de l’ensemble des sources du droit du travail.

Premier enseignement, la législation française n’est pas toujours la plus rigide. Par exemple, en matière de licenciement, l’indice de rigidité est plus élevé en Allemagne qu’en France alors que son taux de chômage est plus bas.

Surtout, ces travaux nous renseignent sur les effets produits par les réformes engagées chez nos voisins en mesurant le niveau de corrélation entre le taux de chômage et la flexibilité du travail. Les études menées depuis 10 ans montrent que l’on ne constate pas de corrélation entre le taux de chômage et la flexibilité du marché du travail. En France, il est constaté que plus la flexibilité du travail est grande, plus le taux de chômage a grimpé. C’est le cas également en Grèce, en Espagne ou au Portugal. Certains pays ont été confrontés à une augmentation de leur taux de chômage alors même que leur indice de rigidité est plus faible qu’en France, c’est le cas notamment de la Finlande et de la Suède.

Olivier Blanchard et Jean Tirol, deux éminents économistes, ont d’ailleurs souligné que l’effet global sur le taux de chômage d’une protection élevée des salariés face au licenciement n’est pas démontré [1].

Pour la littérature existante, la dérégulation du marché du travail, à travers l’assouplissement de la législation, conduit seulement à une augmentation des flux d’entrée et de sortie de l’emploi mais le stock d’emplois à pourvoir, et par là même le niveau de chômage, ne varie pas. Les salariés ont donc plus de chances de trouver un emploi car ils ont plus de risques de le perdre, et les jeunes, catégorie que l’on souhaite accompagner vers l’emploi, risquent au final de prendre l’emploi de leurs parents.

Pourtant c’est en vertu de ce dogme que l’on pense pertinent économiquement de considérer que le licenciement d’un salarié peut être justifié dès lors qu’une entreprise est confrontée à une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, sur 1 trimestre dans une entreprise de moins de 11 salariés, voire 2 trimestres consécutifs dans une entreprise de 11 à 50 salariés.

Pour ces situations, qui traduisent des difficultés réelles mais ponctuelles des entreprises, il est regrettable que le recours au chômage partiel ne soit pas plus mobilisé. Ce dispositif, allié à des négociations sur la baisse de la durée du travail et de la rémunération qui n’ont été que temporaires, a permis à l’Allemagne de contenir la montée du chômage pendant la crise.

Magali Baré Consultante Cabinet IDée Consultants www.ideeconsultants.fr

[1Protection de l’emploi et procédures de licenciement, Olivier Blanchard et Jean Tirole, 2003

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